Alimentation, santé globale 5 min
Gaspillage alimentaire : comment optimiser la distribution des excédents de restauration collective ?
Alors que les situations de précarité alimentaire concernent en France des populations de plus en plus nombreuses (étudiants, travailleurs précaires, familles, retraités…), les politiques publiques actuelles de soutien à l’aide alimentaire ne couvrent pas l’intégralité des besoins. Une étude a permis d’explorer un « nouveau maillon » qui fait le lien entre les cuisines centrales de la restauration collective et les associations d’aide alimentaire pour la distribution des excédents. Analyse du terrain et leviers d’action pour les collectivités territoriales et l’État.
Publié le 05 juin 2024
Le gaspillage en restauration collective peut constituer jusqu’à près du tiers des repas préparés. Pour le limiter, la loi Egalim oblige depuis 2018 les établissements qui servent plus de 3 000 repas par jour à s’engager dans une politique de partenariat avec au moins une association d’aide alimentaire afin de donner leurs excédents.
Les excédents de repas représentent les produits et plats non servis, encore bons à consommer. Ainsi, seules les denrées et les préparations de repas respectant les normes réglementaires et sanitaires peuvent être données. Ce sont des quantités importantes dont la redistribution gagnerait à être optimisée. La logistique est prégnante, y compris la chaîne du froid jusqu’à la consommation finale.
Lancée dans le cadre d’un programme INRAE* qui explore de nouvelles pistes de recherche pour des villes plus sobres, circulaires et durables, l’étude s’est intéressée aux cuisines centrales franciliennes, en particulier au maillon de collecte et de redistribution des excédents de repas vers les associations. Sur le terrain, deux débouchés sont observés : soit la vente au personnel de l’établissement, à des collaborateurs ou à l’extérieur ; soit le don, défiscalisé ou non, à des associations d’aide alimentaire. Cette distribution peut se faire directement, ou avec l’aide d’intermédiaires (services rémunérés ou associatifs), avec ou sans application numérique.
Redistribuer les excédents contribue directement à réduire le gaspillage alimentaire. C'est le cas, par exemple, lorsque les restes de service bons à consommer sont redistribués à des associations d'aide alimentaire ou proposés aux convives, lorsque les restes d'assiette sont emportés dans un emballage à emporter, lorsque l'excédent est transformé (compotes, purées, etc.)
UNE HIÉRARCHIE DES USAGES
La directive cadre des déchets européenne de 2008 a inspiré la définition de la hiérarchie des actions, inscrite dans la loi dite Garot de 2016, à mener en matière de lutte contre le gaspillage alimentaire : la prévention doit primer, ensuite l’alimentation humaine par le don ou la transformation puis l’alimentation animale, en dernier lieu la valorisation énergétique (méthanisation…) ou matière (compostage).
Mettre en relation sources d’excédents et besoins locaux
L’étude pointe la difficulté pour les intermédiaires logistiques à identifier les sources et estimer leurs volumes et localisation : bien souvent les quantités d’excédents ne sont pas documentées par la restauration collective, et ceci même quand les intermédiaires mettent à disposition un outil informatique de suivi.
Les acteurs de la restauration collective manquent, quant à eux, d’information sur les intermédiaires et associations d’aide alimentaire présents dans leur périmètre géographique. Or cette connaissance est déterminante dans la mise en œuvre d’une collaboration de don. Dans un peu plus de la moitié des cas étudiés, la collaboration a été initiée par un tiers, un agent ou un projet politique.
Les auteurs de l’étude préconisent ainsi de mieux piloter les excédents - quels produits ? dans quelles quantités ? quand et où ? - et de mieux identifier la diversité des « receveurs » présents dans le voisinage, en qualifiant leurs besoins pour adapter les dons. Cela relève d’une ingénierie territoriale encore inexistante aujourd’hui. Les collectivités locales pourraient accompagner la structuration de ces nouvelles filières au titre du développement économique, de la restauration collective ou de l’action sociale.
