Quelles solutions pour cultiver et protéger autrement ?

Que faire pour cultiver et protéger les cultures sans utiliser de pesticides de synthèse ? Passer des solutions actuellement majoritaires – curatives, instantanées, localisées et souvent individuelles : utiliser un pesticide sur une parcelle -, à des solutions préventives, souvent collectives, combinant le choix des cultures et une gestion de la protection dans le temps et l’espace... Une transition qui implique un « changement de paradigme ».

Une transition nécessaire

Le futur de l’agriculture n’est pas dans l’intensification des intrants de synthèse mais dans l’intensification des connaissances mobilisées. Pour cela, nous avons besoin de l’approche intégrée que représente l’agroécologie.

The future of agriculture is not input-intensive, but knowledge-intensive. We need the integrated approach that agroecology can offer.”  déclarait José Graziano da Silva, Ex. DG FAO, Avril 2018.

Pour illustrer ce changement de modèle, prenons le cas de la confusion sexuelle, un procédé de biocontrôle employé pour perturber la reproduction de certains insectes ravageurs des vignobles et limiter ainsi leurs dégâts. Pour être efficace, elle nécessite d’être déployée sur une échelle qui va de 3 à 10 hectares selon la culture considérée. Sachant que la taille moyenne d’une parcelle viticole en Champagne est d’un demi-hectare, on comprend que ce levier d’action n’est pas mobilisable sans une organisation collective des viticulteurs. Plus généralement, la gamme de leviers mobilisables s’appuie sur les nouvelles connaissances - parfois inspirées de solutions anciennes – issues des recherches en agroécologie , et utilisant aussi les leviers de l’amélioration génétique ou des agroéquipements.

Le rejet des pesticides dans la société est une puissance transformante de nos systèmes

Autre exemple, les associations entre céréales et légumineuses. Ces cultures associées sont intéressantes sur le plan agronomique car elles nécessitent nettement moins d’apport en engrais azoté et favorisent les régulations naturelles, ce qui réduit l’impact des ravageurs, maladies et adventices. Leur deuxième intérêt est nutritionnel, les légumineuses étant plus riches en protéines que les céréales et complémentaires de ces dernières dans les apports nécessaires à l’alimentation humaine. Actuellement, outre la nécessité de disposer de variétés plus adaptées à ces associations, d’autres verrous à lever se situent du côté de la récolte, de la transformation et de l’attrait pour le consommateur. Récolter et stocker séparément ces deux types de plantes cultivées côte à côte est difficile et plus coûteux, elle mobilise des équipements nouveaux comme les trieurs optiques. Ensuite, la plupart des filières de transformation ne sont pas adaptées à travailler ces mélanges hétérogènes d’espèces. Pouvoir récolter les deux cultures ensemble, les stocker et les transformer ensemble, par exemple en pâtes alimentaires ou en gâteaux moelleux, nécessite de profondes évolutions, ainsi que de l’innovation dans les équipements… et au bout du compte le succès n’est assuré que si le consommateur adhère et achète ! De telles évolutions impliquent tous les acteurs de la société, depuis l’approvisionnement en semences, pesticides, agroéquipements et le monde agricole, jusqu’aux industriels de la transformation, aux distributeurs et aux consommateurs. Elles doivent être encouragées par une évolution des politiques publiques au niveau national comme au niveau européen, pour éviter des distorsions de concurrence qui limiteront sinon cette transition.

 

D’une certaine manière, “le rejet des pesticides dans la société est une puissance transformante de nos systèmes” relève Ch. Huyghe, directeur scientifique Agriculture à INRAE, car il pousse tous les acteurs à se concerter et à s’impliquer dans ces transitions.

 

Cultiver et protéger sans pesticides

Un changement de système

Un tel changement de système touche et implique tous les acteurs :

Changer de système peut avoir tellement d’impacts sur les différents acteurs qu’il est nécessaire d’organiser et d’accompagner la transition. Côté recherche, l’agroécologie et l’avancée des connaissances sur les services rendus par les écosystèmes permettent de penser de nouveaux modèles et d’accompagner les transitions agroécologiques et alimentaires. Les résistances variétales et leur durabilité, les agroéquipements mobilisant données satellitaires, robotique et numérique sont également des voies sans cesse explorées. L’innovation ouverte et la science citoyenne font aussi partie des moyens mis en œuvre par INRAE, de même que l’expertise et l’appui aux politiques publiques.

S'affranchir des pesticides de synthèse a-t-il un coût ?

Les chercheurs d’INRAE et de l’université Grenoble Alpes montrent dans une étude expérimentale parue en 2023 que la valeur de l’information sur la pression des bioagresseurs et son rôle dans la réduction de l’usage des pesticides dépendent à la fois de l’attitude des agriculteurs face au risque et à l’ambiguïté et du prix des produits phytosanitaires.

Une prise de risque et des surcoûts éventuels qui ne sont pas aujourd'hui valorisés par le marché

Dans le cadre du réseau DEPHY-Ferme, action majeure du plan gouvernemental EcoPhyto, les chercheurs d'INRAE, en collaboration avec l’entreprise Agrosolutions, ont étudié la relation entre le niveau d’usage de pesticides et les performances des systèmes de culture en termes de productivité et de rentabilité. Les résultats, publiés en 2017, montrent qu’une réduction significative de l’usage de pesticides (20 à 30 %) est possible sans dégrader, à l’échelle de l’exploitation agricole, les performances productive et économique, à condition d’adaptations conséquentes des pratiques agricoles.

D'autres recherches montrent que l'agriculture biologique a des pertes de rendements qui sont compensées à la fois par le signe de qualité et le consentement à payer des consommateurs, et par les aides à la conversion de la PAC.

Atteindre une réduction de l'usage de pesticides de synthèse de 50 % ou plus, nécessite un changement de système qui se traduit par une prise de risque pour l’agriculture pendant la transition, et des surcoûts éventuels liés aux investissements et au temps de travail nécessaires, qui ne sont pas aujourd’hui valorisés par le marché.

 

 

Rédaction : Nicole Ladet

Pilotes scientifiques : Thierry Caquet, directeur scientifique Environnement - Christian Huyghe, directeur scientifique Agriculture - Guy Richard, directeur des Expertises, prospectives et études

Avril 2021