Quel avenir pour l’élevage en Corse ?
La situation de l’élevage en Corse est préoccupante au point que son avenir est aujourd’hui incertain. Que restera-t-il de l’élevage pastoral tel que les corses l’ont connu dans les deux prochaines décennies ? Quelles sont les nouvelles formes d’élevage à venir ? Correspondent-elles aux nouvelles contraintes de l’anthropocène ?
Jean-Paul Dubeuf, ingénieur de recherche, identifie quelques interpellations stratégiques et des actions à mettre en place pour répondre aux défis d’aujourd’hui et de demain.
Publié le 26 novembre 2024
De multiples inquiétudes
Il s’agissait au départ de préparer l’agriculture aux défis de transition agroécologique et d’adaptation au changement climatique à l’échelle de l’île, en assurant le renouvellement de générations ; mais cette réflexion s’inscrit aussi pour les productions animales dans un contexte d’urgence critique où l’existence même de l’élevage serait menacée à court terme.
Un premier diagnostic avait déjà été établi par secteur (ovin, caprin, porcin et bovin) en 2022 par une équipe d'INRAE dans le cadre de la préparation de la PAC 2023–2027 conduite par l’ODARC. Le constat a été encore précisé depuis et largement partagé par un grand nombre d’acteurs. On souligne d’abord le recul de la part globale de l’élevage dans le chiffre d’affaires de l’agriculture corse, de la productivité en viande comme en lait, de la rentabilité des élevages, mais aussi des transmissions, avec une augmentation (structurelle et conjoncturelle) des charges d’exploitation, de la dépendance (aux intrants importés, aux races importées, aux cours mondiaux), et plus généralement de la concurrence, avec des cessations et abandons d’activité en nette hausse.
Dans le même temps, l’autonomie alimentaire reste très faible pour tous les produits y compris et pour les produits animaux [1] ce qui interroge sur la sécurité alimentaire de l’île en cas de crise grave d’approvisionnement. Cet état des lieux problématique est renforcé par les chocs climatiques et environnementaux qui accélèrent la dégradation de la situation (la question de l’eau, des problèmes sanitaires, de dégradation des estives et plus généralement des pâturages).
Une nécessaire remise en question
Les causes profondes de cette fragilité et de ce déclin semblent bien connues et depuis longtemps et font l’unanimité. De moins en moins d’hommes et de femmes s’engagent réellement dans les métiers d’éleveurs, de pasteurs, de bergers, vécus souvent comme des archaïsmes incompatibles avec les modes de vie contemporains. Il faut avoir le courage de dire que la qualité socioprofessionnelle globale des éleveurs s’est dégradée depuis des années et rend ce monde moins capable d’évoluer, de se remettre en question, de changer de modèles et de pratiques, de monter en compétences.
La référence mythique au pastoralisme d’antan a souvent servi de paravent au refus de larges pans de la profession de s’engager dans des démarches productives préférant privilégier les effets d’aubaine des primes. Ceci a en particulier empêché de réinventer simultanément un pastoralisme moderne en montagne coexistant avec un élevage performant en plaine. De fait les modèles techniques des différentes orientations de l’élevage corse (ovin, caprin, porcin, bovin) ne se sont pas constitués. On a bricolé, mais ça ne suffit plus avec la crise écologique en cours.
Il ne s’agit plus seulement aujourd’hui de capter plus d’argent public ou de se rassurer par des vœux pieux exprimés en commun. Les subventions et les projets engagés n’ont pas corrigé les problèmes de fond, parfois ils les ont juste déplacés, voire aggravés, ou étendus. On n’a pas évalué sincèrement les résultats des interventions publiques, on n’a pas tiré les leçons de leurs difficultés voire des échecs.
Tout n’est pourtant pas négatif et il reste des raisons d’espérer. Des jeunes cherchent à développer des projets innovants et ne demandent qu’à être accompagnés dans leur démarche. Les territoires et collectivités locales initient des projets proches de la population (PAT, PETR …), la Collectivité de Corse soutient l’aménagement de la montagne et le retour de la transhumance (Comité de Massif). Pourtant, jusqu’à présent ça n’embraye pas vraiment. Le découragement gagne et le monde de l’élevage reste profondément désuni dans une confusion permanente entre des stratégies politiques générales clivantes et l’élaboration de solutions partagées qui dépasseraient ces clivages.
Pour sortir de ce cercle vicieux, il faudrait être capable d’identifier quelques propositions prioritaires très opérationnelles, significatives susceptibles de dépasser les incantations sans effet. Parmi les thématiques nombreuses concernées et porteuses de décisions concrètes, on peut citer l’organisation d’une ingénierie ambitieuse d’accompagnement des éleveurs, le soutien et le suivi de la gestion de l’espace pastoral, l‘adaptation du dispositif de formation, la régulation du marché foncier par la mise à disposition de terres cultivables avec la question des baux, de l’indivision, la maîtrise foncière…
Certaines avancées ont été réalisées comme la création d’une formation d’Ingénieur agronome à l’Université de Corse, un début de mise en place d’un système des primes conditionnelles en faveur des élevages productifs, l’action du Groupement Régional des Producteurs de Fourrage GRPF pour développer la production fourragère, le soutien à la remontée en estives par la Collectivité de Corse via le Comité de Massif…. Mais il faut aller plus loin et lancer, avec lucidité et détermination, de nouveaux chantiers qui permettent de se donner des objectifs raisonnables d’inflexion de la situation, de la tendance mortifère actuelle et des perceptions négatives qui en découlent.