Changement climatique et risques Temps de lecture 10 min
Une instrumentation durable pour les sciences de l’environnement
Ingénieur de recherche, Rémi Clément crée des instruments de mesure pensés pour être conçus, réparés et réutilisés par tous et toutes, chercheurs, techniciens ou collectivités. Son objectif : rendre les outils scientifiques transparents, adaptables et réparables, au service d’une recherche plus responsable et collective.
Publié le 02 décembre 2025
Quel est votre parcours ?
Rémi Clément : Hydrogéologue de formation, je me suis spécialisé en géophysique, avec un intérêt pour la caractérisation des écoulements dans les milieux poreux. Grâce à cette double casquette, j’étudie les procédés d’infiltration et de percolation des eaux, en particulier pour les surfaces qui reçoivent des eaux usées traitées et pluviales. Mes travaux m’ont conduit sur des terrains très variés, en montagne, dans les villes ou encore dans les territoires ultra-marins, partout où il est nécessaire de réintroduire l’eau dans le sol.
En quoi consistent vos recherches ?
Rémi Clément : Mes recherches portent sur le rôle épurateur naturel des sols. Lors de l’infiltration, l’eau traverse différentes couches qui se comportent comme un filtre vivant : elles retiennent les particules, dégradent la matière organique et transforment certains polluants. Ce traitement complète celui des stations d’épuration et participe à la recharge des nappes phréatiques. L’enjeu est de mieux comprendre ces processus pour que l’infiltration soit une solution sûre et durable.
Nous collaborons étroitement avec les agences de l’eau et les gestionnaires des collectivités afin de transposer nos résultats sur le terrain, accompagner la mise en œuvre de pratiques adaptées et, in fine, éclairer les politiques publiques.
Même si l’instrumentation ne représente qu’une part de mon activité, c’est un levier essentiel pour la recherche et pour nos partenaires.
Comment maîtriser l’instrumentation tout en réduisant les coûts ?
Rémi Clément : Pour mieux comprendre les écoulements, j’ai combiné sur le terrain des capteurs ponctuels et des méthodes géophysiques, mais souvent l’outil idéal n’existe pas. De plus, les instruments de mesure ne sont pas toujours adaptés au terrain et peuvent se révéler coûteux en maintenance et en réparation. C’est pourquoi, au sein de l’unité REVERSAAL, nous avons développé nos propres instruments, au travers de 2 projets emblématiques.
Le premier projet, OhmPi, est un résistivimètre open source (code ouvert) et open-hardware (matériel ouvert) destiné à caractériser les sols en laboratoire ou sur le terrain. Ce résistivimètre flexible s’adapte au besoin de l’utilisateur (puissance et nombre d’électrodes). Il se distingue par la rétrocompatibilité : les différentes versions sont compatibles entre elles et peuvent se combiner. Nous avons cherché à limiter les composants soudés sur la carte électronique pour qu’ils puissent être changés individuellement. OhmPi est aujourd’hui largement utilisé à l’échelle internationale pour mesurer la résistivité du sol pour des applications environnementales ou encore en génie civil. Il a ouvert la voie à de nouvelles collaborations, thèses et applications, comme la surveillance des digues, ou de sols pollués.
Le deuxième, SETIER, propose une instrumentation durable et accessible pour le suivi des stations d’épuration ou des installations de traitement d’eau. Il est conçu pour répondre aux besoins concrets des opérateurs. L’enjeu, notamment pour les agences de l’eau, est de proposer des solutions abordables, en particulier pour les petites stations d’épuration. Concrètement, le dispositif est modulaire et transformable type Lego et il est peu coûteux. Par exemple, il permet de surveiller la consommation énergétique avec des retombées directes en termes d’économies ou de réaliser des diagnostics ponctuels du fonctionnement de stations. En 2027, les centrales SETIER seront déployées dans les Caraïbes dans le cadre d’un projet avec l’Office de l’eau et le programme européen Interreg. Le projet porte sur le renforcement des dispositifs d’assainissement, et de leur suivi pour optimiser leurs performances, Elles seront accompagnées de formations locales pour garantir l’autonomie des utilisateurs.
Ces outils permettent aux techniciens et ingénieurs de faire des mesures, mais aussi de comprendre, d’adapter et d’entretenir leur matériel. OhmPi et SETIER couvrent des besoins variés, du suivi des sols à la gestion des eaux. Ils illustrent la polyvalence de l’instrumentation ouverte.
Comment avez-vous conçu cette instrumentation ?
Rémi Clément : Ma philosophie de travail, c’est une science collaborative, construite avec l’ensemble des membres de l’équipe et ouverte à tous. J’ai commencé seul, puis l’adhésion de collègues formidables a fait grandir le projet. Je suis fier de sa dimension fédératrice, nationale et internationale. Avec mes collègues INRAE, nous collaborons avec des partenaires clés comme l’IRD sur la partie électronique, les universités de Mons et de Liège (Belgique) sur le codage, le LIST (Luxembourg), le BRGM ou encore l’agence de l’Eau Rhône-Méditerranée-Corse.
Au retour d’une mission terrain, les composants sont démontés et seront remontés en fonction de futurs besoins. Ces outils sont utilisables sans expertise poussée en électronique. En plus des formations et ateliers que nous organisons, tous les plans, codes et tutoriels sont en accès libre sur une plateforme collaborative. Chacun peut reproduire et adapter ces instruments qui sont améliorés en continu grâce aux retours des utilisateurs. Ce sont aussi de bons outils pédagogiques pour nos étudiants.
Ces technologies sont low tech car elles sont simples, réparables et à faible impact environnemental. Elles peuvent être une solution dans des contextes où les financements sont insuffisants.
Les plans, codes et tutoriels sont en accès libre. Chacun peut reproduire et adapter ces instruments qui sont améliorés grâce aux retours des utilisateurs.
Et demain ?
Rémi Clément : Le succès d’OhmPi et SETIER a déclenché une dynamique d’innovation en géophysique et en instrumentation environnementale qui n’est pas près de s’arrêter. Je vais continuer de développer des instruments scientifiques durables, partager les savoir-faire et construire collectivement de nouveaux outils. Cette démarche s’inscrit dans une logique de sobriété technologique et de responsabilité sociétale portée par INRAE. Elle limite l’obsolescence et favorise la réutilisation des composants ainsi que la transparence dans nos recherche. Mon ambition est de la diffuser largement, aussi bien dans la recherche qu’auprès des acteurs du traitement de l’eau. Et pourquoi pas, à terme, porter un projet à l’échelle européenne autour de cette philosophie d’instrumentation ouverte.
Cette démarche s’inscrit dans une logique de sobriété technologique et de responsabilité sociétale portée par INRAE.
PORTRAIT DE RÉMI CLÉMENT
Ingénieur de recherche en hydrogéophysique, Rémi Clément explore comment l’eau circule dans les milieux poreux, en particulier dans les sols. Son but : développer des outils scientifiques modulaires pour les besoins des chercheurs mais aussi des utilisateurs.
Découvrir son portrait.