Dossier revue

Changement climatique et risques

Déceler et mesurer les véritables motivations des consommateurs

Éric Giraud-Héraud, économiste à INRAE (unité Bordeaux sciences économiques), mène des études sur le consentement à payer des consommateurs. Il est porteur de la chaire « Attentes sociétales, vins et vignobles » de l’Institut supérieur de la vigne et du vin (ISVV).

Publié le 21 août 2025

Quels sont les critères qui entrent prioritairement en jeu dans le choix des consommateurs ? 

Éric Giraud-Héraud

Toutes les études montrent que la performance organoleptique (le goût) demeure le critère numéro un dans le consentement à payer des consommateurs. Ce consentement mesure le prix maximum que les consommateurs sont prêts à dépenser pour une bouteille. Dans notre unité, outre des enquêtes déclaratives, nous utilisons différentes procédures incitatives pour révéler ce consentement. On s’assure notamment que les participants sont réellement prêts à payer la valeur qu’ils déclarent en les engageant dans le processus d’achat d’une bouteille qu’ils ont testée. Premier constat, ils savent discriminer les vins selon leur qualité organoleptique et en font un critère important. Mais ce critère est défié par de nouveaux enjeux tels que les modes de production, la « naturalité » et des critères sanitaires (absence de résidus de pesticides et de sulfites). J’en veux pour preuve plusieurs marchés expérimentaux menés depuis 2015 montrant que, pour un vin biologique, l’ensemble des consommateurs serait prêt à payer 10 % de plus. Une partie d’entre eux irait même jusqu’à 50 % de plus.

Concernant le vin biologique, vous évoquez un halo de confusion entre performance sanitaire et environnementale. Parvenez-vous les distinguer dans vos études ?

C’est compliqué, mais il est possible d’isoler une performance purement environnementale, comme le respect de la biodiversité dans les exploitations, et d’en étudier les effets sur le consentement à payer. Dans cet bjectif, nous avons proposé à l’équipe d’Adrien Rusch, écologue INRAE dans l’unité SAVE, la création d’un indicateur Biodiv-Score, à l’image du Nutri-Score. L’effet de cet indicateur sur les consommateurs est remarquable puisque le supplément de consentement à payer pour des vins Biodiv-Score de classe A est comparable à celui de vins biologiques. Concernant l’aspect sanitaire, nous avons confectionné, avec l’unité Œnologie, des grands crus de Bordeaux sans sulfite. Réalisé dans les conditions strictes avec un matériel performant, le vin a obtenu l’approbation des œnologues consultés. Cinq ans plus tard, en 2025, ce même vin présente de nouvelles notes fruitées et davantage d’intérêts organoleptiques, un constat à l’encontre des idées reçues qui voudraient qu’un vin sans sulfite s’altère avec le temps. Notre constat est que les motivations des consommateurs sont moins bien connues qu’on ne le pense.

Vous constatez une inadéquation entre l’offre et la demande au niveau organoleptique. Est-ce la raison d’une forme de désamour pour le vin ? 

Pas uniquement, mais en partie certainement. La demande tend vers des vins fruités, légers et moins alcoolisés tandis qu’une grande partie de l’offre se situe à l’opposé. Les professionnels en ont plus conscience aujourd’hui, mais nos recherches le montraient déjà il y a une dizaine d’années. Plusieurs raisons expliquent cette situation. Primo, le changement climatique tire les vins vers plus d’alcool, moins d’acidité et de complexité. Ces vins sont flatteurs lors d’une dégustation, mais avec le temps ils engendrent une lassitude que nous avons pu mesurer dans le projet Laccave. Secundo, cette situation résulte aussi d’un héritage historique, l’uniformisation du vin pour coller aux modes suscitées par certains critiques. Aujourd’hui, on rétropédale. Une nouvelle page s’ouvre pour le vin où naturalité et biodiversité auront toute leur place.

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