Biodiversité 3 min

Tanzanie : comment les aires marines protégées transforment l’économie locale sur le long terme

Face à l’effondrement alarmant de la biodiversité marine, les aires marines protégées (AMP) à usages multiples cherchent à concilier la conservation de la nature avec le développement économique. Bien que ces zones autorisent certaines activités humaines, elles imposent parfois des régulations strictes afin de réduire l’impact de la pêche, de l’aquaculture, du transport maritime ou d’autres secteurs sur les écosystèmes marins. Les effets réels des AMP, tant sur l’environnement que sur les communautés locales, restent débattus et sous-étudiés. Une recherche récente menée en Tanzanie apporte un éclairage sur les effets socioéconomiques à long terme des AMP. Elle met en évidence les bénéfices significatifs pour les populations tout en soulignant les défis persistants pour la protection de la biodiversité.

Publié le 04 octobre 2024

© INRAE, A. Leblois

La biodiversité marine, en constante dégradation, est essentielle au bon fonctionnement des océans et à leur capacité de régénération. Cette dégradation a des répercussions directes sur les services écosystémiques dont dépendent les populations humaines, rendant impérative l’adoption de politiques durables profitant à la fois à l’homme et à la nature. Parmi ces politiques, les aires marines protégées (AMP) à usages multiples sont de plus en plus encouragées. Ces zones permettent certaines activités économiques, notamment la pêche, tout en imposant des réglementations plus strictes que celles en vigueur à l’extérieur des AMP.

Cependant, l’effet des AMP sur les écosystèmes, la biomasse des poissons et les sociétés reste incertain, débattu et sous-étudié, en particulier sur le long terme. Les craintes liées aux restrictions des activités, surtout de pêche, freinent souvent la création de ces zones protégées, malgré l’absence de preuves solides d’effets négatifs sur l’économie locale. Les études existantes, généralement très locales et basées sur de courtes séries temporelles, n’offrent qu’une vision fragmentaire des véritables impacts des AMP. Les effets des AMP dans les pays à revenus faibles ou intermédiaires, comme la Tanzanie, sont particulièrement intéressants en raison des enjeux majeurs liés aux compromis entre les objectifs de conservation et les impératifs de développement économique, souvent perçus comme contradictoires.

Les aires marines protégées en Tanzanie : un outil contre l’effondrement de la biodiversité marine

Les côtes de l’océan Indien occidental, notamment celles de la Tanzanie, illustrent bien les défis auxquels est confrontée la gestion des ressources marines. Ces écosystèmes subissent une pression croissante due, entre autres, à leur surexploitation et au changement climatique. Depuis les années 1980, les stocks de poissons ont drastiquement diminué à cause de la surpêche pratiquée par les flottes de pêche locales et internationales, affectant les 4,2 millions de Tanzaniens qui dépendent de la pêche pour leur subsistance. Pour faire face à cette crise, des initiatives de conservation marine ont émergé dès les années 1970, puis ont connu une expansion dans les années 1990. Parmi ces initiatives figure la création d’AMP, intégrant désormais des activités socioéconomiques telles que l’apiculture, l’agriculture ou l’aquaculture, concomitamment aux efforts de conservation.

Des données inédites pour étudier les effets à long terme des AMP

Un collectif interdisciplinaire de chercheurs internationaux, réunissant des écologues marins, des géographes, des spécialistes des pêcheries et des économistes, a récemment publié une étude fondée sur des données économiques très détaillées, permettant d’étudier les effets à long terme des AMP. Cette recherche fait suite à une étude réalisée en 2003 par Tobey et Torell, qui avait révélé un effet très limité des AMP en Tanzanie 3 à 8 ans après leur création. Deux décennies plus tard, les chercheurs ont réexaminé les données initiales, et reproduit le protocole d’enquête dans 24 villages localisés sur les côtes tanzaniennes, à différentes distances des AMP. Dans chaque village, une trentaine de ménages ont été interrogés pour caractériser et évaluer leurs activités économiques et leur niveau de vie. Grâce à une méthode d’analyse statistique d’impact à contrefactuel (diff-in-diff, ou Before-After Control-Impact, BACI), cette nouvelle étude enrichit la littérature existante en analysant des effets à plus longs terme que ceux habituellement documentés, et permet de formuler des conclusions robustes.

