
Agroécologie Temps de lecture 10 min
Après la pluie… les vers de terre ! Portrait de Simon Cazaurang
Jeune chercheur recruté sur concours externe, Simon Cazaurang a pris ses fonctions en septembre 2024 au sein du Laboratoire Environnement méditerranéen et modélisation des agro-hydrosystèmes d'Avignon. Son projet de recherche, à l’interface entre expérimentation et modélisation, vise à étudier et à mesurer l’impact de l’activité biologique édaphique sur la dynamique spatio-temporelle de l’espace poral du sol.
Publié le 22 mai 2025
J’ai baigné dans cet univers depuis l’enfance, grâce à mon père ingénieur à Airbus qui m’a transmis le goût pour la simulation aéronautique.
Très jeune, Simon Cazaurang s’intéressait déjà aux sciences. Des cailloux qu’il cassait dans le jardin pour voir ce qu’il y avait à l’intérieur, à la terre qu’il aimait observer guettant la sortie des vers de terre après la pluie, tout le prédestinait à devenir géologue…
La géologie est en effet la première passion scientifique de Simon Cazaurang, et son baccalauréat scientifique en poche, il va entreprendre une licence, puis un master en Sciences de la Terre, des planètes et de l’environnement à l’Université de Toulouse.
Mais outre son intérêt pour la géologie, Simon Cazaurang est animé par tout ce qui a trait à la simulation numérique.
Entre nature et numérique, son cœur ne balance pas. Simon souhaite explorer ces deux disciplines, travailler à l’interface entre recherche scientifique et outils innovants pour modéliser et prédire. Le jeune étudiant trouve alors sa voie lors d’un stage de recherche au sein du laboratoire Géosciences Environnement à Toulouse où il travaille sur la simulation numérique des transferts d’eau et de chaleur dans des sols gelés à partir des données d’un simulateur de pergélisol, permaFoam, un outil de calcul hautes performances développé par son équipe d’accueil.
De la nature au numérique : un terrain à explorer !
A quoi cela sert-il ? A quantifier l’épaisseur de la couche active du sol en région arctique afin de comprendre les impacts sur la dynamique gel-dégel, notamment face au réchauffement climatique et à la menace de fonte du pergélisol. Simon Cazaurang poursuit son parcours de recherche lors d’un stage de fin de Master 2 à l’Institut de Mécanique des fluides de Toulouse, connu pour ses domaines d’application variés (aéronautique, espace, environnement…) afin d’y étudier les propriétés morphologiques et hydrauliques de la couverture végétale arctique.
Quand dire, c’est faire… Simon Cazaurang souligne la chance qu’il a eue de réaliser des stages qui se sont succédés thématiquement, tel un continuum scientifique. Et c’est donc tout naturellement, et avec tout l’enthousiasme qui le caractérise, que ce jeune diplômé va entreprendre de poursuivre ses travaux dans le cadre d’une thèse en Dynamique des fluides, toujours à l’IMF de Toulouse, sous la direction de son mentor depuis le Master 1, Laurent Orgogozo, et de Manuel Marcoux.
Un simulateur de pergélisol pour prédire les impacts de son dégel face au changement climatique
C’était vraiment ce que je voulais faire, garder cette double approche axée sur les sciences du sol (la géologie, les mécanismes biophysiques…), tout en restant dans un univers numérique
Cette thèse (projet HiPerBorea, ANR 2020-2024) porte sur la caractérisation des propriétés morphologiques, hydrauliques et thermiques des milieux poreux biologiques des zones humides arctiques (sphaignes, lichen, tourbe). L’objectif est de mieux comprendre les mécanismes de transferts d’eau et de chaleur de cette couverture végétale pour faire face au changement climatique qui menace les écosystèmes arctiques, et de développer des stratégies d’adaptation.
