Dossier revue

Changement climatique et risques

La création variétale, une voie royale

Des racines jusqu’au feuillage, le matériel végétal est un levier d’action majeur pour répondre aux défis de ce xxie siècle : résister aux maladies, échapper aux coups de chaud, fournir des vins qui plaisent… Grâce aux connaissances apportées par la génétique et aux travaux de sélection, de nouvelles variétés de vigne commencent à faire leurs preuves dans le vignoble. Éclairages.

Publié le 20 août 2025

La vigne est passée du statut d’espèce génétiquement peu étudiée à la 4e espèce végétale dont le génome a été entièrement séquencé

Dans les années 2000, la vigne est passée du statut d’espèce génétiquement peu étudiée à la 4e espèce végétale dont le génome a été entièrement séquencé. Un saut opéré en moins de 7 ans grâce au travail précurseur de l’International Grape Genome Program, un consortium franco-italien créé par INRAE. Cette prouesse scientifique a ouvert un potentiel inédit de découvertes que l’unité mixte de recherche Santé de la vigne et qualité du vin (SVQV) continue d’explorer. Basés à Colmar, les généticiens de cette unité créent des vignes résistantes aux maladies les plus dommageables tout en produisant des baies aptes à être vinifiées. Dotées de gènes pour se défendre contre le mildiou et l’oïdium, ces vignes sont beaucoup moins gourmandes en produits phytosanitaires. Alors qu’en moyenne 12 traitements annuels sont nécessaires contre ces maladies, les variétés résistantes se contentent de seulement 2 traitements. L’objectif est maintenant de coupler ces résistances avec une capacité à mieux s’adapter au changement climatique.

80 % de produits phytosanitaires en moins

En France, la viticulture se situe au 2e rang dans l’utilisation de produits phytosanitaires, après les céréales. Elle n’occupe que 3 % des surfaces cultivées mais concentre 20 % du tonnage des matières actives de produits phytosanitaires. Une situation dont la profession souhaite s’extraire compte tenu des attentes sociétales, des effets sur la santé et l’environnement ainsi que des objectifs du plan gouvernemental Écophyto.
La grande majorité des traitements cible le mildiou et l’oïdium, 2 champignons causant des maladies majeures pouvant provoquer la perte totale de la récolte. Si les fongicides de synthèse sont efficaces, ils n’en demeurent pas moins problématiques en raison de leur impact environnemental et sanitaire. Leur efficacité peut aussi s’affaiblir au cours des utilisations, du fait de résistances développées par ces champignons. Quant au soufre et au cuivre, utilisés notamment en viticulture biologique, les effets du premier sont partiels alors que le second s’accumule dans les sols et en réduit la biodiversité.
Une alternative consiste à cultiver des variétés de vignes capables de résister aux 2 maladies avec très peu d’intrants. Créées dans les laboratoires d’INRAE, ces variétés font chuter d’au moins 80 % le nombre de traitements nécessaires. En outre, des études ont montré qu’elles réduisaient considérablement les coûts liés à l’achat des fongicides, le temps de l’épandage et l’empreinte carbone générée par les engins de pulvérisation. 

12 variétés INRAE résistantes grâce à plusieurs gènes

12 variétés résistantes aux maladies

En blanc : 
Floréal et Voltis (2018), 
Selenor et Opalor (2021), 
Artys et Exelys (2024).

En rouge : 
Artaban et Vidoc (2018), 
Coliris, Lilaro et Sirano (2021), 
Calys (2024).

Floréal, Artaban, Opalor, Selenor, Calys, Artys… ces nouveaux cépages sont le fruit de croisements entre des géniteurs obtenus à INRAE à partir des années 1970 et diverses souches présentant un intérêt complémentaire. Sous serre ou en extérieur, les scientifiques déposent manuellement le pollen d’une variété choisie sur les organes femelles d’une autre variété, sélectionnée pour être la mère. Les fleurs fécondées se développent en baies dont les pépins sont extraits pour produire de nouveaux plants. Ces opérations ont permis de créer 20 000 pépins au cours des 25 années du programme Resdur. Suivant cette approche, INRAE crée chaque année de nouveaux hybrides qui sont ensuite sélectionnés puis plantés et enfin testés pour leurs qualités agronomiques (vigueur, croissance, rendement…) et œnologiques (arômes, couleur, acidité, etc.). Une quinzaine d’années sont nécessaires entre les premiers croisements et l’agrément pour la commercialisation : 3 années pour réaliser les croisements, la sélection, la culture en serre, le greffage puis 12 années d’expérimentation au vignoble pour atteindre la mise à fruit, recueillir suffisamment de données, vinifier et effectuer les analyses sensorielles qui garantissent la qualité du vin obtenu.
 

L’intérêt des variétés résistantes, appelées « variétés Resdur », est qu’elles possèdent plusieurs gènes pour se protéger d’une maladie.

