Biodiversité Temps de lecture 3 min
Identifier les seuils écologiques pour une gestion optimisée de la biodiversité et des écosystèmes
COMMUNIQUÉ DE PRESSE - INRAE et le CNRS ont conduit une étude sur 150 prairies en zone tempérée pour identifier les seuils écologiques à partir desquels les changements dans la biodiversité sont si importants qu’ils mènent vers un dysfonctionnement global de ces écosystèmes. L’étude analyse conjointement sur 13 années la biodiversité végétale, les pratiques agricoles ainsi que les données climatiques. Les résultats, publiés dans Nature Ecology & Evolution, montrent qu’au-delà d’une fertilisation de 80 kg d’azote par hectare et par an, les espèces prairiales perdent leur capacité à coexister. Cela dégrade de manière abrupte la diversité et le fonctionnement de ces prairies, les rendant extrêmement vulnérables aux aléas climatiques. La connaissance de ce seuil permettrait aux agriculteurs d’ajuster leurs pratiques afin de trouver un équilibre entre usages des prairies et services écosystémiques rendus et de maintenir un haut degré de stabilité des prairies face aux aléas climatiques.
Publié le 05 juin 2025

La réponse des écosystèmes aux changements globaux n’est pas linéaire. Il existe des points de bascule appelés seuils écologiques, à partir desquels de petits changements dans les conditions environnementales, même infimes, peuvent avoir des effets disproportionnés sur la biodiversité et le fonctionnement des écosystèmes. Ces changements climatiques (sécheresse, hausse des températures, etc.) trouvent leur origine dans les activités humaines, dont les pratiques agricoles. Comprendre et repérer ces seuils écologiques, deux objectifs qui exigent des données complexes, permettrait d’anticiper et agir avant que les écosystèmes ne se dégradent.
Les prairies : parmi les écosystèmes les plus diversifiés et les plus menacés
Les prairies sont des écosystèmes riches en biodiversité et apportent de nombreux services écosystémiques comme la séquestration du carbone, le filtrage de l’eau ou le pâturage pour les animaux d’élevage. Mais ils sont aussi parmi les plus menacés par l’intensification de l’usage des terres. Les scientifiques d’INRAE et du CNRS ont étudié les données entre 2008 et 2020 d’un réseau de 150 prairies en Allemagne, représentatives des prairies tempérées d’Europe de l’Ouest et exploitées par des agriculteurs dans des systèmes plus ou moins intensifs. Pour identifier les seuils écologiques de ces prairies, les scientifiques ont caractérisé la diversité des traits fonctionnels au sein de ces écosystèmes, c’est-à-dire les caractéristiques des plantes qui déterminent comment les espèces répondent, interagissent et influencent leur environnement (exemple : taille des feuilles, vitesse de croissance…). L’analyse de la diversité des traits fonctionnels permet ainsi de comprendre comment les espèces végétales s’assemblent et coexistent au sein des prairies. Cette analyse a ensuite été mise en relation avec les pratiques agricoles utilisées dans les prairies.
Un seuil écologique clé en lien avec la fertilisation des sols
Leur étude a permis de détecter des seuils écologiques en lien avec l’intensité de la fertilisation azotée qui change subitement l’équilibre écologique des prairies. Un premier seuil est détecté à partir du moment où les agriculteurs fertilisent les prairies. Par rapport aux prairies naturelles non fertilisées (50 sites étudiés), ces prairies fertilisées sont moins diversifiées, mais le système reste stable et productif. Au-delà d’une fertilisation de 80 kg d’azote par hectare et par an (50 autres sites), les scientifiques observent un basculement du système : les espèces perdent leurs capacités à coexister, et ces prairies sont dominées par un nombre limité d’espèces aux traits fonctionnels similaires, incluant quelques graminées fourragères comme le raygrass, et des adventices des prairies comme le pissenlit. Ils constatent également que l’intensification des pratiques agricoles n’augmente plus la production de biomasse végétale. En revanche, elle provoque un lessivage accru des nutriments du sol par les eaux d’infiltration et rend les cultures plus sensibles aux aléas climatiques, notamment aux sécheresses. À l’inverse, les prairies naturelles accueillent une grande diversité de plantes aux caractéristiques variées, ce qui leur permet de mieux résister aux aléas climatiques. Elles assurent également plusieurs fonctions écologiques essentielles, comme la séquestration du carbone, le soutien aux pollinisateurs et le maintien la fertilité des sols.
La mesure des traits fonctionnels dans les prairies permet de surveiller leur capacité à accueillir une forte diversité d’espèces végétales et d’agir préventivement dès les premiers signes d’altération des services écosystémiques. L’identification d’un seuil écologique des prairies, situé à une fertilisation supérieure à 80 kg d’azote par hectare et par an, permet ainsi d’orienter la gestion agricole pour trouver un meilleur équilibre entre productivité des prairies, diversité biologique et stabilité écologique. L’approche proposée dans cette étude pourrait également être transposée à d’autres problématiques environnementales, telles que l’eutrophisation des lacs, la gestion des pêcheries et des forêts ou la désertification, afin d’éviter des basculements critiques des écosystèmes et d’intervenir avant leur dégradation.
Des recherches complémentaires sont en cours pour mieux comprendre ces seuils écologiques et déterminer si la dégradation des écosystèmes concernés peut être réversible, au moins en partie.
Référence
Le Bagousse-Pinguet Y.et al. (2025) Thresholds of functional trait diversity driven by land use intensification. Nature Ecology & Evolution DOI : 10.1038/s41559-025-02729-0