La littérature scientifique et les derniers rapports du GIEC1 montrent que les zones humides arctiques couvertes par le pergélisol sont des zones extrêmement vulnérables au changement climatique et notamment à l’augmentation des températures. En été, celles-ci peuvent atteindre 30° C ! Ces zones humides sont composées de vastes tourbières formées par l’accumulation importante de matière organique (tourbe) issue des organismes s’y trouvant : les sphaignes (mousses) et les lichens (association symbiotique entre un champignon et une algue).
Le pergélisol est un horizon pédologique gelé en profondeur recouvrant un quart des terres émergées de l’hémisphère nord et dont la température est inférieure ou égale à 0 °C pendant au moins deux années consécutives. Il est principalement constitué de matière organique et stockerait environ un tiers du carbone terrestre. Au-dessus, se trouve une couche active, partie supérieure du sol, qui gèle et dégèle chaque année.
Comprendre l’impact du changement climatique sur cette dynamique gel-dégel permettrait de modéliser le climat futur et de prévoir les effets directs et indirects, tant sur les milieux naturels que sur les activités anthropiques.
Ces zones humides contiennent par ailleurs une quantité importante de carbone stocké dans le sol sous forme congelée. Le dégel du pergélisol réactive l’activité des micro-organismes qui dégradent la matière organique gelée conservée dans le pergélisol. Le carbone est alors libéré et émis sous forme de gaz à effet de serre, la libération de ces gaz à effet de serre entraînant à leur tour une hausse du réchauffement climatique… Les scientifiques parlent alors de « boucle de rétroaction positive », soit une amplification de l’impact initial.
L’idée motrice du projet était de créer un simulateur numérique permettant de modéliser et de prévoir les impacts de la fonte progressive du pergélisol pour les 100 prochaines années, en se basant sur les scénarios d’émissions de gaz à effet de serre qui sont traditionnellement utilisés en climatologie2.
Par conséquent, les propriétés de la couverture végétale arctique doivent être caractérisées avec précision afin d'obtenir des modèles plus exacts des phénomènes de transferts entre la géosphère et l'atmosphère dont les mécanismes sont encore peu connus.
En combinant des approches expérimentales et numériques, Simon Cazaurang va ainsi étudier les propriétés morphologiques, hydrauliques et thermiques des échantillons de sphaigne, de lichen et de tourbe prélevés sur plusieurs sites en Sibérie, en Suède et en France, échantillons qui seront numériquement reconstruits grâce à la tomographie à rayons X3.

Ces travaux sur les milieux poreux biologiques permettent de développer des modèles numériques à haute résolution pour simuler les comportements hydrauliques et thermiques des échantillons ainsi collectés en vue de prédire leurs effets sur l’écosystème arctique.
Certains travaux initiés durant la thèse nécessitant des informations complémentaires, Simon Cazaurang rejoint, peu avant la fin de sa thèse, le laboratoire Géosciences Environnement à Toulouse en qualité d’attaché temporaire d’enseignement et de recherche pour y conduire une étude expérimentale et numérique du flux radiatif solaire sur la couverture végétale arctique. De par sa forte appétence pour l’enseignement des géosciences, ce travail de recherche va parfaitement s’associer aux travaux dirigés qu’il va dispenser.
Tout est une question d'échelle...
Puis, Simon Cazaurang apprend qu’un poste de chargé de recherche sur la dynamique de l’espace poral du sol est affiché au sein de l’unité EMMAH à Avignon. A la lecture du profil qu’il parcourt avec un vif intérêt, il a l’impression de lire le déroulé de son projet scientifique précédent sur la couverture végétale arctique. Cela fait écho à son parcours, et sans hésitation, du haut de ses 27 ans, il se porte candidat... et réussit le concours !
A l’interface entre la physique des transferts, l’écologie du sol et la modélisation, sa mission consiste à développer un projet de recherche visant à mieux comprendre les liens entre la structure de l’espace poral du sol et les transferts de masse (eau, solutés, particules colloïdales) dans les sols, avec une prise en compte des processus faisant évoluer l’espace poral au cours du temps, en particulier l’activité des invertébrés.
