Agroécologie 5 min
Des résidus de pesticides dans les sols et les vers de terre : une réalité omniprésente et insidieuse
Herbicide, insecticide ou fongicide, ils sont partout, dans les sols des parcelles agricoles, des prairies et des haies et dans les vers de terre qui y vivent. Un constat inédit et préoccupant que dressent des chercheurs INRAE et leurs collègues au travers d’une vaste campagne d’analyse alors même que la réduction de l’utilisation des produits phytosanitaires est plus que jamais d’actualité dans une perspective sanitaire et environnementale.
Publié le 14 janvier 2021
Les pesticides de synthèse, une réalité qui ne faiblit pas qu’il s’agisse des quantités utilisées ou des surfaces traitées malgré un enjeu majeur à vouloir en réduire l’utilisation et à en limiter les impacts sur la santé et l’environnement.
Au sud de Niort (79), des chercheurs INRAE et leurs collègues ont analysé la teneur en pesticides des sols, et des vers de terre qu’ils abritent, dans la zone atelier Plaine et Val de Sèvre, une grande plaine de 450 km ², véritable laboratoire à ciel ouvert utilisé pour étudier les interactions entre les activités agricoles et l’environnement. Ils se sont intéressés à des parcelles agricoles conduites de façon conventionnelle ou biologique, ainsi qu’à des prairies et des haies n’ayant jamais reçu de traitements phytosanitaires. Une démarche originale riche d’enseignements.
Des pesticides de synthèse omniprésents dans les sols…
Tous les prélèvements de sol contenaient au moins un pesticide de synthèse. En tête, un herbicide, le diflufénican, suivi d’un insecticide, l’imidaclopride et de deux fongicides, le boscalid et l’époxiconazole. Détectés dans plus de 80 % des échantillons, ces pesticides de synthèse étaient présents des concentrations parfois élevées voire supérieures aux doses recommandées.
Le mélange le plus communément retrouvé associait un insecticide, l’imidaclopride, un herbicide, le diflufénican et un fongicide, boscalid, époxiconazole ou prochloraze, c’est-à-dire des produits différents par leurs caractéristiques chimiques, leur mode d’action voire les cultures sur lesquels ils sont appliqués. La grande majorité des échantillons de sol (83 %) contenait cinq pesticides ou plus, ils étaient un peu plus d’un tiers (38 %) à en renfermer 10 ou plus tandis que la moyenne s’élevait à 8,5 pesticides par échantillon.
et dans les vers de terre….
La quasi-totalité (92 %) des vers de terre de l’espèce étudiée (Allolobophora chlorotica) contenait au moins un pesticide, un tiers (34 %) en incluait cinq ou plus. En tête un insecticide, l’imidaclopride, retrouvé dans 79 % des organismes.
En moyenne 3,5 pesticides ont été détectés par individu, moins que pour les sols mais à des concentrations plus élevées pour certains d’entre eux, comme le diflufénican ou l’imidaclopride.
Comme dans les échantillons de sol, le mélange le plus communément retrouvé associait un insecticide, l’imidaclopride, un herbicide, le diflufénican et un fongicide, l’époxiconazole, retiré depuis du marché ou le cyproconazole.
quel que soit le couvert végétal ou son mode de conduite
Le profil de contamination des échantillons de sols différait selon le couvert végétal. Dans des sols sous céréales, un nombre plus élevé de pesticides que dans les sols sous prairies ou haies a été décelé et des concentrations relativement élevées d’herbicide - diflufénican, insecticide – imidaclopride et fongicides - boscalid, époxiconazole, prochloraze and pendiméthaline y ont été relevées.
Les sols traités recelaient un plus grand nombre de produits phytosanitaires que les sols non traités. Cependant, parmi les 93 échantillons collectés dans des habitats non traités, 83 % d’entre eux contenaient plus de trois pesticides. En moyenne, pas moins de six pesticides ont été détectés dans les sols sous céréales AB. Même constat pour les prairies AB où l’on a retrouvé en moyenne cinq pesticides.
