Optimiser avec des compromis

Ingénieure agronome, Aude Coupel-Ledru étudie les réponses des plantes au changement climatique. Elle s'intéresse particulièrement aux interactions entre les mécanismes qui contrôlent l'utilisation de l'eau par les plantes et ceux qui régissent la croissance et la production, sous l’effet de multiples contraintes telles que la sécheresse, la température et la teneur en CO2 atmosphérique.

Publié le 02 décembre 2025

© INRAE, Bertrand Nicolas

En 2021, elle rejoint INRAE pour se consacrer à la vigne. Loin d’être une singularité pour cette Normande de naissance, cette plante a bien des raisons de mériter son attention.

En quoi la vigne est-elle une plante intéressante pour vos travaux ?

Aude Coupel-Ledru : En région méditerranéenne, la raréfaction des ressources en eau associée au changement climatique menace la durabilité de la viticulture. Pour y faire face, la sélection ou le développement de cépages économes en eau et suffisamment vigoureux en cas de déficit hydrique constitue un levier important. C’est aussi un défi majeur, à la croisée de plusieurs objectifs : économie d'eau, maintien des rendements et équilibre entre la teneur en sucres et en acides des baies, un élément clé de la qualité du vin.

Cependant la réduction de la transpiration des plantes grâce à une meilleure fermeture des stomates, ces orifices de petite taille présents à la surface des feuilles, limite également la croissance car leur ouverture permet l’entrée du CO2 atmosphérique nécessaire à la photosynthèse. Ce couplage étroit entre gain de carbone et perte d'eau entraîne des compromis qui semblent rendre impossible l'optimisation conjointe de plusieurs caractères, tels que l'économie d'eau et le maintien du rendement.

Il en est de même quand on s’intéresse aux réponses des plantes à des contraintes environnementales multiples. Par exemple, économiser de l’eau en réduisant la transpiration aide les plantes à préserver l’intégrité de leurs tissus en évitant la déshydratation en cas de sécheresse, mais, en cas d’exposition à de très fortes températures maintenir la transpiration est crucial pour assurer le rafraichissement des feuilles et éviter le développement de dégâts irréversibles.

Comment abordez-vous cette problématique complexe ?

Aude Coupel-Ledru : Je suis partie de l’hypothèse qu’en comprenant les origines environnementales et génétiques de ces compromis, il est possible d’identifier des marges de manœuvre et de concevoir des combinaisons conjointes de génotypes avec des caractéristiques ciblées et des pratiques culturales spécifiques à ces génotypes, afin d'atteindre un optimum multi-caractères.

Concrètement comment cela se traduit-il ?

Aude Coupel-Ledru : En pratique, nous avons récemment développé des méthodes de phénotypage à haut débit (spectrométrie dans le proche infra-rouge, fluorescence chlorophyllienne, porométrie). En partenariat avec Vincent Segura, chargé de recherche INRAE dans l’unité Amélioration génétique et adaptation des plantes, et son équipe, nous avons combiné ces techniques avec des mesures conventionnelles à faible débit (photosynthèse, conductance stomatique, glucides...) pour construire des modèles statistiques prédictifs. Ceux-ci ont ensuite été appliqués à des milliers de plantes analysées en parallèle grâce aux techniques rapides de mesure. Cela nous a permis de mettre en évidence une variabilité génétique pour les caractères d'intérêt et d’identifier les régions du génome contrôlant leurs compromis.
Ces travaux ouvrent des perspectives prometteuses dans le cadre des programmes de sélection. Ces caractères n'ont jamais été pris en compte dans la sélection, qui se concentre principalement sur la résistance aux maladies, si bien que l'on sait peu de choses sur le comportement des nouvelles variétés mises sur le marché face aux contraintes environnementales.

Je me suis également intéressée à la diversité génétique de la réponse des plantes aux épisodes de chaleur extrême. Nous avons, entre autres, mis en évidence des régions du génome impliquées dans ces variations.

Les travaux de thèse de Laurine Chir, que j’encadre avec Thierry Simoneau, directeur de recherche INRAE et qui fut mon directeur de thèse, et d’Eva Coindre que j’accompagne avec Vincent Segura prolongent ces travaux. Laurine explore la réponse des plantes aux épisodes de chaleur extrême et Eva s’intéresse à la robustesse des effets génétiques dans des environnements contrastés, notamment au champ ou face à différentes intensités de sécheresse.

Et demain ?

Nous allons maintenant déployer ces outils dans des programmes de sélection pour guider le choix de variétés plus résistantes et plus économes en eau.

Aude Coupel-Ledru : Je souhaite continuer avec des projets tout aussi passionnants ! Nous allons déployer les outils que nous avons mis au point au sein de programmes de sélection pour guider le choix de futures variétés de vigne, non seulement résistantes aux maladies, mais aussi plus efficientes dans l'utilisation de l'eau. Nous travaillons également à définir des variétés idéales qui combinent des caractères génétiques ciblés et des pratiques culturales adaptées à ces caractères.

À plus long terme, je souhaite explorer les réponses de la vigne à des épisodes cumulatifs et inter-annuels tels des épisodes de sécheresses récurrentes, un enjeu majeur pour une plante pérenne.

Autant de pistes en faveur d’une viticulture plus durable.

LE PORTRAIT D'AUDE COUPEL-LEDRU

Face à une même sécheresse ou à des températures extrêmes, certaines plantes continuent de croître tandis que d’autres capitulent. Agronome de formation, Aude Coupel-Ledru s’intéresse aux mécanismes qui gouvernent ces différences pour façonner les variétés de demain. 
Découvrir son portrait.

Catherine Foucaud-Scheunemann

Rédactrice

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Aude Coupel-Ledru

Laboratoire d'écophysiologie des plantes sous stress environnementaux (INRAE, L'Institut Agro Montpellier)

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