Dossier revue
AgroécologieL'IA, outil du renouveau des pratiques agricoles
Par l’analyse des données massives collectées sur le climat, les sols et les cultures, l’IA permet aux agriculteurs et agricultrices de gagner en efficacité, en temps et en argent tout en réduisant l’impact environnemental de certaines actions. Comment concrètement les pratiques agricoles sont-elles aujourd’hui redéfinies par l’IA ? Explications.
Publié le 30 juillet 2025
« La bonne dose, au bon endroit, au bon moment » : c’est l’objectif de l’agriculture de précision, qui est à l’origine de la promotion des technologies numériques en agriculture depuis les années 1990. En s’appuyant sur des capteurs, des algorithmes, des machines agricoles géolocalisées, des logiciels ou encore des services numériques de conseil, les agriculteurs vont pouvoir peu à peu mieux maîtriser et limiter l’utilisation d’engrais, d’eau ou de pesticides, et mieux contrôler l’alimentation des animaux.
Du renouveau des outils à celui des pratiques
Équipements et outils agricoles sont transformés grâce à l’algorithmique, la robotisation et l’automatisation basées sur l’apprentissage profond.
Depuis plus de 20 ans, les services numériques conçus au sein de la recherche publique et par de nombreuses sociétés privées sont développés pour améliorer les prévisions de rendement dans des environnements variés et fluctuants, et ainsi aider les agriculteurs à ajuster leurs choix d’itinéraires techniques ou de pratiques d’élevage. L’IA semble désormais avoir le potentiel de faire franchir à ces outils et méthodes un pas inédit dans la précision et l’aide à la décision de l’agriculteur.
Penser l’IA en agriculture, c’est considérer une agriculture ultra-connectée et automatisée qui exploite ces nouveaux leviers au service de la résilience et la durabilité de l’ensemble du secteur.
Équipements et outils agricoles sont transformés grâce à l’algorithmique, la robotisation et l’automatisation basées sur l’apprentissage profond. Ils suivent les cultures, prédisent les rendements, détectent les stress biologiques et environnementaux, gèrent les ressources naturelles (eau, auxiliaires, etc.) ou suivent le comportement des animaux. L’IA analyse des données issues de capteurs, de mesures biologiques, de drones ou de satellites pour en déduire des recommandations et des actions permettant d’optimiser les ressources agricoles. « Plutôt qu’une agriculture de précision, terme longtemps usité, on peut plus généralement parler d’agriculture numérique où l’IA est désormais mobilisée à la fois à travers des outils et pratiques aussi bien high-tech que low-tech », estime Samuel Soubeyrand, chercheur de l’unité Biostatistique et processus spatiaux (BioSP) et chef adjoint du département INRAE Santé des plantes et environnement.
High-tech : Se dit des technologies de pointe et des industries les utilisant (exemple : IA embarquée dans les robots).
Low-tech : Se dit d’une catégorie de techniques durables, simples, appropriables, résilientes produisant des objets réparables et adaptables (exemple : application sur téléphone mobile).
Faciliter le quotidien des agriculteurs
Grâce à l’IA, plusieurs solutions offertes aux agriculteurs constituent une réelle plus-value dans l’optimisation de leur production et l’allègement de la pénibilité de certaines tâches répétitives. Depuis les années 1990, on assiste à l’essor de systèmes automatisés et robotisés en agriculture. Les agriculteurs les utilisent pour une gestion « intelligente » des semis, des récoltes, de l’irrigation ou de la fertilisation de leurs parcelles et pour une alimentation de précision en élevage. Ces nouveaux systèmes ajustent l’irrigation de la plante en fonction de ses besoins, des ressources en eau et des conditions climatiques. Les robots agricoles utilisent l’IA pour améliorer diverses pratiques culturales. Par exemple, pour le désherbage, à partir d’images prises par des caméras embarquées, l’IA distingue la mauvaise herbe de la culture. Au fur et à mesure des passages, le système « apprend » à reconnaître les mauvaises herbes sur lesquelles il doit agir (arrachage ou pulvérisation) et devient plus performant.
Plusieurs sociétés développent une technologie de reconnaissance des adventices pour une pulvérisation ciblée, devant permettre la réduction des herbicides utilisés. Répondant aussi au manque de main-d’œuvre en agriculture, certains robots autonomes associés aux outils d’analyse et d’IA peuvent assurer de plus en plus de tâches : travail du sol, pulvérisation, binage…
Aider les robots à appréhender le terrain
La fiabilité et la sécurité des machines restent toutefois un défi. « L’extrême variabilité des paramètres d’interaction entre un robot et son environnement, à la fois en termes de contrôle et de perception (météo, croissance des plantes, etc.), impose des capacités d’adaptation qui sont difficiles à mettre en œuvre, car elles impliquent d’appréhender un contexte d’évolution changeant. L’IA va permettre d’aller plus loin sur cette reconnaissance affinée de l’environnement, de modifier les paramètres de commande des robots en temps réel et de maintenir leur comportement. Mais dans les systèmes autonomes, la capacité du robot à reconnaître un obstacle (humain ou tronc d’arbre), des situations dangereuses et à adapter son comportement reste encore fragile », témoigne Roland Lenain, chercheur INRAE au sein de l’unité Technologies et systèmes d’information pour les agrosystèmes (TSCF).
