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La biodiversité des sols comme capital

Les sols abritent une biodiversité importante et riche, indispensable à leur fonctionnement et à la fourniture de services écosystémiques. Des cultures microbiennes à la métagénomique, les modes d’exploration ont changé, de même que les questionnements de recherche. Entretien avec Philippe Lemanceau, écologiste microbien, spécialiste de la biodiversité des sols et des interactions plantes-microorganismes.

Publié le 04 décembre 2020

illustration La biodiversité des sols comme capital
© INRAE, Pascal Thiebeau

Insectes, acariens, vers de terre, mollusques, protozoaires, archées, bactéries, champignons et autres, sans oublier les racines des plantes, la biodiversité des sols est riche et variée. En zone agricole, sa biomasse avoisine 5 tonnes par ha soit cinq fois plus que celle qui se trouve au-dessus du sol.

Essentiels pour l’humanité, les sols et leur biodiversité rendent de nombreux services écosystémiques. Ce sont des services d’approvisionnement (productivité primaire mais également ressources génétiques pour des applications biotechnologiques et pharmaceutiques, comme le fut la pénicilline produite par un champignon du sol et découverte au début du siècle dernier) ; des services de régulation et d’entretien (régulation des cycles biogéochimiques - C, N, P, Fe, S...) en relation avec celle du climat et de la fertilité des sols, régulation des bioagresseurs et des maladies, et donc de la santé des plantes, régulation du cycle de l’eau, de ses flux et de sa qualité)  sans oublier les services culturels (esthétiques, récréatifs, éducatifs…). Essentielle pour notre alimentation, la biodiversité des sols l’est également pour notre environnement et notre santé.

Le Millenium Ecosystem Assessment définit la biodiversité comme « ... la diversité parmi les organismes vivants dans des écosystèmes terrestres, marins et autres milieux aquatiques et les complexes écologiques dont ils font partie. Elle inclut la diversité à l'intérieur des espèces et entre celles-ci ainsi que la diversité des écosystèmes. »

Connaitre la biodiversité des sols

De l’étalement microbien sur boîte de Petri à l’étude du métagénome, 30 ans environ se sont écoulés avec leur série de développements méthodologiques et les travaux dont ils ont profité.

Les sols sont des milieux complexes à étudier et les organismes qu’ils abritent sont difficilement accessibles, c’est en particulier le cas des microorganismes, qui, comme leur nom l’indique, ne sont pas visibles à l’œil nu.  A une matrice hétérogène et complexe, se superpose de plus une grande variété de situations environnementales (qu’il s’agisse du type de sol, d’usage ou encore de climat) et d’échelles (des individus aux communautés, ou encore de l’agrégat de sol, au champ, au paysage et au territoire) à prendre en compte.

Diversité taxonomique ou fonctionnelle, que l’on s’intéresse aux organismes, à leurs activités ou à leurs fonctions, les enjeux sont multiples.

La possibilité d’extraire l’ADN du sol et la réduction des coûts de séquençage permettent maintenant d’accéder au métagénome des sols. Deux approches sont possibles. L’une implique un séquençage complet du métagénome afin de mieux connaitre les fonctions du sol et des gènes associés. L’autre cible des séquences particulières, à valeur taxonomique ou fonctionnelle, pour caractériser la biodiversité à de larges échelles spatiales (biogéographie) ; il est ainsi possible d’identifier les composantes de l’environnement (propriétés physico-chimiques des sols et du climat) ainsi que les modes d’usage des sols qui impactent la diversité et la structuration des communautés microbiennes.

Des méthodes moléculaires sont également en développement pour la faune du sol. Elles permettent de déterminer le positionnement taxonomique des organismes du sol, s’affranchissant d’identifications morphologiques coûteuses en temps et en matériel, avant d’envisager de réaliser leur caractérisation sur la base du polymorphisme de leur ADN directement extrait du sol, comme pour les microorganismes.

 Faire fructifier les connaissances sur la biodiversité du sol

Coupler les analyses de sols à leur interprétation permet aujourd’hui de poser un diagnostic sur la qualité des sols. Ce diagnostic, à l’instar de ce qui existe pour les propriétés physico-chimiques des sols, est possible grâce aux développement de méthodes standardisées d’analyse et à l’établissement de référentiels d’interprétation. Sur la base de ce diagnostic, il est aujourd’hui possible de construire avec les acteurs des éléments d’aide à la décision avec pour objectif d’orienter la biodiversité pour assurer les fonctions et fournir des services écosystémiques attendus.

A titre d’exemple, les enjeux des pratiques agronomiques relatives au cycle de l’azote sont de favoriser les entrées d’azote atmosphérique par la fixation biologique de l'azote. Ainsi, des recherches sont en cours pour identifier les couples génotype microbien – génotype végétal les plus performants. Les pertes de nitrate par lessivage ou dénitrification peuvent être minimisées en optimisant le couplage entre minéralisation de l'azote organique et assimilation de l'azote minéral par la plante pour sa nutrition. Côté émissions de N2O, certaines populations microbiennes du sol sont capables de capturer ce gaz et de l'éliminer en le transformant en N2. L’enjeu de l’agroécologie est donc de développer des systèmes agricoles qui préservent et valorisent la biodiversité et les interactions biotiques.

Des perspectives de recherche renouvelées : les interactions plantes-microorganismes

Au cœur de cette biodiversité, les plantes entretiennent avec la partie du sol proche de leurs racines – on parle de rhizosphère - un microbiote abondant et actif, différent de celui qui se trouve dans le sol nu. Cette rhizosphère abrite une vie très importante grâce à une matière organique abondante qui provient de la libération d’exsudats racinaires. Ceux-ci représentent une manne pour les microorganismes du sol qui voient leur nombre et leurs activités augmentés.