Les AMP : un levier pour la prospérité économique, mais des défis persistants pour la biodiversité

Le niveau de vie des habitants des villages situés à proximité ou au sein des AMP a augmenté de 50 % par rapport à ceux plus éloignés.

Les résultats de l’étude montrent une amélioration significative du niveau de vie des communautés vivant près des AMP, avec une augmentation de 50 % par rapport aux villages plus éloignés. Ces avantages économiques profitent à tous les habitants, qu’ils soient pauvres ou riches. Fait intéressant, cette hausse n’est pas directement liée à une augmentation des captures de poissons, mais plutôt à une diversification des activités économiques, notamment vers des emplois dans les secteurs secondaires et tertiaires, comme le tourisme. Ces conclusions remettent en question l’hypothèse selon laquelle la prospérité économique des communautés locales dépend d’une biodiversité marine florissante. En réalité, les AMP génèrent des bénéfices économiques même en l’absence de gains notables en termes de biomasse de poissons. En particulier, le tourisme axé sur la nature, souvent encouragé par la création d’AMP, constitue un levier économique important, favorisant l’amélioration du niveau de vie dans les pays côtiers en développement, comme la Tanzanie.

Cependant, la durabilité de ces bénéfices reste incertaine. La dégradation continue des écosystèmes marins pourrait, à terme, nuire à l’ensemble du secteur touristique, entraînant des effets négatifs en cascade sur l’économie locale. Pour éviter ce scénario, il est crucial de renforcer la protection des écosystèmes au sein des AMP.

Les AMP stimulent l’économie malgré des gains limités en biomasse de poissons, mais leur durabilité dépend d’une protection renforcée de la biodiversité.

Investir dans la conservation de la biodiversité pourrait ainsi s’avérer être une décision économiquement judicieuse. Les coûts supplémentaires liés à une protection plus stricte de la faune et de la flore sont probablement minimes comparés aux bénéfices économiques à long terme que des écosystèmes marins sains pourraient générer. En comblant les lacunes financières et en renforçant l’application des réglementations, les AMP pourraient jouer un rôle central dans la création d’une économie durable et prospère.

 

 

 

REFERENCE

Desbureaux S., Girard J., Dalongeville A., Devillers R., Mouillot D., Jiddawi N., Sanchez L., Velez L., Mathon L., Leblois A. (2024). The long-term impacts of Marine Protected Areas on fish catch and socioeconomic development in Tanzania. Conservation Letters 2024;e13048

http://doi.org/10.1111/conl.13048  

Contacts scientifiques

Rodolphe Devillers Directeur de recherche IRDUMR Espace-Dev

Antoine Leblois Chargé de recherche INRAEUMR CEE-M

Le centre

Le département

En savoir plus

Société et territoires

L’influence des dynamiques politiques sur la protection de la biodiversité : l’exemple des États-Unis

COMMUNIQUÉ DE PRESSE - Les aires protégées ont historiquement été créées pour préserver la biodiversité, mais ces dernières peuvent être menacées par des décisions politiques. À travers l’exemple des États-Unis et en s’appuyant sur des données entre 2001 et 2018, des scientifiques d’INRAE, de l’Institut Agro, de l’université Duke montrent que le passage à une représentation politique Républicaine majoritaire au sein des États entraine un risque de réduction ou de déclassement des aires protégées. Ces résultats, publiés dans la revue Ecology and Society, soulignent la forte influence des orientations politiques dans les décisions de conservation.

20 septembre 2024

Biodiversité

Biodiversité : les chercheurs engagés

DOSSIER DE PRESSE - Du 29 avril au 4 mai 2019, la France a accueilli la 7e session plénière de l’IPBES, la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques. L’objectif de cette réunion du « GIEC de la biodiversité » : valider la toute première évaluation internationale de la biodiversité et des services écosystémiques. Cette réunion est aussi une étape clé dans la perspective de la 15e conférence internationale sur la diversité biologique de 2020. Si les enjeux portés par l’IPBES sont majeurs en termes de protection et de conservation de la nature, ils le sont tout autant dans les domaines culturel, économique, alimentaire et sanitaire.

06 avril 2019