L’intérêt de ces variétés résistantes, appelées « variétés Resdur », est qu’elles possèdent plusieurs gènes pour se protéger d’une maladie. Chaque gène met en place une alarme capable de reconnaître un bioagresseur lorsqu’il est présent. En cas d’attaque, l’alarme déclenche chez la plante une réaction de défense consistant à nécroser ses feuilles atteintes par le pathogène : elle sacrifie une partie d’elle-même pour sauver l’essentiel. De génération en génération, les bioagresseurs peuvent cependant évoluer pour contourner ce système de défense et passer sous les radars de l’alarme. Pour l’éviter, le meilleur moyen est d’accumuler des alarmes différentes en combinant les gènes de résistance, c’est la caractéristique des variétés Resdur. Les dernières-nées, produites en 2025, possèdent 3 gènes de résistance contre le mildiou et 2 contre l’oïdium.

Oscar, un observatoire de surveillance

Examen de feuilles dans une vigne. L’équipe « Gestion durable des résistances variétales » (de l’UMR SAVE, Santé et agroécologie du vignoble) étudie l’adaptation des agents pathogènes à la résistance génétique de la vigne.

Afin de surveiller les mutations que les pathogènes pourraient mettre en œuvre contre les résistances de la vigne, un Observatoire national du déploiement des cépages résistants (Oscar) a été créé en 2017. Il surveille 32 variétés résistantes aux maladies sur 122 hectares plantés de vignes Resdur et d’autres variétés résistantes disponibles sur le marché européen. Son efficacité a été mise à l’épreuve en 2024, lors d’une forte attaque de mildiou sur des parcelles du bassin méditerranéen. En moins de 3 mois, 150 parcelles ont été inspectées par les chambres d’agriculture, des échantillons prélevés puis analysés par les laboratoires d’INRAE. Dans 95 % des parcelles visitées, les variétés résistantes ont eu un niveau d’efficacité correspondant aux attentes. Des contournements de résistance ont été rapidement identifiés et communiqués dans 4 parcelles plantées avec une variété Resdur et une variété étrangère. Premier constat, ces contournements sont des événements locaux ; second point, ils sont survenus dans un contexte très favorable au mildiou du fait de la forte humidité liée à des pluies exceptionnelles et à la proximité du Rhône ; enfin, la conduite des parcelles concernées n’était pas toujours adaptée.
Il est fortement conseillé de coupler les variétés résistantes à des pratiques culturales freinant le développement des pathogènes (relevage, palissage, gestion des sols…) tout en respectant le nombre minimum de traitements recommandé. « Il est essentiel de conserver 2 traitements annuels à compléter en cas de forte pression », souligne Anne-Sophie Miclot, responsable d’Oscar et directrice adjointe de l’unité Santé de la vigne et agroécologie du vignoble (SAVE). Son collègue Rémy Cailliatte participe également à la coordination de l’observatoire au sein du département Biologie et amélioration des plantes. Il estime qu’il ne s’agit pas seulement de sauver une parcelle : « il faut conserver durablement le caractère résistant de ces vignes, c’est un patrimoine commun issu de décennies de recherches. »

12 programmes régionaux alliant résistance et typicité

La tradition française veut qu’un vin soit issu d’un cépage, ou d’un assemblage de cépages, associé à un terroir ou à une région, reconnus par le consommateur et perpétués par les vignerons. Ce sont les exigences des appellations d’origine protégées (AOP) qui garantissent une typicité des vins pouvant être bouleversée par les variétés Resdur. En effet, ces dernières, créées pour résister aux maladies, satisfaire le palais des consommateurs et répondre aux attentes agronomiques, n’ont pas encore de terroir d’attache. Allier la résistance d’un nouveau cépage à la typicité de son vin dans un terroir, tel est l’objectif des 12 programmes de sélection menés en région depuis 2018 par INRAE avec son partenaire historique l’Institut français de la vigne et du vin (IFV) et les interprofessions régionales.
Dans ce cadre, les chercheurs d’INRAE créent des plants issus de croisements entre des géniteurs résistants et des cépages typiques tels que le chardonnay pour la Champagne ou le riesling et le gewurztraminer pour l’Alsace. Dans le vignoble alsacien par exemple, 250 descendants de ces croisements sont actuellement testés. « Contrairement aux variétés Resdur dont les potentiels agronomiques et œnologiques ont été validés par l’inscription au catalogue officiel, ces nouveaux hybrides ont certes une résistance mais on ne connaît pas a priori leurs propriétés au champ, on ne sait pas s’ils sont capables de faire des raisins de qualité », explique le responsable de l’unité SVQV, Éric Duchêne. Cette première évaluation au champ, appelée « sélection intermédiaire », est prise en main par les professionnels et dure 6 années. S’ensuit une seconde évaluation, dite VATE (Valeur agronomique technologique et environnementale) pour l’inscription au catalogue. Le processus est long : pour les premiers résultats, rendez-vous en 2030.

La cuverie du domaine expérimental viticole de Couhins en Gironde.

