Changement climatique et risques 5 min
Forêts et parasites invasifs : et si on se trompait de suspect ?
L’utilisation d’espèces d’arbres exotiques en forêt apparaît à certains comme une solution incontournable pour faire face à un changement climatique rapide. Plus résistantes à des températures élevées, elles rendraient nos forêts moins fragiles, par exemple face aux épisodes de sécheresse.
Publié le 13 octobre 2023
Cette pratique est pourtant controversée à plusieurs titres. Non seulement parce que ces espèces se révèlent parfois invasives, se dispersant alors de façon incontrôlée. Mais aussi parce que les flores et faunes associées à ces espèces sont souvent pauvres, d’autant plus qu’elles sont généralement plantées en monoculture en France.
Au-delà de ces risques pour les écosystèmes, cette pratique serait aussi responsable de l’introduction de microorganismes pathogènes et d’insectes ravageurs. Le livre blanc de la Société botanique de France sur l’introduction d’espèces d’arbres exotiques en forêt développe cette idée, l’illustrant en particulier avec le cas de la chalarose du frêne, une maladie qui a émergé ces dernières décennies.
Si cela était avéré, cette stratégie soulèverait une menace très sérieuse : les agents pathogènes invasifs représentent en effet environ 50 % des cas de maladies signalées par le Département de la santé des forêts, et cette proportion s’accroît.
Mais cette affirmation est-elle fondée ? Sait-on précisément comment les microorganismes attaquant les arbres s’introduisent dans les forêts ? Penchons-nous sur trois cas emblématiques.
La graphiose de l’orme
Parmi les épidémies les plus sévères ayant affecté la forêt européenne, la graphiose de l’orme arrive en tête. Deux épisodes successifs ont en fait été induits par deux espèces de champignon voisines (Ophiostoma ulmi et O. novo-ulmi).
La première épidémie est survenue au début du XXe siècle. Son mode d’introduction reste inconnu, même s’il a parfois été évoqué que l’empaquetage en bois du matériel militaire américain arrivant sur le front pendant la Première Guerre mondiale pourrait en avoir été responsable.
La seconde, causée par O. novo-ulmi, a engendré beaucoup plus de dommages, puisqu’elle élimine largement l’orme des haies et forêts de France. En Europe de l’Ouest, son origine est mieux connue : le champignon est arrivé d’Amérique du Nord, qui avait précédemment été envahie. On ne connaît pas précisément la source initiale de l’introduction du parasite. L’épidémie a démarré autour de quelques grands ports du sud de l’Angleterre : une inspection au port de Southampton en 1973 a démontré que le parasite était présent sur des grumes d’ormes nord-américains venues de l’Ontario.
D’après une étude rétrospective, des importations de ces dernières étaient déjà survenues dans les années 60, justement dans les zones où les premiers foyers de graphiose étaient apparus.
La chalarose du frêne
Intéressons-nous maintenant à la chalarose du frêne, qui affecte fortement les frênes communs à travers l’Europe. Signalée pour la première fois en Pologne dans les années 90, la maladie a pour responsable un champignon, Hymenoscyphus fraxineus, qui n’a été identifié qu’en 2006.
Quelques années plus tard, il est démontré que ce champignon invasif est originaire d’Extrême-Orient, où son hôte indigène est le frêne de Mandchourie. Son arrivée serait ici liée, selon des scientifiques estoniens, aux introductions répétées de frênes de Mandchourie dans les pays baltes durant la période soviétique – en général dans des jardins botaniques, des arboretums ou des parcs.
Mais il s’agissait le plus souvent d’importations de graines de frênes. Or, le risque d’introduction de parasites à travers les graines est très faible : dans le cas de la chalarose, il est impossible que le pathogène ait été véhiculé de cette façon. En 1975, une introduction de plants venus de Mandchourie soviétique dans le Jardin botanique de Tallin pourrait en revanche en être responsable, l’agent pathogène ayant en outre été détecté là-bas sur un échantillon d’herbier de frêne asiatique en 1978. C’est la première présence connue du parasite en Europe.
Le délai entre la première présence connue (1978) et le déclenchement de l’épidémie (années 1990) peut sembler très long, mais il correspond au temps mis par l’agent pathogène pour s’adapter à un hôte et à un environnement nouveau. Et si l’on peut pointer du doigt le Jardin botanique de Tallin, c’est grâce au travail consciencieux de traçabilité menée par son équipe – ce qui s’est passé là est sûrement survenu dans d’autres jardins ou arboretums. Soulignons néanmoins que le frêne de Mandchourie n’a jamais été utilisé en forêt en Europe.
