Traité mondial sur les plastiques : des scientifiques INRAE engagés dans les négociations

Alors que les États membres des Nations unies négocient un traité juridiquement contraignant pour mettre fin à la pollution plastique, plusieurs chercheurs d’INRAE se sont investis dans les coulisses. La participation des scientifiques permet de porter une expertise rigoureuse et indépendante dans un processus dépourvu de structure scientifique officielle. Une manière d’ancrer la recherche publique en appui direct aux décisions politiques internationales.

Publié le 29 juillet 2025

© INRAE

Ils sont 3 chercheurs INRAE spécialistes des plastiques, avec des approches complémentaires : Xavier Cousin, physiologiste étudiant leurs effets sur les poissons, Marie-France Dignac, géochimiste qui travaille sur les microplastiques dans les sols, et Muriel Mercier-Bonin, toxicologue spécialisée dans les effets des microplastiques sur la sphère digestive. Au fil de leurs travaux sur les plastiques et d’une prise de conscience de leurs effets nocifs, une volonté de s’impliquer émerge.

« Lors du CIN-2 (2e session du Comité intergouvernemental de négociation) à Paris, je n’étais pas accréditée, mais j’ai pu assister aux événements parallèles, raconte Marie-France Dignac. C’est là que j’ai compris à quel point nos recherches pouvaient peser dans les débats. » Au cours de cette période, les 3 spécialistes rejoignent la Coalition des scientifiques pour un traité efficace sur les plastiques, un collectif international créé en 2022. Réunissant plus de 450 scientifiques de plus de 65 pays cette coalition s’est formée pour combler l’absence d’organe scientifique officiel associé aux négociations du traité sur les plastiques, contrairement aux négociations internationales portant sur le climat ou la biodiversité. 

Les membres de la Coalition des scientifiques présents au CIN-5 (Busan).

Un traité mondial en négociation, sans organe scientifique officiel

  • Le processus de négociation du traité sur les plastiques, lancé en 2022 par l’Assemblée des Nations unies pour l’environnement (UNEA), doit aboutir à un texte juridiquement contraignant d’ici fin 2025. Après 5 sessions de négociation, les États membres peinent à s’accorder sur les objectifs, les mécanismes de mise en œuvre et la portée réelle du traité. Une session décisive, le CIN-5.2 est prévue en août 2025 à Genève pour tenter de surmonter les blocages.
  • La Coalition des scientifiques pour un traité efficace sur les plastiques s’est quant à elle donné pour mission de fournir des éléments d’expertise scientifique rigoureuse, indépendante et immédiatement utilisable dans le cadre des négociations. Elle agit en dehors de tout mandat institutionnel, dans une logique de diplomatie scientifique fondée sur la transparence, la collégialité et l’utilité publique.

Avec le soutien d’INRAE, Xavier Cousin, Marie-France Dignac et Muriel Mercier-Bonin sont parvenus à intégrer la délégation française dès le CIN-3, avec un statut d’observateur. Un statut particulier, qui leur permet d’accéder aux espaces de travail sans représenter officiellement la position de la France, tout en maintenant leur impartialité. « Rejoindre une ONG était aussi une option, mais cela aurait pu compromettre l’indépendance et la rigueur scientifique que nous tenions à préserver dans ce débat », précise Marie-France Dignac. 

Une implication qui s’inscrit dans une dynamique scientifique nationale plus large : tous trois sont membres du groupement de recherche (GDR) « Plastiques, environnement, santé », qui fédère la communauté scientifique française sur ces enjeux. Xavier Cousin y siège au comité de direction, Marie-France Dignac et Muriel Mercier-Bonin au comité scientifique.

Un appui direct aux négociateurs

À Nairobi (CIN-3), à Ottawa (CIN-4) puis à Busan (CIN-5.1), les 3 scientifiques s’organisent avec d’autres chercheurs internationaux (71 à Busan) dont une douzaine de francophones, formant un groupe soudé pour appuyer directement les négociateurs. Leur rôle est multiple : identifier les besoins des délégués, répondre aux demandes urgentes, et apporter les éclairages scientifiques nécessaires. Selon les cas, il peut s’agir d’expliquer les conséquences d’un choix réglementaire, clarifier des notions souvent confondues, comme la différence entre bioplastique et biodégradable, ou encore rectifier des arguments scientifiquement infondés. 

