Alimentation, santé globale Temps de lecture 10 min
À la poursuite des virus émergents
Vétérinaire et chercheuse, Claire Guinat explore les mécanismes de transmission des virus animaux. Spécialiste de la phylodynamie, elle combine génétique et épidémiologie pour éclairer les mécanismes invisibles des épidémies, notamment l’influenza aviaire. Ses travaux contribuent à mieux prévenir leur émergence.
Publié le 02 décembre 2025
Sur quoi portent vos recherches ?
Claire Guinat : Mes recherches visent à comprendre comment évoluent, émergent et se transmettent les maladies infectieuses animales, en particulier l'influenza aviaire hautement pathogène (IAHP), dont les épidémies sont de plus en plus fréquentes et sévères. Il s’agit donc de répondre à des enjeux scientifiques et de santé publique majeurs. Mes travaux se fondent sur une approche intégrative, la phylodynamie, qui combine données épidémiologiques et génomiques. Avec ces outils, je cherche à identifier les facteurs qui favorisent la propagation et l'adaptation des virus de l’IAHP dans différents contextes écologiques et épidémiologiques.
Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est la phylodynamie ?
Claire Guinat : C’est une approche qui permet de relier la génétique des virus à leur dynamique de transmission : elle aide à comprendre non seulement comment ils évoluent, mais aussi quand, où et dans quelles conditions ils se transmettent. Chaque virus porte une information génétique, qui change au fil du temps et de sa transmission. En comparant les séquences génétiques des virus trouvés chez différents animaux, on peut reconstituer leurs liens de transmission. Par exemple, des virus très semblables suggèrent souvent une contamination directe ou récente. C’est un peu comme dans une généalogie, où les proches parents partagent de nombreux traits communs. Si la phylodynamie est surtout utilisée pour analyser rétrospectivement les épidémies, le grand défi d’aujourd’hui est de pouvoir prédire leur évolution et transmission. Cela permettrait de mieux anticiper l’émergence de nouveaux virus et d’adapter les stratégies de contrôle.
C’était l’objet du projet TrackFLU ?
Claire Guinat : Le projet TrackFLU (2024-2029), pour lequel j’ai obtenu une bourse ERC Starting Grant du conseil européen de la recherche, se concentre sur les marchés d'oiseaux vivants au Cambodge, identifiés comme des écosystèmes favorables à la circulation et à l’émergence de virus. Au sein de ce projet, nous essayons d’identifier les pratiques qui favorisent ces risques. Nous n’avons pas encore toutes les réponses, mais nos hypothèses préliminaires concernent la mixité des espèces, le temps de présence des oiseaux sur place ou encore leur densité. TrackFLU intègre épidémiologie, écologie, et évolution afin de mettre au jour les mécanismes qui régissent la transmission et l’émergence des virus de l'IAHP au sein de ces réseaux complexes. Ce projet est le fruit d'une collaboration interdisciplinaire entre INRAE, l'Institut Pasteur du Cambodge et des partenaires locaux, garantissant ainsi un lien solide entre la recherche et société. À terme, nous échangerons avec les acteurs locaux pour comprendre les raisons de certaines pratiques à risque et discuter de solutions acceptables pour les réduire.
Quels sont les impacts de vos recherches pour la société ?
Claire Guinat : J’aime que ma recherche soit appliquée et puisse avoir un impact concret. Nous avons montré, grâce aux données épidémiologiques et génétiques des foyers d’IAHP entre 2016 et 2021, que la proximité et la densité d’élevages de canards influençaient de façon majeure la circulation du virus sur le territoire français. Ces résultats ont fourni des cartes de seuils de risque directement exploitables pour la gestion de la maladie. Nos résultats ont été communiqués au ministère en charge de l'agriculture et ont ensuite été intégrés dans de nouvelles réglementations nationales.
Vous êtes impliquée à l’international dans l’Autorité européenne de sécurité des aliments et dans l’initiative PREZODE : que vous apportent ces collaborations ?
Claire Guinat : À l’EFSA (en anglais, European Food Safety Authority), je participe à des groupes de travail en tant qu’experte scientifique sur l’IAHP, notamment sur les questions de risque de transmission, de surveillance et de mesures de contrôle. Cela me permet de partager mes connaissances, de confronter mes analyses à celles d’autres experts européens et de contribuer directement à des avis scientifiques qui orientent les décisions publiques.
Concernant PREZODE, j’ai fait partie du groupe scientifique qui a travaillé à la construction de l’agenda stratégique de cette initiative. Celle-ci vise à mieux prévenir les risques de zoonoses émergentes en combinant les expertises en santé animale, humaine et environnementale. Y contribuer m’a permis de renforcer les liens avec des chercheurs d’horizons très différents, et de faire en sorte que nos résultats s’intègrent dans une réflexion internationale sur la prévention des émergences.
Quels sont vos projets pour les années à venir ?
Claire Guinat : Je suis au début de ma vie de chercheuse et j’aimerais étendre mes approches à d’autres maladies animales, il en reste beaucoup à déchiffrer et cela me passionne !
Je souhaiterais construire un groupe dédié à la phylodynamie des maladies animales infectieuses. J’encadre actuellement 2 doctorantes et une postdoctorante sur ce sujet et c’est un aspect du métier que je trouve particulièrement stimulant. Dans le cadre des projets VIVACE et ZOOFLU, je superviserai bientôt une nouvelle doctorante et une postdoctorante qui étudieront l'impact de l’évolution virale et de la vaccination des élevages de volailles sur la dynamique de transmission de l'IAHP.
Enfin, j’aimerais continuer à faire partie d’une équipe de recherche internationale et interdisciplinaire, tout en préservant une belle dynamique scientifique et humaine, comme celle que nous avons aujourd’hui. C’est, à mes yeux, essentiel pour faire avancer la recherche.
LE PORTRAIT DE CLAIRE GUINAT
Vétérinaire de formation, Claire Guinat est aujourd’hui chercheuse en épidémiologie. Comme une détective, elle remonte la trace des virus qui circulent chez les animaux d’élevage et la faune sauvage à la recherche du « coupable ».
Découvrir son portrait.