Dossier revue

Changement climatique et risques

À la recherche du bon cépage pour s’adapter

Durant 10 ans, INRAE a suivi le développement de 52 cépages afin d’estimer leur capacité d’adaptation au changement climatique et aux conditions pédoclimatiques du Bordelais. Les plus prometteurs sont maintenant testés dans les vignobles des appellations. Tour d’horizon.

Publié le 21 août 2025

La diversité des vignes est spectaculaire. Près de 6 000 cépages sont répertoriés dans le monde et près de la moitié sont conservés dans la collection nationale au Centre de ressources biologiques de la vigne, au sein du centre INRAE Occitanie-Montpellier. Feuilles orbiculaires, tronquées, composées de 3, 4 ou 5 lobes découpés par des dents aux bords convexes, rectilignes ou mixtes, surmontés de poils couchés ou dressés… Quant au limbe, est-il gaufré, ondulé, cloqué, bullé, révoluté ? La forme ou la couleur des baies et des grappes jouent autant que celles des feuilles dans les 160 descripteurs utilisés par les ampélographes pour différencier les cépages. C’est au sein de cette fantastique diversité que certains ont trouvé des variétés plus adaptées au réchauffement climatique.

Maintenir un haut niveau de diversité dans une population végétale consolide sa capacité à réagir face aux bioagresseurs

Le Centre de ressources biologiques du centre INRAE Occitanie-Montpellier est le plus grand conservatoire mondial. Il abrite 8 500 accessions, qui représentent 

5 900 cépages, 

450 vignes sauvages, 

1 350 hybrides interspécifiques, 

450 porte-greffes 

et 350 espèces de vitacées.

 

VitAdapt, une expérimentation pionnière

 Bouturage en serre, sur plant de vigne – Unité EGFV.

Grâce à un dispositif expérimental unique au monde, VitAdapt plonge au cœur de la diversité variétale. Installée depuis 2009 sur le domaine INRAE de la Grande Ferrade, à proximité de Bordeaux, cette parcelle accueille 52 cépages différents recouvrant des références bordelaises et un éventail de vignes étrangères susceptibles de bien s’adapter au réchauffement et à l’environnement pédoclimatique de la région. Son suivi pendant plus de 10 années par l’unité Écophysiologie et génomique fonctionnelle de la vigne (EGFV) a permis d’obtenir un classement des vignes selon leur précocité lors des 3 principaux stades de développement (débourrement, floraison et véraison). « On a constaté de très fortes disparités, jusqu’à 15 jours de décalage entre les cépages au cours de la floraison, rapporte Agnès Destrac Irvine, responsable de la parcelle au sein de l’unité EGFV. Or, une avancée de ce stade peut être très handicapante pour la nouaison (reproduction), qui se déroule alors dans des conditions plus humides et moins chaudes, favorables aux avortements. » 
Résultats, certains cépages développent des stratégies de survie tout à fait inefficaces en viticulture. C’est le cas du cornalin suisse : « il est redevenu la liane sauvage et peu productive qu’est la vigne au départ, explique la chercheuse. C’est la stratégie mise en place par ce végétal pour survivre aux conditions du Bordelais. » Heureusement, des cépages portugais comme le touriga franca ou tinto cão semblent beaucoup mieux réagir au sol bordelais et à l’évolution climatique observée sur 10 ans. Toutefois, la chercheuse se garde bien de suggérer un cépage plus qu’un autre aux viticulteurs car de nombreux autres paramètres entrent en compte dans le choix d’un vignoble : le goût du vin produit, sa couleur, l’histoire de son cépage, sa résistance aux maladies, son rendement, etc.
Le classement phénologique des vignes élaboré par VitAdapt aide les viticulteurs à identifier leur futur cépage. Chez les scientifiques, il fait des émules : BritAdapt est né dans le Kent (Angleterre) en 2015 ; dans le Douro (Portugal), un dispositif analogue évalue 53 variétés depuis 2014 ; en Espagne, 11 vignobles ont été plantés en 2024 dans le même but. « Quand j’ai démarré VitAdapt, j’étais convaincue que le matériel végétal avait un potentiel d’adaptation et je n’ai pas été déçue par la diversité des réponses offertes. Voir ensuite la réglementation favoriser le déploiement de Variétés d’intérêt à des fins d’adaptation (Vifa) a été la cerise sur le gâteau », commente la chercheuse.

