Agroécologie 5 min

Les Enchytréides, des organismes du sol qui gagnent à être mieux connus

Sous nos pieds, une faune nombreuse et diversifiée dont il reste encore beaucoup à découvrir. Les sols abritent des vers, vers de terre, bien connus, et enchytréides, moins connus, tous deux essentiels au fonctionnement des sols et auxquels s’intéressent les équipes INRAE.

Publié le 18 décembre 2020

illustration Les Enchytréides, des organismes du sol qui gagnent à être mieux connus
© INRAE, Céline Pelosi

Les sols abritent une biodiversité importante que les pratiques agricoles affectent, souvent en mal, parfois en bien. Parmi les organismes du sol, les vers de terre sont relativement bien étudiés et leur utilisation comme indicateurs de la fertilité des sols et des perturbations anthropiques est relativement bien documentée.  D’autres, comme les enchytréides sont bien moins connus. Ils font pourtant l’objet de nombreux travaux conduits notamment par les équipes INRAE avec leur corollaire de découvertes d’intérêt. Voyage au centre de la Terre (ou presque) à la découverte de ses habitants !

Les Enchytréides sont présents en abondance dans de nombreux écosystèmes

Les Enchytréides sont omniprésents et plus abondants que les vers de terre dans de nombreux sols : 10 000 à 300 000 individus par m² pour les premiers contre quelques centaines pour les seconds. Ils vivent généralement dans les cinq à dix premiers centimètres du sol.

En France, peu de données sont disponibles. Courant 2016, des scientifiques de l’Institut et leurs collègues ont étudié les communautés d'Enchytreides d’un sol de prairie permanente dans le parc du château de Versailles. Pas moins de 5 633 et 3 390 individus ont été échantillonnés au printemps et à l'automne, respectivement. Au total, 24 espèces d’enchytréides ont été identifiées, appartenant aux genres Fridericia (11 espèces), Enchytraeus (quatre espèces), Achaeta (quatre espèces), Buchholzia (deux espèce), Marionina (deux espèces) et Enchytronia (une espèce). Il s’agissait alors de la plus grande diversité trouvée en Europe dans un pré. Les espèces les plus abondantes différaient selon la saison : E. buchholzi (24 %), F. galba (14 %) et F. isseli (13 %) dominaient au printemps, en automne, E. parva (13 %), F.  christeri (12 %) et E. buchholzi (12 %) abondaient.

Ils jouent un rôle clé dans le fonctionnement des agroécosystèmes

Enchytréides et vers de terre, en plus d’être tous deux fortement impliqués dans les réseaux trophiques, ont des rôles fonctionnels similaires mais à des échelles différentes. Ils participent à la dégradation de la matière organique du sol - du fait de leur faible efficacité d’assimilation, les enchytréides en ingèrent de grandes quantités. Ils sont également impliqués dans l’évolution de la structure du sol du fait de leur comportement fouisseur et du transport, de l’ingestion et du mélange des particules minérales et organiques du sol. Ils influencent ainsi la porosité du sol dont ils réduisent le compactage, et augmentent la conductivité hydraulique et la concentration en oxygène.

De l’effet des pratiques agricoles sur les Enchytréides

A la faveur d’une vaste étude bibliographique, des chercheurs de l’Institut ont également mis en évidence que les Enchytréides pouvaient être considérés comme des indicateurs des pratiques de gestion agricole dans la mesure où ils sont sensibles aux changements de ces pratiques, qu’il s’agisse d’abondance ou de diversité des espèces.

En pratique, ils ont également évalué l’impact de quatre systèmes de culture - conventionnel, intégré, biologique et en semis direct sous couvert végétal – qui différaient principalement par le travail du sol, l'utilisation de pesticides et d'engrais, la rotation des cultures et la production de biomasse végétale et de deux types d'amendements organiques - le fumier animal et les boues compostées, sur l’abondance et la diversité des enchytréides et des vers de terre. Les enchytréides, comme les vers de terre, sont plus abondants dans les systèmes biologiques ou sous couvert végétal que dans les systèmes conventionnels ou intégrés. Ceci pouvait s’expliquer par l’apport d’amendements de nature organique, la permanence du couvert végétal, l'absence d'utilisation de pesticides et de recours au labour et les rotations de cultures.