« En tant que membres actifs de la coalition, nous sommes aussi sollicités pour relire ou contribuer à des documents, des articles, des propositions », complète Muriel Mercier-Bonin. « On sent que notre travail a du sens, qu’il s’inscrit dans une dynamique collective ambitieuse. C’est exigeant, parfois épuisant, mais cela crée aussi une cohésion très forte et une énergie collective incroyable ». Une dynamique qu’elle observe également chez les plus jeunes : « Je suis impressionnée par l’investissement et les compétences des jeunes chercheurs, français et plus largement. Ils apportent énormément au processus, à toutes les étapes des négociations. »

Pour faciliter le dialogue, les chercheurs français se sont également attelés, en plus des autres activités mentionnées, à traduire systématiquement les documents produits par la Coalition des scientifiques. À la session suivante, ces efforts ont permis de renforcer les échanges, notamment avec les délégations du Congo, de la Côte d’Ivoire, de Madagascar, du Mali, du Bénin, du Gabon ou encore de la Guinée. « Un moment a été marquant pour nous : plusieurs délégations d’Afrique francophone ont pris la parole en plénière au CIN-5.1, ce qu’elles n’avaient pas fait jusque-là. C’est difficile à mesurer, bien sûr, mais on s’est dit que les liens tissés et les échanges menés ces derniers mois avaient peut-être contribué à créer un climat plus favorable », souligne Xavier Cousin.

Marie-France Dignac, Muriel-Mercier Bonin et Xavier Cousin, accompagnés d'autres scientifiques francophones au CIN-5 (Busan)

« Alerter fait partie de notre rôle »

« Si nous poursuivons sur la trajectoire actuelle, bientôt plus personne ne pourra bénéficier d’un environnement sain sur la planète » - Marie-France Dignac

Si les chercheurs ont su trouver leur place parmi les nombreux acteurs déjà engagés auprès des délégations, ONG, industriels ou lobbies, c’est grâce à l’indépendance scientifique qu’ils incarnent. Bénévoles, sans intérêt commercial ou politique, ils revendiquent un unique objectif : « fournir les informations les plus rigoureuses et impartiales à propos des risques environnementaux et sanitaires liés aux plastiques », résume Marie-France Dignac.

« Alerter fait partie de notre rôle de scientifiques », insiste la chercheuse INRAE, également élue au comité de pilotage de la Coalition des scientifiques. Et il y a urgence : désormais, les plastiques s’accumulent partout. Dans les océans, les sols, les organismes vivants, jusqu’aux environnements les plus reculés comme les neiges de l’Arctique. « Si nous poursuivons sur la trajectoire actuelle, bientôt plus personne ne pourra bénéficier d’un environnement sain sur la planète », avertit à ce propos la spécialiste des sols. Ce constat n’est plus seulement scientifique, il soulève une question de justice environnementale. Le droit à un environnement sain, désormais reconnu comme droit humain fondamental par l’ONU, pourrait devenir inapplicable à l’échelle mondiale. 

Au CIN-4, les scientifiques constatent un réel besoin d’éclairage scientifique ou technique chez certains délégués, souvent mobilisés sur plusieurs fronts - climat, biodiversité, désertification - sans toujours disposer d’une équipe d’experts spécifique sur les plastiques. « Trois grands points de confusion revenaient régulièrement », a constaté Xavier Cousin.

  • Le premier point est la distinction entre biodégradable, bioplastique et biosourcé. « Le terme bioplastique est souvent utilisé de manière floue, parfois volontairement pour suggérer un bénéfice écologique qui n’est pas toujours réel »
  • Le deuxième concerne le recyclage, parfois perçu comme une solution unique : « Un lobbying très actif le présente comme un remède à tous les problèmes, ce qui tend à surestimer son efficacité face à la crise liée aux plastiques ».
  • Troisième point d’alerte : les substances chimiques associées aux plastiques, qui peuvent être libérées dans l’environnement ou les aliments pendant toute la durée de vie des plastiques, de la production à la fin de vie. « L’incinération à ciel ouvert reste pratiquée dans certaines régions, avec des effets particulièrement délétères pour la santé. Les échanges que nous avons eus attestent que ces risques demeurent encore largement méconnus », souligne Xavier Cousin.

