Explorer le monde secret des racines

Chercheur en biogéochimie et écologie du sol, Philippe Hinsinger se consacre depuis près de 40 ans aux interactions entre les racines et le sol. Une carrière jalonnée de découvertes majeures au bénéfice de la science et de la société.

Publié le 02 décembre 2025

© INRAE, Bertrand Nicolas

À l’interface des sciences du vivant et de l'environnement, Philippe Hinsinger s’est d’abord intéressé à la rhizosphère, la face cachée des racines, pour élargir peu à peu son champ d’exploration, aux cycles biogéochimiques* des nutriments majeurs et à l’agroécologie.

* Un cycle biogéochimique décrit l’ensemble des processus de transport et de transformation d'éléments chimiques, comme le carbone, l'azote ou le phosphore, entre les différents compartiments de la biosphère (air, eaux, sols, organismes vivants).

Pourquoi s’intéresser à la rhizosphère ?

Philippe Hinsinger : Dans le sol, autour des racines de la plante, il existe une zone de quelques millimètres où se déroulent des processus biologiques, chimiques et physiques d’une intensité insoupçonnée. Les racines ne se contentent pas d’y puiser eau et nutriments, elles façonnent également leur environnement pour leur propre bénéfice, et éventuellement pour celui des autres organismes du sol ou des plantes voisines, en véritables ingénieures des écosystèmes. Modification du pH, libération de composés organiques, stimulation des micro-organismes, création d’habitats pour la faune du sol… ces interactions multiples, dynamiques, souvent invisibles mais déterminantes m’ont toujours fasciné. Cette complexité mobilise de nombreuses disciplines, elle nécessite également la collaboration de nombreux collègues ! Tout au long de ma carrière, j’ai cherché à enrichir les interfaces entre ces disciplines et à structurer les communautés scientifiques, nationales et internationales, qui travaillent sur la rhizosphère.

Concrètement, qu’est-ce que cela veut dire ?

Philippe Hinsinger : Prenons, par exemple, le phosphore. C’est un nutriment essentiel pour les plantes mais très peu disponible dans le sol. Comment les plantes cultivées peuvent-elles mieux prospecter le sol pour accéder à cette ressource ? Comment peuvent-elles mieux l’exploiter pour que nous ayons moins recours aux engrais, voire que nous nous en passions ?

Les modifications de pH induites par les racines, jusqu’à 2 à 3 unités de pH en quelques heures, augmentent considérablement la disponibilité du phosphore dans la rhizosphère et permettent aux plantes d’accéder à des réservoirs jusque-là considérés comme indisponibles. C’est particulièrement important lorsque les nutriments sont peu disponibles. Ces processus, à l’échelle de la rhizosphère, expliquent le devenir des ressources en nutriments à l'échelle du champ, voire de la planète. Ils montrent que les plantes, par leurs activités racinaires, jouent un rôle clef dans les cycles biogéochimiques.

Comment avez-vous exploré ces interactions ?

Philippe Hinsinger : Au début de ma carrière, la plupart de mes recherches reposaient principalement sur des approches expérimentales en conditions contrôlées au laboratoire. Nous avons peu à peu développé des expériences sur le terrain et des approches de modélisation.

Les approches expérimentales présentent toutefois des limites. Elles peinent à aborder les interactions complexes comme celles qui se produisent dans la rhizosphère, et à estimer la contribution relative de plusieurs processus en interaction. En revanche, les modèles qui tiennent compte du fonctionnement biogéochimique du sol, combinés à ceux qui décrivent la dynamique de l'architecture racinaire, sont des outils puissants pour comprendre ces interactions, explorer la diversité entre espèces ou entre variétés d’une même espèce, rechercher des combinaisons de caractéristiques racinaires favorables à une meilleure acquisition du phosphore.

Les approches expérimentales et d’observation m’ont toujours plus attiré que la modélisation. J’ai ressenti très tôt le besoin de concevoir des dispositifs et des outils capables de caractériser les processus à l’interface sol-racine pour tester nos hypothèses et affiner nos modèles ou encore les nourrir de données inédites.

Comment vos travaux s’inscrivent-ils dans les grands enjeux auxquels l’agriculture est confrontée ?

Philippe Hinsinger : Depuis une quinzaine d’années, mes recherches s’inscrivent pleinement dans le grand défi de la transition agroécologique. Elles explorent les processus d’acquisition et de partage des ressources souterraines, en particulier les nutriments essentiels, dans des agroécosystèmes plus diversifiés : mélange de variétés, cultures associées et systèmes agroforestiers. Un exemple ?  Nous avons montré que l’activité racinaire peut non seulement accroître la disponibilité du phosphore dans la rhizosphère mais que cet effet est souvent plus important lorsque 2 espèces végétales très différentes, par exemple 1 céréale et 1 légumineuse, sont cultivées ensemble. Cette notion de facilitation met en lumière le rôle clé de la diversité fonctionnelle souterraine qui apparait comme une source prometteuse de solutions pour l'agroécologie.

Observer et comprendre le vivant, une clé pour la transition agroécologique

Et demain ?

Philippe Hinsinger : Côté science, je m’intéresse aux racines profondes dans des systèmes agroforestiers qui associent des cultures annuelles à des arbres. Les racines profondes ont été très peu étudiées parce que sur le terrain, il est difficile et fastidieux d’aller au-delà des 30 premiers centimètres du sol. Pourtant, en quelques mois, céréales ou légumineuses peuvent prospecter le sol sur 1 à 3 mètres. Par ailleurs les racines des arbres leur permettent d’accéder aux ressources du sol en profondeur, et d’en faire bénéficier l’ensemble des composantes de l’agroécosystème. Dans ces systèmes agroforestiers, nous mettons actuellement sur pied un laboratoire vivant sur la santé des sols méditerranéens dans le cadre du projet européen Nemesis. Au niveau national, je vais co-diriger le programme de recherche SolsVivants dont le titre résume bien l’objectif : Comprendre les interactions dans les sols pour agir. Il y est bien sûr question des cycles du carbone et des nutriments.

Côté collectif, je poursuis ce qui me tient à cœur, transmettre ou plutôt partager des pratiques et des savoirs. On le fait beaucoup avec les étudiants que l’on accueille dans notre unité. Je suis moi-même très engagé dans la formation continue des conseillers et enseignants agricoles autour de l’écologie des sols et j ’aime bien aller à la rencontre du grand public pour lui faire découvrir la vie cachée des sols.

PORTRAIT DE PHILIPPE HINSINGER

Biogéochimiste, Philippe Hinsinger a livré une nouvelle vision des interactions racines-sol. Chef de département, il a favorisé la coopération entre chercheurs de disciplines différentes. 
Découvrir son portrait.


 

Catherine Foucaud-Scheunemann

Rédactrice

Philippe Hinsinger

UMR Écologie fonctionnelle et biogéochimie des sols et des agrosystèmes (INRAE, L'Institut Agro Montpellier)

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