La mort subite du chêne
La voie d’introduction de Phytophthora ramorum en Europe est nettement mieux connue. Dans les années 90, cette maladie désastreuse affectant des chênes américains est signalée en Californie, et baptisée la mort subite des chênes. À la même période, un nouveau Phytophthora affectant les rhododendrons est décrit en Allemagne. Les scientifiques montreront dans la foulée que les deux maladies sont causées par le même microorganisme, P. ramorum, rapidement retrouvé sur des rhododendrons en Californie.
En Europe grandit alors la crainte de voir se développer la maladie sur nos chênes locaux : on constate rapidement la large dissémination du parasite sur le rhododendron et le laurier-tin dans les jardineries et pépinières ornementales de toute l’Europe, mais aussi parfois dans les parcs, en particulier les jardins patrimoniaux britanniques.
Ce ne sont finalement pas les chênes qui seront impactés en Europe : en 2010, les Britanniques rapportent que le parasite est la cause d’une épidémie sévère en forêt sur mélèze, avant de signaler quelques années plus tard qu’il peut aussi se développer sur châtaignier. En France, un premier foyer est signalé en 2017 sur des mélèzes dans le Finistère par le Département de la santé des forêts : une procédure d’éradication est menée dans les peuplements atteints et le foyer apparaît, pour l’instant, sous contrôle.
Les modalités d’introduction de P. ramorum sont aussi bien mieux connues grâce à la caractérisation moléculaire du parasite : deux variants du pathogène circulaient initialement sur la côte pacifique des États-Unis, tandis que deux autres différents circulaient en Europe. Après quelques années, le principal variant nord-américain est retrouvé dans des pépinières de rhododendrons de la côte est des États-Unis. Quant au principal variant européen, il fait son apparition en Oregon sur le rhododendron dans des pépinières, puis dans des zones urbaines et enfin sur des essences forestières natives en milieu naturel proche des zones urbaines.
Peu de doutes donc sur la dissémination de ce microorganisme, visiblement causée par le commerce international de rhododendrons. Selon des études génétiques, il serait originaire des montagnes du nord du Vietnam où il a été trouvé récemment, infectant des espèces de rhododendrons locales.
Le rôle des plantes ornementales
Pour chacun de ces trois exemples, la plantation d’espèces d’arbres exotiques dans les forêts n’est pas responsable de l’introduction de parasites, contrairement à ce que soutient la Société botanique de France. Ce qui est assez logique : les espèces exotiques sélectionnées pour un usage forestier ont généralement déjà fait longuement la preuve de leur adaptation au climat et de leur bonne croissance dans nos régions, par le biais de tests menés dans des jardins botaniques ou des arboretums. Si un parasite invasif devait être introduit par cette voie, le mal aurait déjà été fait…
Ne dégageons pour autant pas les forestiers de toute responsabilité. Une fois qu’un parasite exotique est introduit et s’est adapté à une essence locale, il sera plus aisément dispersé en forêt par plantation de celle-ci – comme dans le cas de la chalarose du frêne. Même si la maladie se disperse naturellement par le vent, il a été démontré que l’introduction du pathogène dans les îles britanniques s’est en partie faite par plantation du frêne commun européen.
Certaines maladies peuvent en outre être introduites par les forestiers, en particulier lorsqu’elles se disséminent par les graines. C’est le cas par exemple du chancre poisseux du pin, en Afrique du Sud. Absente dans les forêts françaises, elle a été détectée épisodiquement en pépinière et est présente en Espagne. D’autres cas sont connus, tels que les eucalyptus dans la zone de l’océan Indien.
Plus généralement, soulignons le rôle joué par le commerce de plantes ornementales dans la dispersion mondiale des parasites des arbres – c’est le cas de la pyrale du buis. Les villes européennes abritent en effet plusieurs milliers d’espèces ligneuses, dont de nombreuses espèces exotiques, ce qui représente une diversité sans commune mesure avec celle présente dans nos forêts.
Les microorganismes pathogènes exotiques trouvent là non seulement une possible voie d’introduction, mais aussi un riche choix d’hôtes potentiels pour pouvoir s’établir.
Claude Husson, Département de la santé des forêts, ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire – DGAL, a contribué à la rédaction de cet article.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.