Agroécologie 4 min

Le colza, à force de synergies

Les recherches du « groupe colza » sont devenues autant d'innovations dans les champs et les étables mais aussi dans nos assiettes et nos moteurs. Grâce à un partenariat très vivant avec l’ensemble de la filière agricole et agroalimentaire, ce collectif, dont six chercheurs incarnent le parcours, montre comment peut se construire une science pour l’impact.

Publié le 08 décembre 2015

illustration Le colza, à force de synergies
© INRAE, Ch. Maître

En 40 ans, le colza, petite espèce européenne, s’est taillé une place de choix aux côtés des grandes oléagineuses : palme, soja, tournesol, arachide.
« L’histoire du colza à l’Inra est une histoire unique » résume Michel Renard, en se penchant sur ses quatre décennies de recherche. Une histoire unique, une synergie exceptionnelle entre la recherche publique et le secteur privé, entre chercheurs de disciplines différentes. Des défis scientifiques relevés depuis 1974 par les équipes de recherche de l’Inra à Rennes, Versailles et Grignon, réunies dans le « groupe colza ».

Objectif : plus d’autonomie pour la France

Une quête d'autonomie toujours d'actualité

Ils ont misé sur cette plante, pour surmonter crises ou défis alimentaires. Pour que la France gagne en autonomie, dès les années 70, sur fond d’embargo américain sur le soja, de choc pétrolier et avec un approvisionnement en arachide qui devient aléatoire… jusque dans les années 1990, avec l’utilisation des jachères de la politique agricole commune pour produire des biocarburants... Une quête d’autonomie toujours d’actualité pour de nombreux usages en chimie verte.

À chaque étape de ces réussites, il a fallu sélectionner les « bons colzas ». « Peu de recherches Inra ont eu autant d’impact… achevé en trois révolutions successives » résume Michel Boucly, directeur du groupe Avril (huiles alimentaires, diester, chimie verte).

Deux révolutions pour le double 0

Première révolution : une huile de qualité pour l’alimentation humaine, avec la sélection de la première variété riche en oméga 3 et sans acide érucique, réputé nocif pour le cœur. Dès les années 70, le partenariat avec le seul sélectionneur privé français permet la création d’autres variétés de ce type et leur diffusion sur deux tiers des surfaces en Europe.
Le groupe colza réussit ensuite à diminuer la teneur en composés soufrés des tourteaux, coproduits de l’extraction de l’huile. On peut dès lors nourrir les animaux avec ces tourteaux riches en protéines au lieu de les épandre dans les champs. Le colza « double 0 » - sans acide érucique et à faible teneur en composés soufrés - prend encore de la valeur : deuxième révolution.

Les hybrides à la conquête du monde

Dans le même temps, le « groupe colza » mène des travaux sur la vigueur hybride et la création d’hybrides de colza, plus productifs. Or les fleurs de colza sont hermaphrodites. Les recherches menées sur les techniques d’hybridation entre espèces permettent d’obtenir la première lignée uniquement femelle, garante de croisements fiables. La restauration de la fertilité mâle chez les hybrides complète ce système. Le gène de la stérilité mâle sera identifié à l’Inra de Versailles. Treize ans après, le gène de restauration de la fertilité est isolé par les travaux conjoints d’Evry, Rennes et Versailles.
 

Un système qualifié de « parfait »

Le système OGU-Inra, ainsi créé et protégé par brevets, conquiert l’Europe, l’Amérique du Nord et l’Australie. Jean-Pierre Despeghel, de l’Union française des semenciers (UFS), le qualifie de « parfait » au regard des systèmes concurrents. La troisième révolution du colza est en marche.

Avec à la clé des brevets qui ont rapporté à l’Inra près de 90 % de ses royalties sur brevets. « Nous nous sommes battus pour protéger un système de licences ouvertes et de libre accès aux semences à des fins de recherche en rachetant les brevets concurrents. Le soutien financier de la profession a permis cette opération » rapporte Georges Pelletier. Aujourd’hui, les hybrides de colza sont cultivés sur plus de 90 % des surfaces en France.