À INRAE, dans le cadre du projet PARAD du programme Parsada, l’IA devrait permettre d’identifier en temps réel chaque plante et même de détecter des adventices dans un couvert végétal, augure le porteur du projet Stéphane Cordeau, chercheur de l’UMR Agroécologie. L’ambitieux programme Parsada est destiné à anticiper, innover et accompagner la transition agroécologique et le développement de techniques alternatives pour la protection des cultures. Lancé en janvier 2025, il sera développé jusqu’en décembre 2029.
Dans la même idée, le projet A3P « Anticipation, planification et pilotage des prélèvements agricoles » commencé en 2024 pour 5 ans repose sur une double modélisation agronomique et hydrologique. Il mobilise l’IA et l’imagerie satellite afin d’anticiper l’évolution des ressources hydriques disponibles et des besoins d’irrigation des cultures sur un territoire défini. A3P est mené par INRAE, l’université Gustave Eiffel et les entreprises Aquasys et MEOSS.
À chaque animal ses besoins
Les technologies numériques (capteurs, systèmes automatisés) se sont aussi développées en élevage et permettent d’enregistrer automatiquement un grand nombre de données à l’échelle du troupeau ou de l’animal. À présent traitées par des algorithmes d’IA, ces données permettent d’automatiser le calcul des besoins nutritionnels et d’évaluer le bien-être animal. Les travaux récents de la chercheuse INRAE Charlotte Gaillard (UMR Pegase), développés en partenariat avec l’IFIP (Institut du porc) et l’Inria, ont permis la mise en place de stratégies d’alimentation sur mesure, c’est-à-dire la distribution de rations ajustées à l’échelle de l’animal et non du troupeau. Ces stratégies réduisent le coût de l’alimentation – et donc diminuent l’impact écologique – sans compromettre les performances de production.
Traitées par des algorithmes d’IA, les données enregistrées à l’échelle du troupeau ou de l’animal permettent d’automatiser le calcul des besoins nutritionnels.
Afin d’affiner ces stratégies, en collaboration avec la start-up de l’IA Dilepix, l’activité physique individuelle et journalière des animaux est intégrée aux calculs des besoins énergétiques journaliers. « À partir de vidéos enregistrées en élevage nous pouvons distinguer automatiquement et en continu les truies debout, assises, couchées, en marche, etc. Les réseaux de neurones de Dilepix ont été entraînés avec des images d’activités de truies, annotées manuellement, afin d’obtenir un logiciel performant », précise Charlotte Gaillard.
L'avènement de l'IA en dates
1950
La machine intelligente
Alan Turing, considéré comme le père de l’informatique, pose la question de la capacité des machines à penser par elles-mêmes. Depuis, de nombreux travaux ont proposé des définitions de la notion de « machine intelligente ».
1956
L’intelligence artificielle
Lors de la conférence de Dartmouth (États-Unis), l’intelligence artificielle (IA) est définie comme un domaine scientifique à part entière. Après cette période, nombre de méthodes ont été développées ou étendues avec l’amélioration des performances des ordinateurs.
années 1980
Le machine learning
Les chercheurs en IA mettent au point des systèmes experts, conçus pour imiter le raisonnement de spécialistes dans des domaines de connaissance ciblés. L’apprentissage automatique (machine learning) se développe en parallèle, dans les années 1990 avec les premiers réseaux de neurones artificiels, systèmes informatiques inspirés du fonctionnement du cerveau humain. C’est une des méthodes de l’IA les plus connues : elle analyse des données pour en déduire des règles à suivre et s’autocorrige avec de nouvelles données.
Capacités cognitives
Selon la Commission mondiale d’éthique des connaissances scientifiques et des technologies, les machines intelligentes sont définies comme étant capables d’imiter certaines capacités cognitives humaines, telles que la perception, l’apprentissage, la capacité à raisonner, la déduction, la résolution de problèmes, l’interaction linguistique, voire la production créative.
années 2000
Le deep learning
Avec l’essor des données massives (big data) et des infrastructures de calcul, l’apprentissage devient profond (deep learning) et simule le pouvoir de décision complexe du cerveau humain.
2022
L’IA générative
Longtemps utilisée sous sa forme prédictive, l’IA se démocratise sous la forme générative. La sortie en 2022 de ChatGPT accélère la notoriété de l’IA générative.
ChatGPT et les autres
ChatGPT est un agent conversationnel (chatbot) développé par l’entreprise californienne OpenAI. Il utilise des grands modèles de langage appelés « transformeurs génératifs pré-entraînés » (Generative Pretrained Transformers en anglais ou GPT) pour générer du texte. En 2023 suivront Midjourney, Stable Diffusion, Claude, Gemini, LeChat de Mistral AI et plus récemment, en 2025, Deepseek. L’IA générative devient un outil de travail, de création et de communication utilisé à grande échelle, répondant à des demandes en langage naturel, intégrant et générant du texte et des images de façon intelligible et pertinente, triant et filtrant les publications sur les réseaux sociaux ou affinant la précision des outils de traduction automatique.
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Anne-Lise Carlo
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Rédactrice
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Véronique Bellon-Maurel, Jean-Pierre Chanet, Claire Rogel-Gaillard
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