Agroécologie 5 min
De l’influence des pratiques d’agroforesterie sur les sols
Des arbres et des cultures associées sur une même parcelle agricole et vous voilà en présence d’une parcelle d’agroforesterie, hétérogène, complexe. Des scientifiques INRAE en ont exploré les effets sur les propriétés des sols et sur les organismes qu’ils abritent, mettant en exergue l’hétérogénéité spatiale et temporelle de ces systèmes agroforestiers. Explications.
Publié le 28 janvier 2022
Les systèmes agroforestiers, hétérogènes et complexes
Les systèmes agroforestiers, plébiscités pour leurs effets globalement bénéfiques sur divers services écosystémiques se développent à nouveau dans les paysages agricoles français et européens. Associant arbres et cultures sur une même parcelle, accueillant ou non des animaux d'élevage, ils constituent des dispositifs complexes susceptibles d’introduire de l’hétérogénéité dans le fonctionnement biologique et de la stabilité écologique des sols qui les portent. Dans le sud de la France, des chercheurs et chercheuses INRAE et leurs collègues en ont fait leur sujet d’études.
De l’impact des pratiques agroforestières sur le fonctionnement et la stabilité des propriétés du sol
A quelques kilomètres de Montpellier, au cœur du domaine expérimental de Restinclières, prospèrent plusieurs systèmes agroforestiers, dont des parcelles où des rangées de noyers (destinés à fournir du bois d’œuvre) alternent avec des allées de grandes cultures (blé, pois...). Des scientifiques INRAE et leurs collègues ont étudié la qualité chimique (teneur en carbone, azote et phosphore, capacité à échanger des cations, pH…), physique (texture, densité…) ou encore biologique (biomasse, activité et diversité microbienne) des sols de ces parcelles, le long d’un gradient de distances, perpendiculaire aux rangées d’arbres.
Leurs travaux mettent en évidence que le fonctionnement du sol de ces parcelles est hétérogène dans l’espace. L’effet de la ligne arborée (arbres et cortège d’herbes spontanées ou semées) sur le fonctionnement microbiologique du sol est perceptible jusqu’au sein des allées cultivées : les indicateurs de qualité du sol sont significativement améliorés jusqu’à 2 m de la ligne arborée, quelle qu’en soit la composante prise en compte - chimique, physique ou biologique, voire 4 m lorsque l’on considère la composante biologique.
A partir des différents paramètres de la qualité du sol, chercheurs et chercheuses ont construit un indice intégrateur de la qualité des sols, note générale unique, robuste et propice à des échanges faciles avec les acteurs de terrains. Ils ont établi que la qualité du sol d’un système agroforestier mature (plus de 20 ans d’âge), dans sa globalité, était supérieure de 20 % à celle d’un système conventionnel de grande culture.
Des caractéristiques que peuvent expliquer l’absence de labour des lignes arborées, la présence d’un couvert herbacé permanent ou encore l’apport au sol des litières des différentes composantes végétales issues de la ligne d’arbres. Ces litières enrichissent le sol en matière organique laquelle est à l’origine de la plus forte activité biologique du sol et notamment des activités enzymatiques impliquées dans les cycles du carbone, de l’azote et du phosphore.
Dans ces agroécosystèmes sous climat méditerranéen, les communautés microbiennes du sol endurent de longues périodes de sécheresse, généralement combinées à de fortes chaleurs et fréquemment entrecoupées par des phases de ré-humectation rapide du fait d’épisodes orageux plus ou moins intenses.
En conditions de stress, le système agroforestier exprime aussi son hétérogénéité spatiale : la ligne arborée présente une biomasse microbienne et des activités de minéralisation du carbone et de l’azote supérieures aux autres points de la parcelle. Face au seul stress hydrique, la résistance (capacité à encaisser un choc) des microorganismes du sol et leur résilience (capacité à revenir à l’état de fonctionnement initial après un choc) sont similaires, quelle que soit la position spatiale dans la parcelle agroforestière ou par comparaison avec une parcelle témoin conduite en grande culture conventionnelle. Face aux stress hydrique et thermique combinés, les microorganismes du sol au milieu de l’interligne ou dans la parcelle témoin présentent une résistance plus importante car les variations de température et humidité ne sont pas atténuées par les arbres ; ils présentent cependant une résilience plus faible que sur et à proximité de la ligne arborée ce qui signifient qu’ils sont moins aptes à endurer des effets climatiques extrêmes sans modifier les fonctions du sol.
Le rôle des différentes composantes végétales de ce système (arbres, cultures, végétation sous-arborée…) dans la création de tels gradients reste encore à approfondir.
De l’effet de la ligne sous-arborée sur les organismes et la fertilité du sol
Plus à l’Ouest, dans le Gers, une deuxième équipe s’est intéressée à l’impact de l’hétérogénéité de systèmes agroforestiers dans lesquels alternent lignes d’arbres et allées cultivées, sur la matière organique et sur des organismes (microorganismes et macrofaune) du sol, cherchant à distinguer l’effet des arbres de celui de la végétation herbacée sous-arborée présente sous la ligne d’arbres.
Le linéaire herbacé sous-arboré a un impact positif significatif sur la biomasse microbienne et la teneur en carbone et phosphore du sol qui sont là plus importantes que sous l’allée cultivée. Par contre, son effet sur la faune du sol n’est pas si net et varie selon les organismes. Habitat privilégié potentiellement puits ou source de macrofaune, apports en matière organique différents par rapport à l’allée cultivée, perturbations réduites, présence d’une végétation permanente… allez savoir pourquoi mais les cloportes et vers de terre épigés, qui vivent préférentiellement à la surface du sol, préfèrent la bande de végétation sous-arborée alors que les vers de terre endogés, qui évoluent en profondeur, penchent plutôt pour la bande cultivée.
Hétérogènes dans l’espace, les systèmes agroforestiers le sont aussi dans le temps, comme le montrent les observations réalisées sur une parcelle conduite en agroforesterie maraîchère située dans le Gard. Si la bande de végétation sous-arborée constitue un refuge certain pour la macrofaune (vers de terre, coléoptères, mille-pattes et autres macroinvertébrés) au printemps ou en été, la distribution de cette dernière dans la parcelle est plus homogène en automne.
Les systèmes agroforestiers sont loin d’avoir livré tous leurs secrets. La connaissance de leur organisation, de leur fonctionnement et de leurs propriétés appelle d’autres travaux auxquelles se consacrent déjà les équipes INRAE.
EN savoir plus
Guillot E. et al. (2021). Spatial heterogeneity of soil quality within a Mediterranean alley cropping agroforestry system: Comparison with a monocropping system. European Journal of Soil Biology, 105, 103330.
Guillot E. et al. (2021). With or without trees: resistance and resilience of soil microbial communities to drought and heat stress in a Mediterranean agroforestry system. Soil Biology and Biochemistry, 129, 122.
D'Hervilly C. et al. (2022). Seasonal variations in macrofauna distribution according to the distance from a herbaceous strip in a Mediterranean alley cropping plot. Applied Soil Ecology, 170, 104309.
D’Hervilly C. et al. (2021). Trees and herbaceous vegetation strips both contribute to changes in soil fertility and soil organism communities in an agroforestry system. Plant and Soil, 463, 537.
D'Hervilly C. et al. (2020). Sown understory vegetation strips impact soil chemical fertility, associated microorganisms and macro-invertebrates in two temperate alley cropping systems. Agroforestry Systems, 94, 1851.