Parmi ces invertébrés, les vers de terre (annélides oligochètes) et leurs petits cousins germains, les enchytréides, ont une activité qui impacte fortement les propriétés physiques du sol et l’évolution de sa structure du fait de leur comportement fouisseur, de leurs déplacements et de leur ingestion de particules minérales et organiques du sol. C’est ce que l’on appelle la bioturbation, terme qualifiant l’impact des organismes du sol sur le milieu physique dans lequel ils évoluent.
L’enjeu est d’observer cette bioturbation pour suivre et modéliser l’évolution de l’espace poral au cours du temps afin de mesurer son impact sur les pratiques agricoles actuelles et pour, in fine, en bénéficier afin d’adapter ces pratiques au regard du changement climatique et de la transition agroécologique.
Par exemple, la modélisation conduit à prédire ce qu’il se passe en présence ou en l’absence d’organismes bioturbateurs, ce qui contribue à étayer l’usage des vers de terre comme une méthode durable et compatible avec l’agroécologie pour revitaliser les sols, et ainsi favoriser des actions naturelles par rapport à des actions plus anthropiques.
La tomographie à rayons X permet ainsi de caractériser, d’identifier des micro-variations à l’échelle microscopique non visibles à l’échelle macroscopique. Ce sont les impacts à l’échelle du pore, encore peu connus, et leur transcription à une échelle supérieure (changement d’échelle) qui intéressent Simon Cazaurang et son équipe.
Le projet de Simon Cazaurang s’inscrit dans le cadre du développement de la plateforme VSoil centrée sur le couplage de modèles décrivant les processus dans le sol (transferts d’eau, de chaleur, croissance des plantes, des racines...). Ces travaux ont vocation à être élargis aux évolutions de l'espace poral liées à d’autres processus, comme l'enracinement des plantes.
La volonté de partager sa discipline avec le plus grand nombre
Très rapidement intégré dans la dynamique de l’unité, Simon Cazaurang est par ailleurs déjà impliqué dans deux activités transversales. La première a pour objectif de rédiger un article d’opinion sur la possibilité d’interconnecter la biologie, la physique et la chimie afin de créer un modèle de sol global à l’échelle du profil de sol. La seconde vise à étudier l’hétérogénéité dans les sols dans le but d’écrire un article scientifique se basant sur une analyse textuelle et une méta-analyse de la bibliographie existante sur le sujet, en collaboration avec la Direction pour la Science ouverte d’INRAE.
Une collaboration avec l’unité de recherche INRAE Biostatistique et processus spatiaux (BioSP) est également en cours afin de bénéficier d’un cluster de calcul à hautes performances pour le traitement d’images.
Accueilli il y a moins de 6 mois à INRAE, ce jeune chercheur, passionné et passionnant lorsqu’il nous parle du sol, a déjà des idées et des projets plein la tête ! Un objectif qui lui tient également à cœur : sensibiliser la société aux défis futurs. Pour cela, il n’hésite pas à s’investir dans des actions de médiation scientifique à destination du grand public pour expliquer ses travaux de recherche et promouvoir ainsi la très riche biodiversité cachée sous nos pieds…
1 GIEC : Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat
2 PermaFoam prend en compte les scénarios socio-économiques partagés (scénarios SSP) décrivant différentes trajectoires d’émission de gaz à effet de serre (entre autres), allant du scénario le plus durable (SSP1), au scénario le moins durable (SSP5)
3 Technique d'imagerie permettant la reconstruction 3D d'un échantillon afin de pouvoir décrire de manière très fine l’espace poral qui constitue le milieu végétal
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Auda Y., J. Lundin E., Gustafsson J. et al. 2023 A New Land Cover Map of Two Watersheds under Long-Term Environ-mental Monitoring in the Swedish Arctic Using Sentinel-2 Data. Water 15 (18), 3311. DOI: 10.3390/w15183311
Cazaurang S., Marcoux M., Pokrovsky O. S. et al. 2023. Numerical assessment of mor-phological and hydraulic properties of moss, lichen and peat from a permafrost peatland: Hydrology and Earth System Sciences. 27 (2), 431–451. DOI: 10.5194/hess-27-431-2023