Résistances associées, récoltes préservées

Associer dans le plante deux types de résistance

Régulariser le rendement, c’est aussi se protéger contre les ravageurs et les maladies, dont la plus dévastatrice a longtemps été le phoma, causée par un champignon. Ici, les collaborations entre généticiens et pathologistes se révéleront également fructueuses.
Les travaux de Rennes et Grignon portent sur les résistances du colza et leur durabilité, et sur l’analyse des populations de phoma et de leur virulence. Ces recherches combinées ont jeté les bases d’un système mondialement reconnu pour caractériser les souches de phoma et les résistances présentes dans le colza. Elles ont apporté, en 2010, la première preuve expérimentale qu’il faut associer dans la plante deux types de résistance pour en augmenter la durabilité.
Des résultats précieux pour les sélectionneurs et valorisés sur le terrain jusqu’en Australie, évitant de lourdes pertes de récoltes.

 

Voilà l'histoire unique du « groupe colza ». « Unique par les synergies qui ont animé le groupe et ses partenaires professionnels pour dépasser leurs frontières » conclut Michel Renard. Des collaborations toujours pionnières, et de nouveaux défis à relever.

Les raisons de ce succès

40 ans de recherches et d’innovations du groupe Colza ont transformé nos campagnes en les colorant de fleurs jaune vif au printemps… Ses travaux ont rendu le colza, aujourd’hui cultivé sur plus d’un million d’hectares, apte à fournir une huile de qualité pour notre alimentation, du diester dans nos moteurs, des produits cosmétiques ou pharmaceutiques et des aliments pour nourrir nos animaux d’élevage.
 

Six scientifiques, ambassadeurs du groupe, incarnent les temps forts de ces réussites. Interrogés sur les raisons de leur succès, ils évoquent ce qui a façonné l’identité et la dynamique du groupe Colza :

  • Synergies avec les sélectionneurs privés, avec la profession agricole et avec les industriels de la transformation du colza, qui ont permis de mutualiser les objectifs et les moyens ;
  • Échanges entre scientifiques dont la qualité a permis à chacun de progresser en complémentarité plutôt qu’en compétition ;
  • Transdisciplinarité : généticiens, biologistes moléculaires, pathologistes, agronomes, zoologistes, biochimiste ont su partager leurs questions de recherche, leurs doutes, leurs résultats et enrichir mutuellement leurs travaux ;
  • International : des collaborations essentielles avec les chercheurs d’autres instituts dans le monde, que ce soit sur le colza ou sur son meilleur ennemi, le champignon responsable du phoma, une des maladies les plus dommageables au colza ;
  • Souci de la valorisation : rendre l’innovation disponible pour le consommateur, c’est sélectionner les plantes les plus adaptées aux débouchés, s’assurer que les variétés innovantes soient disponibles et fiables pour le monde agricole et pour cela rendre le progrès génétique accessible aux sélectionneurs privés à des fins de recherche. Les royalties sur les variétés commercialisées par les licenciés permettent de financer de nouvelles recherches Inra ;
  • Confiance de dirigeants de l’Inra, tels Jacques Poly, qui dès le départ a conforté les orientations du groupe et les a soutenues politiquement. Confiance également de chefs de département scientifiques sur des axes de recherche sortant parfois des sentiers battus.

Tous s’accordent sur un point essentiel : il n’aurait pas pu y avoir un impact aussi fort dans la société sans une recherche fondamentale d’excellence.

Ambassadeurs du groupe de recherche sur le Colza

En 40 ans, des forces plus que décuplées
  • Plus de 80 chercheurs, ingénieurs et techniciens, contre 5 en 1974.
  • 1 million et demi d’hectares de colza double zéro cultivé en France, contre 150 000 ha en 1965. 8 millions d’hectares de colza dans le monde.
  • La France importe aujourd’hui moins de 50 % de ses tourteaux, la moyenne européenne est de 68 %.
  • 12 sélectionneurs de colza utilisent actuellement le système OGU-Inra en France. En 1974, un seul sélectionneur utilisait le matériel Inra
  • La résistance au phoma évite des pertes de récolte, un bénéfice estimé entre 50 et 300 millions d’euros par an, selon le niveau de l’attaque.

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