Dossier revue
Changement climatique et risques« Une révolution silencieuse dans les vignobles »
Jean-Marc Touzard est agronome et économiste de l’innovation à INRAE (unité Innovation). Ses recherches de Jean-Marc Touzard portent en particulier sur l’adaptation de l’agriculture au changement climatique.
Publié le 21 août 2025
Pour faire face aux défis du XXIe siècle, vous plaidez pour une évolution de la filière vigne et vin. Quelles pourraient être les pistes d’évolution ?
Face à une polycrise, les réponses sont multiples, il faut accepter de les combiner. Renouveler les vins de terroir en valorisant davantage l’environnement est une voie.
Lancer de nouveaux vins, par exemple désalcoolisés, en est une autre. Mais la diversification est incontournable. Je viens de visiter les domaines Fabre, dans l’Aude, qui ont planté des cognassiers et pommiers au milieu des vignes pour produire des jus et des cidres. Au domaine du Chapitre, près de Montpellier, INRAE teste l’association avec des grenadiers et des figuiers. Cette polyculture réduit les risques économiques et peut limiter la pression de ravageurs, favoriser la vie des sols ou même réguler le climat local. Dans le Minervois, les moutons et les chèvres sont réintroduits dans les parcelles pour assurer le désherbage. Autre piste : rémunérer les services rendus pour l’aménagement et l’entretien du paysage, la séquestration de carbone et la lutte contre les incendies. À Banyuls-sur-Mer, les vignes remplissent toutes ces fonctions sur des coteaux où elles sont les seules à pouvoir pousser. L’ensemble de ces actions peuvent être valorisées par l’œnotourisme, qui rencontre un formidable essor.
Les vignerons sont-ils prêts à modifier leurs pratiques, voire à changer de métier ?
La filière a toujours été confrontée à des défis et a su les relever. Au XIXe siècle, face à la crise du phylloxéra, la solution technique du porte-greffe a été adoptée. Au XXe siècle, les crises liées à la surproduction ont été surmontées par une régulation des marchés, la création des appellations, des aides à la restructuration. La filière viticole a prouvé sa capacité de résilience. Lors du projet Laccave (2012-2021) portant sur l’adaptation au changement climatique, nous avons constaté que les vignerons et leurs organisations expérimentaient des solutions, souhaitaient les partager et les évaluer avec nous. Partout en France, des recherches participatives, des living labs et des démonstrateurs se mettent en place pour explorer des solutions innovantes. La situation économique étant difficile, pour compléter leur revenu beaucoup ont déjà investi dans l’œnotourisme et d’autres développent des activités annexes au sein de leur exploitation (paysagiste, pompier, électricien…). Pour les changements de pratiques, je suis aussi optimiste : une enquête auprès de 412 viticulteurs dans le cadre de Vitirev montre que 1 sur 2 se déclare prêt à réduire son IFT (indicateur de fréquence de traitements phytosanitaires) si les pertes de rendement sont assurées. Testée par un living lab durant 4 ans, une assurance maladie de la vigne a permis de réduire de 30 à 55 % les fongicides.
Cette approche est nouvelle pour les scientifiques aussi…
L’approche descendante de la science me semble obsolète. Au contact des professionnels et dans le contexte d’urgences climatiques, environnementales et sociales, nous réajustons en permanence nos objectifs et nos méthodes. Il faut accepter de réduire le pas de temps de nos études, d’intégrer une part d’incertitude, de débattre de la pluralité d’options, avec souvent, des controverses. Les pistes d’évolution que j’ai citées sont une révolution silencieuse dans les vignobles. Personne n’ira breveter le fait de mettre des brebis dans une parcelle. Ce sont des idées, des options, que nous étudions de façon scientifique mais qui relèvent de biens communs.
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Anaïs Joseph
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Rédactrice
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Nathalie Ollat, Patrice This, Jean-Marc Touzard
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