Structurer et pérenniser
Les modèles économiques actuels sont variés mais fragiles car ils reposent majoritairement sur de la défiscalisation ou sur des subventions non pérennes. La plupart des cuisines centrales agissent pour réduire leur gaspillage, mais le coût réel du gaspillage effectif reste mal connu pour les collectivités comme pour les opérateurs de la restauration. Valoriser financièrement les excédents se heurte encore à une méfiance des acteurs de ces filières. Leur jugement moral sur ce qu’il est bon ou non de faire avec des excédents diffère.
Une structuration pérenne des filières passe par un accompagnement
Redistribuer les excédents nécessite des moyens humains et matériels (camions frigorifiques, chambres froides…) pour les associations comme pour la restauration collective. Les difficultés logistiques et l’irrégularité des quantités rendent la gestion complexe. La culture de la prévention des risques est parfois pointée comme un frein. Lorsque des interlocuteurs sont bien identifiés, avec un temps dédié et un protocole bien établi, tant dans les cuisines centrales que dans les associations, cela fonctionne bien sans intermédiaire. Dans d’autres cas, la présence d’intermédiaires peut alléger les charges pour les donneurs et les receveurs, et apporter des outils et une expertise aux donateurs.
Ces difficultés font que la loi Egalim n’est pas le moteur principal de l’organisation de ces filières de don ou de valorisation, en particulier parce qu’elle est insuffisamment relayée par des actions d’accompagnement.
Une structuration pérenne des filières passe par un accompagnement de la restauration collective mais également des associations d’aide alimentaire: formation à la maîtrise des risques dans la chaîne alimentaire, habilitation à utiliser ces excédents, réorganisation des approvisionnements. L’État et les collectivités peuvent avoir un rôle d’intermédiation, de communication et garantir le cadre. Il existe plusieurs guides du don alimentaire qui gagneraient à être mieux connus (guide du don des représentants des professionnels de l’alimentaire, Guides de l’Ademe pour un don de qualité 2023 ou encore le guide exhaustif de la DRAAF Rhône Alpes destiné spécifiquement à la restauration collective en 2013)
Des recherches à poursuivre
Une étude précise des modèles économiques des intermédiaires permettrait de mieux connaître le coût pour le contribuable du repas donné, et de le mettre en regard du service rendu aux associations.
Analyser les filières locales de don, la valorisation des excédents, les coûts évités, le cycle de vie des produits, l’intérêt des modèles économiques selon les contextes permettrait aux décideurs de mieux éclairer leurs choix.
En savoir plus :
Synthèse du projet Newlink pdf - 1.01 MB* Métaprogramme BioÉconomie des TERRitoires urbains (BETTER)
4 GRANDES CATÉGORIES DE RESTAURATION COLLECTIVE
- Restauration scolaire : crèche, maternelle, primaire, collège, lycée, université
- Restauration médico-sociale : hôpitaux, maisons de retraite
- Restauration d’entreprise
- Autres : centres de vacances, armée, prisons
LES CONTOURS DE L'ÉTUDE
Les difficultés organisationnelles et les leviers ont été explorés grâce à 26 entretiens (avec des représentants de la restauration collective, d’associations d’aide alimentaire et d’intermédiaires), un diagnostic de la chaîne du froid des intermédiaires, une analyse grâce à un outil d’aide à la décision collective et un atelier multiacteurs organisé avec l’Agence nouvelle des solidarités actives (Ansa).
Partenaires du projet : Excellents Excédents (entreprise intermédiaire spécialisée dans la logistique de l’aide alimentaire), associations Cantines responsables et Agence nouvelle des solidarités actives (Ansa)
Pour aller plus loin Aide alimentaire : réinventer le système
Le constat que, dans leur grande majorité, les personnes en situation de précarité alimentaire n’ont pas recours aux dispositifs d’aide alimentaire, met à jour la nécessité de rechercher d’autres pistes d’actions. D’autres recherches INRAE expérimentent différents dispositifs souvent portés par des collectivités territoriales et acteurs locaux : cantines scolaires, chèques alimentaires, apport en denrées en relation avec l’agriculture locale...