Agroécologie 4 min
L’information sur la pression de bioagresseurs : estimer sa valeur économique et son impact sur l’usage des pesticides
L’information sur le risque d’une attaque de bioagresseurs est généralement reconnue comme utile dans la prise de décision sur l’usage de pesticides. Cependant les évaluations de la valeur économique d’une telle information et de son impact sur l’usage des pesticides restent rares. Les chercheurs d’INRAE et de l’université Grenoble Alpes montrent dans une étude expérimentale parue dans la revue Theory and Decision que la valeur de l’information et son rôle dans la réduction de l’usage des pesticides dépendent de l’attitude des agriculteurs face au risque et à l’ambiguïté et du prix des produits phytosanitaires.
Publié le 07 juillet 2023
La réduction de l’usage des pesticides fait partie des enjeux majeurs de la transition agroécologique. Dans de nombreuses situations, l’utilisation de pesticides n’est pas systématique et l’agriculteur adapte son choix en fonction de ce qu’il observe sur sa parcelle. L’agriculteur peut aussi s’appuyer sur les informations fournies par les conseillers agricoles ou par des systèmes d'alerte précoce et réseaux d’observations telles que les Bulletins de santé du végétal (BSV). Il est généralement reconnu que l’information est utile pour l’agriculteur mais, pour autant, très peu d’analyses économiques ont été réalisées à ce jour pour évaluer la valeur économique de ce type d’information d’une part, et l’impact de cette information sur l’usage des pesticides d’autre part. Pour apporter les premières réponses à ces deux questions, les chercheurs ont travaillé sur un cas simplifié de lutte contre un seul bioagresseur en un seul traitement.
Risque et ambiguïté
Ce travail original s’intéresse à la valeur de l’information et de sa qualité en distinguant les notions de risque et d’ambiguïté.
Le risque renvoie aux situations où l’agriculteur connaît sans difficulté les probabilités de gains et de pertes liées à une attaque de bioagresseurs. De telles situations sont rares car elles nécessitent notamment des visites très fréquentes (et coûteuses) de parcelles en de nombreux endroits et une très bonne connaissance des évolutions épidémiques.
L’ambiguïté correspond à une méconnaissance des risques et plus précisément des probabilités de gains et de pertes.
Dans cette recherche, les scientifiques considèrent que l’apport de l’information permet de réduire l’ambiguïté à laquelle l’agriculteur fait face. Par exemple, la publication d’un BSV permet à un agriculteur d’avoir une meilleure idée de la pression de bioagresseurs dans ses parcelles.
L’information a une valeur si l’agriculteur montre une aversion pour l’ambiguïté
Les chercheurs montrent que l’information a de la valeur pour l’agriculteur si celui-ci préfère les situations où le risque est assez bien connu ou, autrement dit, s’il montre une aversion pour l’ambiguïté. L’effet sur l’usage de pesticide dépend du prix de celui-ci : s’il est très bas, l’agriculteur traitera avec ou sans information ; s’il est très haut, il ne traitera jamais ; et s’il est intermédiaire, alors son usage sera souvent réduit avec l’apport d’information.
Il existe néanmoins des situations où le prix du pesticide est assez élevé, si bien que l’agriculteur ne traite pas sans information car le fait de « traiter pour rien » est coûteux : l’information peut alors le conduire à traiter car il identifiera mieux les situations où le traitement est vraiment nécessaire. Dans le cas où le comportement observé de l’agriculteur révèle une préférence pour les situations avec plus d’ambiguïté, l’information ne présente pas de valeur, si bien qu’on peut penser qu’il ne l’utilisera pas.
L’information permet de réduire l’usage d’un pesticide si son prix est intermédiaire
L’expérience menée auprès de 84 agriculteurs et étudiants en BTS agricole a permis d’évaluer plus précisément l’attitude des agriculteurs face à l’ambiguïté et ses conséquences sur la valeur de l’information. La valeur moyenne de l’information se situe entre 1 € et 3,3 €/ha, et varie selon le type d’information apportée et sa précision. Néanmoins, en se focalisant sur les participants ayant montré une aversion à l’ambiguïté (59/84), cette valeur moyenne est plus importante et varie entre 4 et 11 €/ha. Enfin, lorsqu’on considère l’ensemble des participants, l’information conduit à une réduction de l’usage d’un pesticide.
Ces résultats nous éclairent sur la nécessité de tenir compte des facteurs comportementaux qui influent sur les décisions de recourir ou pas aux pesticides.
Ces résultats nous éclairent sur la nécessité de tenir compte des facteurs comportementaux qui influent sur les décisions de recourir ou pas aux pesticides. Ces facteurs, variables d’un agriculteur à l’autre, doivent être intégrés dès la conception d’instruments d’accompagnement mis à disposition des agriculteurs en vue de l’atteinte des objectifs de réduction de l’usage des produits phytopharmaceutiques tels qu’ils sont inscrits dans le Plan ÉcoPhyto II+. Néanmoins, cette première exploration met en évidence le besoin d’analyses complémentaires pour mieux tenir compte de la complexité de la lutte contre les bioagresseurs (multiplicité des bioagresseurs sur une culture et multiplicité des traitements) et de la spécificité de la relation entre l’agriculteur et son conseiller technique.
Cette recherche a été réalisée dans le cadre d’un projet plus large qui portait sur l’optimisation et l’évaluation de la valeur apportée par les dispositifs de biovigilance en agriculture, comme le BSV (projet VESPA financé dans le cadre du Plan ÉcoPhyto).
Elle s’appuie à la fois sur une analyse théorique et une expérience empirique auprès de 84 agriculteurs et étudiants en BTS agricole. L’analyse théorique permet d’étudier l’effet des paramètres de comportement d’un agriculteur sur la valeur de l’information liée à l’usage de pesticides. Dans l’expérience, les participants étaient confrontés à différentes situations où ils devaient choisir entre utiliser ou ne pas utiliser des pesticides, selon le prix du pesticide et une certaine information sur les probabilités d’attaque de bioagresseurs. Les situations faisaient référence à une maladie fongique sur blé ou colza. Les comportements observés ont permis de valider les conclusions obtenues du modèle théorique. Par ailleurs, au travers de leurs décisions, les participants révélaient des paramètres de comportement et le modèle théorique a été utilisé pour en déduire la valeur de l’information à partir de ces paramètres.
RÉFÉRENCE
Couture S., Lemarié S., Teyssier S., Toquebeuf P. (2023). The value of information under ambiguity: a theoretical and experimental study on pest management in agriculture. Theory and Decision, https://doi.org/10.1007/s11238-023-09942-y