Le profil de contamination des vers de terre différait essentiellement selon le type d’habitat : prélevés sous céréales, ils contenaient plus de pesticides que leurs homologues récoltés sous prairies ou haies et les concentrations d’insecticide – imidaclopride, herbicide – diflufénican et fongicide – cyproconazole étaient plus élevées que sous prairies ou haies.
Dans 46 % des cas, les cocktails de pesticides présentaient un risque élevé de toxicité chronique pour les vers de terre, que ce soit dans les sols des cultures céréalières traitées ou dans des habitats non traités et communément considérés comme des refuges pour la faune. Un risque susceptible plus largement d’altérer la biodiversité des écosystèmes et d’en modifier les fonctions.
Parcelles traitées ou non, habitats naturels… aucun espace, agricole ou naturel, ne semble épargné par les pesticides. Rémanence des produits phytosanitaires, contamination des parcelles voisines, accumulation par les organismes vivants non cibles… autant de points que ces résultats suggèrent d’explorer plus avant, tout comme ils invitent à considérer la question de la réduction de l‘utilisation des pesticides à l’échelle du paysage.
Les chercheurs ont choisi 60 zones de 1 km² dans lesquelles ils ont prélevé, courant 2016, des échantillons de sol et des vers de terre :
• 180 échantillons de sol ont été collectés sur 5 centimètres de profondeur : 60 échantillons dans des champs de céréales, traités (53) ou non (7), 60 dans des prairies traitées (26) ou non (15) voire conduites en AB (11) et 60 sous des haies.
• 155 vers de terre ont été prélevés : 52 dans des champs de céréales traités (45) ou non (7), 52 dans des prairies traitées (30) ou non (12) voire conduites en AB (10) et 51 sous haies. Ils appartiennent à l’espèce Allolobophora chlorotica, très fréquente dans les premiers cm de sol.
Trente-et-un pesticides d’usage courant soit 29 autorisés en agriculture et deux interdits trois ans avant ces travaux, ont été recherchés : 9 insecticides, 10 fongicides et 12 herbicides. Ils ont été sélectionnés d’après leur utilisation par les agriculteurs de la région dans les 5 années précédant ces travaux.
Parmi les 31 substances évaluées par les chercheurs, l’imidaclopride, un pesticide de la famille des néonicotinoïdes, fréquemment pointé du doigt pour des problèmes de sécurité environnementale, alimentaire et sanitaire, est au cœur de nombreux projets de recherche INRAE.
En 2019, des chercheurs du CNRS, de l’Inra et de l’Institut de l’abeille étaient les premiers à montrer que des résidus de ces insecticides, notamment l’imidaclopride, restaient détectables dans le nectar de colza de 48 % des parcelles étudiées, soulignant que le risque persiste pour les abeilles. En savoir plus
Cette même année, un groupe de travail de l’Anses, dont certains chercheurs de l’Inra ont fait partie, ont publié une liste d’alternatives, chimiques ou non, à l’utilisation de néonicotinoïdes. En savoir plus
En septembre 2020, Philippe Mauguin, président directeur général d’INRAE et Alexandre Quillet, président de l’ITB, remettaient à Julien Denormandie, ministre de l’Agriculture et de l’alimentation, le plan national de Recherche et Innovation pour trouver des solutions alternatives aux néonicotinoïdes opérationnelles contre la jaunisse de la betterave sucrière. En savoir plus
Pelosi C. et al. (2020). Residues of currently used pesticides in soils and earthworms: A silent threat? Agriculture, Ecosystems & Environment 305, 1 January 2021, 107167. https://doi.org/10.1016/j.agee.2020.10716
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Vendredi 5 mars 2021, Céline Pelosi participait à l'Emission "La Terre au carré" - France Inter