Résistance, typicité, mais aussi adaptation au réchauffement

Après les cépages résistants et typiques, il est important d’envisager des cépages adaptés au changement climatique. Les mécanismes et les gènes impliqués dans cette tolérance étant beaucoup plus nombreux que ceux liés à la résistance aux maladies, les scientifiques attaquent le sujet sur plusieurs fronts en parallèle. Premier front, celui du décalage temporel : sous l’effet du réchauffement climatique, le développement de la plante est plus précoce, c’est l’effet le plus marquant du changement climatique sur la vigne.
Partout en France, mais également dans le reste du monde, les vendanges se font de plus en plus tôt dans l’été. En Alsace, la récolte a gagné 25 jours entre 1950 et 2020. Avec des hivers plus doux, les premiers bourgeons sortent plus précocement, ce qui les expose davantage au gel printanier. La maturation des baies, elle, se déroule désormais au plus chaud de l’été. Cela change la composition des raisins, qui deviennent plus sucrés et moins acides, deux caractères gustatifs en opposition avec les attentes des consommateurs pour les vins de demain.
 

Débourrement : Point de départ de la croissance de la plante. Stade durant lequel les bourgeons sortent du coton sous la forme d’une pointe verte ou rouge.

Véraison : Début du processus de maturation des raisins qui 
se termine avec la vendange. Stade durant lequel les baies s’éclaircissent pour le raisin blanc et se colorent pour le raisin noir.

Partout en France mais aussi dans le reste du monde, les vendanges se font de plus en plus tôt dans l'été

Les généticiens de Colmar ont identifié sur le génome de la vigne des zones qui gouvernent les dates de débourrement, de floraison et de véraison. Dans le riesling par exemple, les chromosomes 7 et 14 influent sur la date de floraison, les 16 et 18 pilotent la véraison. Les chercheurs ont conçu un génotype virtuel doté des chromosomes codant pour des dates de véraison les plus tardives possibles afin que les baies mûrissent dans des conditions moins chaudes. « Ce génome, qui n’existe pas, rappelle Éric Duchêne, pourra nous guider dans les futurs croisements à faire afin de maximiser la tardivité dans un cépage. » Prochaine étape, faire un génotype virtuel pour le stade débourrement, lorsque les bourgeons apparaissent.
Autre front d’attaque : intervenir directement sur la composition des raisins, elle-même affectée par la chaleur. Les généticiens se penchent en particulier sur le niveau d’acidité, facteur déterminant dans l’appréciation d’un vin. Donne de départ : le consommateur aime l’acidité. Constat de terrain : l’élévation du mercure la fait chuter. Objectif : identifier une séquence du génome codant pour un pH convenable. Une étude menée chez 120 descendants d’un croisement entre riesling et gewurztraminer a permis d’identifier 2 zones du génome impliquées dans le niveau d’acidité. Ce n’est que le début d’une saga variétale ; prochainement, ces résultats seront testés chez d’autres descendants et dans d’autres croisements.


 

PlastiVigne : créer des vignes tolérantes à la sécheresse

En 2022, un tiers des sols français subissait une sécheresse s’étalant sur 10 mois. Une situation inédite depuis les premiers relevés de Météo France, en 1950. Ce genre d’épisode risque de s’intensifier et de se multiplier. Si le vignoble français est globalement affecté, certaines variétés se défendent mieux : elles parviennent à moins transpirer la nuit, à mieux extraire l’eau via leurs racines, à réajuster l’efficience de leur transpiration à l’échelle de la plante, ou encore à augmenter le carbone des feuilles en prenant celui des bois (ce qui limite la photosynthèse consommatrice d’eau). Analyser l’origine génétique de cette variabilité est le but du projet PlastiVigne. Si les objectifs et les protocoles sont essentiels, le matériel végétal l’est tout autant. Il aura fallu 3 ans à l’équipe Diversité adaptation et amélioration de la vigne (DAAV) en charge du projet au sein de l’unité AGAP Institut à Montpellier pour définir les 279 génotypes de vignes reflétant parfaitement la diversité génétique des 3 000 Vitis vinifera conservées dans la collection nationale. 

Baptisées « panel 279 », ces vignes sont implantées depuis 2021 dans un champ de l’unité expérimentale de Pech Rouge (Aude) où chaque génotype sera soumis à 2 régimes hydriques différents. Le cycle de développement (la phénologie), l’architecture des plants, leur fonctionnement et leur comportement seront évalués dès 2026. Grâce à l’installation d’un nouveau robot dans l’unité mixte technologique Oenotypage, ces travaux de recherche iront jusqu’à la vinification et l’analyse organoleptique des 279 variétés. À ce stade, PlastiVigne identifiera plus précisément les gènes impliqués dans les réponses phénologiques. Tout en creusant ce sillon, Patrice This, directeur de l’équipe DAAV, élargit son horizon au-delà des frontières : un sosie du panel 279 a été implanté en Espagne et en Allemagne en 2024, suivront en 2025 l’Italie et la Croatie puis, l’année suivante, le Portugal, la Géorgie et Israël. L’intention est d’unir les forces scientifiques contre une menace commune : le changement climatique.

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