Une expertise scientifique collective INRAE-CNRS de référence sur les plastiques utilisés en agriculture et pour l’alimentation

Publiée en mai 2025, cette expertise collective a mobilisé 30 chercheurs européens et plus de 4 500 références scientifiques pour dresser un état des lieux des usages, des propriétés et des impacts des plastiques tout au long de leur cycle de vie. Le diagnostic est préoccupant : les plastiques sont omniprésents, jusque dans l’air, l’eau, les sols, les aliments et les organismes vivants. En France, les sols agricoles apparaissent comme des réceptacles majeurs de cette pollution, en particulier du fait des apports issus des composts urbains. L’expertise souligne aussi les risques liés aux plastiques alimentaires, dont certains composants (comme les bisphénols ou les phtalates) peuvent migrer vers les aliments et agir comme perturbateurs endocriniens une fois dans l’organisme. Le rapport appelle à une régulation renforcée dès la conception des plastiques, à une limitation de leur production et de leur usage, et à une gouvernance internationale mieux structurée. 

Lutter contre les fausses informations

La désinformation a représenté un réel frein lors des négociations. « Certaines affirmations étaient contraires à tout ce que nous savons scientifiquement », déplore Muriel Mercier-Bonin, évoquant une discussion sur la taille des microplastiques. « Certains délégués ne comprenaient pas pourquoi ce sujet était abordé dans le traité, comme si la pollution plastique relevait uniquement de la gestion des déchets ».

Pourtant, ces particules invisibles à l’œil nu sont désormais présentes dans tous les milieux, et leur capacité à franchir les barrières biologiques et à transporter des substances chimiques toxiques en fait un enjeu central pour la santé humaine et l’environnement, rappelle la spécialiste des effets des micro- et nanoplastiques sur la sphère digestive. « Il y avait aussi, par exemple, cette idée que la toxicité des substances chimiques dépend des régions », abonde Xavier Cousin. « Certes, la température ou d’autres paramètres peuvent influencer certains effets, mais ce genre d’argument est scientifiquement infondé et nous avons assisté à plusieurs scènes de désinformation », regrette le chercheur.

Deux visions du traité s'affrontent 

Les négociations peinent à aboutir et révèlent deux visions opposées du traité. 

  • Une approche ambitieuse, portée par un large front d’États, d’ONG et de scientifiques. Cette vision est défendue notamment par la Coalition de haute ambition pour mettre fin à la pollution plastique, réunissant 67 pays, parmi lesquels la France, le Rwanda, la Norvège ou le Canada. L'alliance plaide pour des objectifs contraignants de réduction de la production de plastique vierge, un encadrement strict des substances chimiques, et une gouvernance fondée sur la science.
  • Certains pays producteurs de pétrole et/ou de plastique soutiennent une version limitée du traité, centrée sur les solutions technologiques, le recyclage et la gestion des déchets. La Coalition des scientifiques alerte sur cette conception restrictive : sans réduction drastique de la production, les solutions techniques en aval resteront considérablement insuffisantes pour répondre à la crise. 

Si leur expertise a permis d’éclairer les négociateurs sur les fondements scientifiques du traité, les chercheurs eux-mêmes se sont confrontés à des récits de terrain qui ont nourri leur réflexion et déplacé leur regard scientifique. « Nous avons été touchés par les témoignages des peuples autochtones et des communautés locales, et avons, par exemple, tous les trois découvert le rôle des waste pickers, les récupérateurs de déchets », développe Muriel Mercier-Bonin. « Ces populations vivent au quotidien les effets de la pollution plastique, dans des conditions très dures. Leurs témoignages montrent que nous ne sommes pas tous égaux face aux impacts de cette pollution, et ces récits changent la manière dont on perçoit notre propre activité scientifique, une fois de retour au laboratoire. »

Préparer la suite des négociations

À l’approche de la prochaine session de négociation du traité (CIN5.2), prévue en août 2025, les 3 chercheurs INRAE poursuivent leur travail de sensibilisation. Pour la Coalition des scientifiques, ils ont coordonné, cosigné et traduit en français plusieurs analyses du texte de traité en discussion, portant sur les fuites de plastiques dans l’environnement, les substances chimiques ou encore les enjeux sanitaires. 

Sollicités en France par les ministères impliqués dans les négociations (ministère de la Transition écologique et ministère de l’Europe et des Affaires étrangères) et les conseillers diplomatiques de l’Élysée, ils apportent des données scientifiques et leur expertise pour éclairer les options réglementaires et consolider la position française.