Ils ont également évalué les populations de vers de terre et d’enchytréides dans des parcelles de jachère nue. Ce dispositif expérimental permet d’évaluer les impacts à long-terme de l’application prolongée des principaux types d’engrais et d’amendements (azotés, phosphorés, potassiques mais aussi basiques et organiques) sur la composition et les propriétés des sols. Ils ont ainsi montré que par rapport aux sols gérés de manière conventionnelle, vers de terre et enchytréides étaient beaucoup moins abondants dans les sols traités de manière extrême - les enchytréides étaient toutefois relativement plus abondants que les vers de terre, du fait de leur plus grande tolérance aux conditions de pH acides des sols et à leur comportement alimentaire différent.  Enchytréides comme vers de terre étaient présents dans des parcelles qui avaient reçus du fumier de cheval ou des amendements basiques. Ceci suggère que la teneur en matière organique des sols et / ou le pH est un facteur d’impact important pour les communautés de vers de terre et d’enchytréides.
Ils ont enfin évalué l’effet de pesticides commerciaux, utilisés en agriculture biologique comme l’oxychloride de cuivre ou en agriculture conventionnelle, à des doses agronomiques autorisées, sur la survie, la biomasse et le comportement des populations de vers de terre et d’enchytréides. Ces derniers se révèlent être moins sensibles que les vers de terre aux pesticides testés.

Plus actifs sur le plan métabolique, moins sensibles au travail du sol et aux pesticides, les enchytréides n’ont pas à rougir vis-à-vis de leurs cousins les vers de terre, puisqu’ils sont en mesure d’assurer des fonctions essentielles, p. ex. décomposition de la matière organique, structuration du sol, en leur absence.  Au laboratoire, ils constituent des organismes d’intérêt pour étudier l’impact des pratiques agricoles dont les risques liés aux pesticides ainsi que l’effet des changements globaux du fait de leur diversité, de leur importance fonctionnelle et de la mise en œuvre aisée de tests standardisés à tous les niveaux d’organisation.

 

Catherine Foucaud-ScheunemannRédactrice

Contacts

Céline Pelosi UMR Environnement méditerranéen et modélisation des agro-hydrosystèmes (INRAE, Avignon Université)

Le centre

Le département

En savoir plus

Biodiversité

Vers de terre : le plein de connaissances

Le sol est un milieu fabuleux. Il abrite une biodiversité exceptionnelle au sein de laquelle les vers de terre jouent un rôle important pour la structure et les fonctions du sol. Etat des lieux de leur diversité et de leur abondance à l’échelle mondiale, classification revisitée, description de nouvelles espèces ou origine des populations locales, les scientifiques INRAE sont de tous les travaux récents.

19 octobre 2020

Biodiversité

Ingénieuse biodiversité des sols

Dans un hectare de sol cultivé, un entrelacs de racines abrite 1,5 tonnes de bactéries et 3,5 tonnes de champignons microscopiques. Sans compter les vers de terre, insectes, acariens… et toute une faune qui peut peser de 1 à 5 tonnes ! Cette biodiversité très riche fait la valeur de nos sols, participe à leur fertilité et contribue donc à la qualité de notre alimentation. Élément clé du bon fonctionnement de notre environnement, elle favorise la régulation du climat, le stockage du carbone, la qualité de l’eau...

20 décembre 2019

Biodiversité

La biodiversité des sols comme capital

Les sols abritent une biodiversité importante et riche, indispensable à leur fonctionnement et à la fourniture de services écosystémiques. Des cultures microbiennes à la métagénomique, les modes d’exploration ont changé, de même que les questionnements de recherche. Entretien avec Philippe Lemanceau, écologiste microbien, spécialiste de la biodiversité des sols et des interactions plantes-microorganismes.

01 décembre 2020