A la table du banquet, tous ne sont cependant pas invités, comme si la plante privilégiait les microorganismes qui lui sont favorables. Les échanges à bénéfices réciproques entre plantes et microbiotes associés représentent donc des boucles de rétroaction positives. La plus grande performance des plantes conférée par leurs microbiotes associés a conduit à proposer, à l’image du microbiote intestinal de l’Homme, le principe d’un holobionte pour décrire l’association plante – microorganismes. Cet holobionte constitue un superorganisme qui correspond à une entité fonctionnelle constituée d’une communauté multispécifique (végétal et microorganismes). Les processus évolutifs ne sont pas nécessairement favorables à la plante et peuvent déboucher sur des interactions délétères pour la plante-hôte (boucles de rétroaction négatives). Ainsi, s’insinuent parfois des "pique-assiettes", microorganismes indifférents voire pathogènes, qui tirent parti de la relation sans y contribuer. Toutefois, sous l’effet de la sélection naturelle, les boucles de rétroaction positives ont permis d’accroître la survie et la reproduction des holobiontes correspondants alors que les boucles négatives les ont réduites, conduisant ainsi à la dissémination des holobiontes bénéficiant de boucles positives et a contrario à la régression de ceux sujets à des boucles négatives.

Un enjeu majeur est d’identifier les traits végétaux et leurs équivalents microbiens impliqués dans ces boucles de rétroaction positives. L’objectif : intégrer à terme, dans des programmes d’amélioration variétale, les traits génétiques de plantes qui promeuvent les populations microbiennes favorables à leur croissance et leur santé voire à la qualité des produits, tout en réduisant les intrants de synthèse.

Ainsi, le remplacement des protéines animales par leurs homologues végétales s’inscrit dans des pratiques vertueuses mais il faut être vigilant à ce que cela ne s’accompagne pas de carences, en particulier en acides aminés essentiels ou en fer. La carence en fer est un problème sanitaire majeur au niveau mondial, dans les pays en voie de développement où l’accès à la viande est limité mais également dans les pays industrialisés. Dans le cadre de l’Institut Carnot Plant2Pro, les chercheurs évaluent comment les interactions plantes/microorganismes sont susceptibles de contribuer à augmenter la teneur en fer des graines de pois et quels sont les traits génétiques impliqués voire les pratiques agricoles favorables (associations graminées-légumineuses).

La biodiversité des sols au cœur de la société

L’établissement de diagnostics de la qualité biologique des sols est maintenant complété par des approches participatives avec les acteurs pour établir des éléments d’aide à la décision selon la variété des situations environnementales et des services attendus. Récemment des projets portant sur la faune des sols ont émergé dans la perspective d’améliorer les connaissances scientifiques, de sensibiliser les usagers à leur environnement voire de faire évoluer les modes d’usage vers plus de durabilité.

Société civile, acteurs socio-économiques, collectivités… L’organisation territoriale place également les sols au cœur de ses objets. Lauréat de l’appel à projets gouvernemental 2019 (PIA3) « Territoires d’innovation », le projet « Dijon, alimentation durable 2030 »  porté par Dijon Métropole, et auquel contribue l’Institut, représente une expérimentation grandeur nature avec pour vocation à démontrer que la transition agroécologique et alimentaire est possible. Ce projet comporte un dimension Sol importante dont la perspective est d’établir un diagnostic de la qualité des sols de l’aire urbaine de Dijon, en lien avec leurs propriétés physico-chimiques et leurs modes d’usage, afin de proposer des éléments d’aide à la décision en fonction des services attendus.

Et demain ?

La culturomique est une méthode de culture haut débit qui vise à identifier de manière exhaustive les microorganismes dans des échantillons issus de milieux variés (intestin, environnement…). Elle ouvre de nouvelles perspectives aux études de biodiversité en ré-intégrant l’importance d’avoir accès aux organismes eux-mêmes.

De récents projets de recherche rassemblent différentes communautés scientifiques, des domaines de l’alimentation, de l’environnement, de l’agriculture ou encore de la santé, avec l’ambition de faire une caractérisation physiologique haut débit de communautés microbiennes issues de différents environnements. L’objectif : mieux exploiter le potentiel physiologique et génétique de la diversité microbienne.

Préserver des ressources pour répondre à des questions que l’on n’imagine pas encore

Pendant longtemps les sols ont été considérés essentiellement comme un support physique et un réservoir d’éléments minéraux nécessaires à la croissance et au développement des plantes. Renouvellement des méthodes d’observations et d’analyses, développement d’approches expérimentales et de la modélisation, il convient désormais de mettre en relation le potentiel génétique de la diversité microbienne avec les activités et fonctions correspondantes ainsi que les services attendus pour la santé des écosystèmes et de l’Homme dans une vision intégrée d’ingénierie écologique qui englobe les dimensions environnementales, sociales et économiques.

Retrouvez l’intégralité du dossier : les sols, essentiels pour la planète

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Claudia Bartoli, le microbiote des plantes

Claudia Bartoli est une jeune chercheuse qui a intégré récemment l’Institut de Génétique environnement et protection des plantes (IGEPP) du centre de recherche Inra Bretagne-Normandie. Elle étudie le microbiote de la plante et plus particulièrement les interactions Brassicaceae-microbiote-bioagresseurs afin de réduire l’usage de produits phytosanitaires dans les cultures.

17 décembre 2019