Des messages scientifiques également portés par Xavier Cousin et Marie-France Dignac à la 3e Conférence des Nations unies sur l’océan (UNOC), organisée à Nice en juin 2025. À quelques semaines de la reprise des négociations à Genève, le sommet a aussi marqué un tournant politique : avec l’appel de Nice, la France a fédéré 95 États pour « un traité ambitieux sur les plastiques ». Une manière de rappeler que face à cet enjeu mondial, seuls la coopération internationale et l’adossement à une science d’exigence permettront d’aboutir à un accord à la hauteur de la crise plastique. 

 

Xavier Cousin

Chercheur à l’UMR MARBEC, Xavier Cousin étudie depuis près de 10 ans les effets des microplastiques et des polluants chimiques associés sur la physiologie des poissons

  • Il a participé à de nombreux projets européens et nationaux (EPHEMARE, RESPONSE, PLASTIC-Seine, PALMITO, PREVENT, BIOMIC, ce dernier en collaboration avec Muriel Mercier-Bonin).
  • Ses travaux révèlent une toxicité chronique des plastiques, dont les mécanismes encore peu élucidés altèrent les grandes fonctions biologiques, et pourraient compromettre le maintien des populations aquatiques.
  • Au-delà de la recherche, il s’investit dans le dialogue science-politique : depuis 2023, il a été sollicité, aux côtés de Marie-France Dignac, par les conseillers diplomatiques de la présidence de la République et de plusieurs ministères pour nourrir la position française en amont des sessions de négociation. Il intervient régulièrement dans les médias (presse écrite, radio) pour sensibiliser aux enjeux sanitaires et environnementaux des plastiques. Il a notamment réalisé une série de 10 émissions radio consacrée à la pollution plastique, et donne des conférences à destination du grand public et des scolaires. 

Marie-France Dignac

Directrice de recherche à l’Institut d’écologie et des sciences de l’environnement de Paris (iEES Paris), Marie-France Dignac coordonne 2 projets sur les microplastiques dans les sols : le projet ANR eDIP et le projet ADEME Plastisol. Ces travaux visent à comprendre les impacts respectifs des polymères et des additifs, ainsi que leur comportement et leur toxicité dans divers compartiments du sol

  • Son équipe a mis en évidence la contamination des sols agricoles par des microplastiques issus des composts urbains qui sont épandus sur les sols. Sur le site expérimental de longue durée d’INRAE Qualiagro, des dépôts atteignant jusqu’à 400 kg de microplastiques grossiers par hectare, équivalant à 80 000 sacs plastiques, ont été observés après 22 ans d’épandage. Ces particules s’accumulent dans toute la profondeur du sol, sans solution actuelle pour les éliminer.
  • Ses recherches ont aussi montré des effets écotoxicologiques sur les organismes du sol, et une altération des cycles du carbone et de l’azote, menaçant à terme la fertilité des sols et la sécurité alimentaire. Elles contribuent ainsi à documenter un enjeu encore sous-estimé de santé environnementale.
  • Outre ses publications scientifiques elle a participé, avec Xavier Cousin, à la coordination de l’ouvrage Pollution plastique : la biodiversité menacée, ainsi qu’au livre Le plastique, un poison si pratique. 

Muriel Mercier-Bonin


Directrice de recherche au sein de l’unité TOXALIM, Muriel Mercier-Bonin explore les effets des micro- et nanoplastiques sur la santé humaine, avec un focus sur la sphère digestive. Ses travaux mobilisent des approches in vitro et in vivo, afin d’identifier les mécanismes d’altération du microbiote intestinal et des fonctions de barrière.

  • Elle a coordonné les projets INRAE PlasToX et Next-PlasToX, démontrant pour la première fois que l’exposition chronique aux microplastiques de polyéthylène peut déséquilibrer le microbiote intestinal humain, en favorisant certaines bactéries pathogènes et en réduisant la production de métabolites clés. Ces résultats, publiés dans Journal of Hazardous Materials, ont reçu un large écho médiatique.
  • Elle coordonne aujourd’hui les projets ANSES NanoPlastX et ANR microPLAstox sur les nanoplastiques et participe au projet européen ICEBERG, qui traite de la pollution plastique dans l’océan Arctique et de ses effets sur les populations vulnérables.
  • Muriel Mercier-Bonin a été l’une des 3 co-pilotes de l’expertise scientifique collective INRAE/CNRS sur les usages et impacts des plastiques en agriculture et pour l’alimentation, dont les conclusions rendues en mai dernier pourront alimenter directement le débat public et les politiques nationales.

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