Dossier revue

Changement climatique et risques

Cherche porte-greffes adaptés à la sécheresse

Pour résister au manque d’eau, au-delà du feuillage qui régule la transpiration de la vigne, il faut compter avec les racines qui puisent l’eau du sol. Identifier des porte-greffes adaptés au changement climatique en caractérisant les effets du couple « porte-greffe et greffon », tel est le défi que le dispositif GreffAdapt veut relever. Retour sur expérimentation.

Publié le 21 août 2025

Planter des cépages étrangers, anciens ou nouvellement créés demeure difficile à concevoir pour certains. C’est le cas en particulier des maisons de renom et châteaux bien établis pour qui la notoriété des vins et leur diffusion commerciale reposent en grande partie sur leur origine et leur typicité. Changer serait bousculer les habitudes aromatiques des consommateurs, mais aussi ébranler la narration qui accompagne la reconnaissance d’un vin. Le porte-greffe, en revanche, est comparable au doubleur de voix d’un acteur célèbre, il reste dans l’ombre du cépage tout en étant essentiel à la production du vignoble. En France comme dans le reste du monde, les vignes domestiquées ne poussent pas sur leurs propres racines mais sur un porte-greffe. Sachant qu’il module la tolérance à la sécheresse, certains viticulteurs y voient un levier d’adaptation au changement climatique.

31 porte-greffes autorisés à la culture
5 porte-greffes seulement représentent 75 % des plantations.

Le vignoble français coiffé de greffons

Des porte-greffes de cépage de pinot meunier ont été plantés de façon à étudier leur sensibilité à l’infection par le virus du court-noué.

La généralisation des porte-greffes date du milieu du XIXe siècle alors que le phylloxéra, un minuscule insecte, apparenté au puceron, piquait les racines des vignes et entraînait leur mort en 3 ans. Cette maladie a ravagé le vignoble français jusqu’à ce qu’un système racinaire tolérant au phylloxéra soit découvert puis serve de porte-greffe aux cépages cultivés en France. N’ayant jusqu’à présent identifié aucun gène de résistance au phylloxéra, ni aucune méthode d’éradication efficace et durable, la filière continue d’utiliser ces porte-greffes sur lesquels sont greffées les parties aériennes du cépage d’intérêt. De nombreux échanges ont lieu entre les deux entités : les racines fournissent l’eau et les minéraux nécessaires au feuillage, aux fleurs, aux fruits qui en retour délivrent des sucres aux racines. Plusieurs études ont également montré une meilleure résistance au stress hydrique de l’ensemble de la plante lorsque son porte-greffe est tolérant à la sécheresse.
Pour exploiter cette tolérance, la communauté scientifique conduit deux stratégies non exclusives. La première consiste à identifier des porte-greffes utilisés à l’étranger qui seraient à la fois tolérants à la sécheresse et performants en France. La seconde consiste à innover en créant de nouveaux porte-greffes pouvant tolérer la sécheresse, mais aussi capables de contrôler le court-noué, principale maladie infestant aujourd’hui les racines.

GreffAdapt, pour trouver les combinaisons gagnantes

Le génotypage des porte-greffes permettra de comparer finement la diversité génétique du matériel végétal utilisé.

Afin d’identifier parmi les porte-greffes étrangers ceux qui pourraient s’adapter à nos régions et nos cépages, INRAE a installé à Bordeaux une parcelle appelée GreffAdapt. Depuis 10 ans, les scientifiques y comparent les 30 porte-greffes déjà commercialisés en France à 25 porte-greffes étrangers tolérants à la sécheresse. Chacun est associé à 5 greffons choisis pour maximiser la diversité génétique parmi des cépages bien répandus (cabernet-sauvignon, grenache, pinot noir, syrah, ugni blanc). Ce dispositif est donc composé de 275 combinaisons de greffons-porte-greffes, ce qui en fait un lieu d’expérimentation unique au monde. Leur réponse au manque d’eau est évaluée afin d’estimer leur adaptabilité et de sélectionner les meilleurs candidats à l’inscription au catalogue officiel français. Par ailleurs, le génotypage des porte-greffes, prévu fin 2025, permettra pour la première fois de comparer finement la diversité génétique du matériel végétal utilisé. Les résultats ouvriront la voie à la présélection, c’est-à-dire le casting des parents élus pour créer de nouveaux porte-greffes.

La création de nouveaux porte-greffes

« C’est une approche à long terme car les gènes impliqués dans la réponse à la sécheresse sont très nombreux », explique Elisa Marguerit, enseignante à Bordeaux Sciences Agro et chercheuse dans l’unité EGFV. Au moins 3 mécanismes régissent la réponse du porte-greffe au stress hydrique : sa capacité à extraire l’eau, à la transférer vers le greffon et à « actionner » le mécanisme d’élimination d’eau ou de régulation, notamment par la transpiration du feuillage. Des observations ont montré qu’un porte-greffe tolérant à la sécheresse produit plus de racines durant l’été qu’un porte-greffe sensible. Par ailleurs, un porte-greffe comme 110R connu pour sa résistance à la sécheresse possède plus de vaisseaux conducteurs. Troisièmement, il réduit la transpiration de son greffon plus tardivement qu’un porte-greffe sensible tel que riparia gloire de Montpellier. Elisa Marguerit tente de relier ces caractères d’intérêt agronomiques avec des zones du génome. « Nous essayons d’identifier le maximum de gènes d’intérêt afin de pouvoir en combiner un certain nombre dans un seul porte-greffe, qui serait notre mouton à 5 pattes. Nous souhaitons en créer plusieurs car l’idée d’un porte-greffe unique et idéal est peu réaliste et n’est pas souhaitable. Il est important de maintenir une diversité dans l’usage des ressources génétiques. » Une considération essentielle compte tenu de la situation actuelle : seulement 5 porte-greffes couvrent les trois quarts du vignoble français.