Le classement phénologique des vignes élaboré par VitiAdapt aide les viticulteurs à identifier leur futur cépage

Vifa, des cépages adaptés testés chez les exploitants

Verdejo, xinomavro, calabrese… des sonorités qui évoquent l’Espagne, la Grèce et la Sicile mais dont les ceps poussent désormais en France dans des aires géographiques sous appellation d’origine protégée (AOP) comme en côtes-de-Provence où 4 hectares de verdejo côtoient les syrah et grenache majoritairement utilisés pour l’assemblage de cette AOP.
Une implantation rendue possible dès 2018 grâce à un décret sur les cahiers des charges des appellations d’origine qui autorise les professionnels à expérimenter des cépages adaptés au réchauffement climatique. Outre les vignes étrangères, on y trouve aussi des croisements tel que l’arinarnoa, un cépage rouge à maturité tardive obtenu à INRAE dans les années 1950. Depuis 2024, on y trouve également des variétés résistantes issues du programme Resdur porté par INRAE. Leur déploiement est encadré, notamment en AOP où la surface plantée de Vifa est limitée à 5 % d’une exploitation et leur proportion dans l’assemblage d’une bouteille plafonnée à 10 %. Au bout de 10 années, l’Institut national de l’origine et de la qualité (INAO) décidera du statut qui sera donné aux Vifa dans les cahiers des charges.
Aujourd’hui, 32 AOP et 26 IGP sont engagées dans cette aventure. « Dans le Bordelais, nous n’avions que 2 viticulteurs en 2020, nous en comptons 38 en 2024 et plus de 300 hectares plantés », se réjouit Agnès Destrac Irvine. En relation avec le Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux (CIVB) et le Vinopôle 33, elle pilote un projet qui consiste à recueillir les données agronomiques des Vifa en expérimentation. En Nouvelle-Aquitaine, 6 variétés testées par VitAdapt ont été intégrées à titre expérimental dans le cahier des charges des vins de Bordeaux.
Si ces expérimentations sont un succès, la France pourra élargir le spectre de son encépagement qui se révèle actuellement plutôt restreint. En effet, 70 % des surfaces viticoles sont occupées par seulement 10 cépages. Or, maintenir un haut niveau de diversité dans une population végétale consolide sa capacité à réagir face aux bioagresseurs. Planter des Vifa permettrait un coup double : celui de mieux s’adapter au réchauffement tout en renforçant la résistance collective aux pathogènes. 

Prélèvement de feuilles dans une vigne de cépage Artaban à Villenave d’Ornon.


 

Trouver le clone « différent »

Plus de 95 % du vignoble français est planté avec des clones, c’est-à-dire des plants issus d’une reproduction végétative (non sexuée). Une piste consiste à chercher au sein des clones d’un même cépage celui qui peut faire la différence. En France, l’utilisation de vignes clonées certifiées s’est généralisée en 1960 pour contrer une virulente épidémie de court-noué. Depuis, l’Institut français de la vigne et du vin (IFV) a pour mission de sélectionner des plants, de les multiplier par clonage, de vérifier 
qu’ils sont exempts de court-noué et d’autres maladies avant de les livrer aux pépiniéristes. Cette procédure garantit aux vignerons un matériel végétal sain.
Chaque clone diffère du parent initial par le fruit de mutations spontanées et naturelles pouvant être liées à des anomalies cellulaires, des facteurs épigénétiques (qui modulent l’expression des gènes) ou un virus non agressif. 
 

Un exemple est le groupe variétal des pinots, qui possède au moins 1 000 clones identifiés, dont certains ont un marquage chromatique si prononcé qu’on les considère désormais comme des cépages différents (pinot blanc, noir et gris). La variabilité s’observe aussi dans le vin produit à partir de clones différents. Dans le pinot, cela donne le dijon clone 115, qui présente une rondeur en bouche tandis que le pommard clone 5, est plus minéral et le wadenswil (2A) davantage floral. En tout, 48 clones différents du pinot sont agréés pour la commercialisation.Cette diversité au sein d’un même cépage pourrait être exploitée pour sélectionner des spécimens plus résilients face au changement climatique et plus résistants aux maladies. Concernant le cycle de développement, par exemple, une étude sur le chenin montre un écart de 15 jours au cours de la véraison entre les plus précoces et les plus tardifs des clones. Pour ce qui est de la qualité gustative du vin, une autre étude a identifié deux clones extrêmes de merlot dont les baies présentent une différence de composition en sucre équivalent à 1 degré d’alcool.

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