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COVID-19 : quelles stratégies de lutte contre l’épidémie ?

Comment maîtriser le développement d’une épidémie majeure qui touche désormais tous les continents ? COVID-19 met les sociétés et les gouvernements à l’épreuve. Contre cette maladie d’origine virale, aucun vaccin, aucun médicament n’est encore disponible. Face à ce virus émergent, aucune personne n’était immunisée, et il est difficile d’estimer combien de temps les personnes qui l’ont contracté seront immunisées. Quelle stratégie choisir pour protéger les populations, maîtriser l’expansion du virus, s’ajuster aux capacités des systèmes de santé, et limiter les impacts sur l’activité des sociétés ? Analyse de deux stratégies : l’atténuation et la suppression.

Publié le 06 avril 2020

illustration COVID-19 : quelles stratégies de lutte contre l’épidémie ?
© Christophe Maître, INRAE

 

Comment décider en situation d'incertitude ?

Le monde connait aujourd’hui la plus grave crise sanitaire depuis la grippe espagnole (H1N1) de 1918. Pour contenir cette pandémie qui n’en est vraisemblablement qu’à ses débuts, et éviter un effondrement des systèmes de santé, les gouvernements doivent prendre des mesures draconiennes dans l’urgence et dans un contexte d’incertitude majeure. Pour cela, ils sont conseillés par des groupes d’experts aux profils variés tentant de fournir un avis raisonné sur les stratégies de lutte et leurs conséquences politiques, sociales et économiques. En France, le gouvernement est guidé par deux comités d’experts, le comité scientifique et le Comité Analyse Recherche et Expertise.

La situation mondiale ainsi que les mesures de lutte mises en place par les pays touchés évoluent très rapidement. Pour avoir un bilan à jour de la situation mondiale se modifiant au quotidien, vous pouvez vous référer à de nombreuses ressources en ligne mises à jour en continu, notamment le site de l’Organisation Mondiale de la Santé ou la carte interactive de l’Université John Hopkins. Pour la France, un tableau de bord de l’épidémie est consultable ici
Les approches utilisées pour lutter contre l’épidémie varient d’un pays à l’autre et peuvent même se succéder dans le temps. Certains gouvernements préfèrent atténuer l’épidémie mais en laissant le virus diffuser dans la population, c’est la stratégie d’atténuation adoptée par les Pays-Bas et envisagée initialement par le Royaume-Uni. D’autres pays choisissent de mettre en quarantaine et en confinement des villes de plusieurs millions d’habitants dès l’annonce de quelques cas, c’est la stratégie de suppression, adoptée par le gouvernement chinois dans la province du Hubei.

La pierre angulaire de la prise de décision : le R0

Le R0 est le nombre moyen de personnes qu’un individu infecté contamine

Le R0 est le « taux de reproduction de base ». Pour un agent infectieux donné dans une population déterminée, le R0 définit le nombre moyen de cas secondaires générés par un cas primaire dans une population sensible à l’infection, soit le nombre moyen de personnes qu’un individu infecté contaminera. Le R0 est donc un paramètre important à connaitre pour anticiper les risques. S’il est supérieur à 1, une épidémie s’installera probablement (et plus il est grand, plus l’agent pathogène diffusera dans la population), alors que s’il est inférieur à 1, les infections s’éteindront d’elles-mêmes et l’épidémie ne prendra pas. 
Conceptuellement, le R0 est le produit du taux de contact (nombre de contacts qu’un individu va avoir avec d’autres personnes au cours d’une journée par exemple), de la probabilité de transmission de l’agent infectieux lors d’un contact et de la durée pendant laquelle un individu infecté est capable de transmettre l’agent infectieux (la durée de la période infectieuse). Chacun de ces trois paramètres définissant le R0 représente donc un levier pour ramener le R0 en dessous de 1. Ainsi, la distanciation sociale, la fermeture des écoles et le confinement permettent de diminuer le taux de contact, les gestes barrières et le port d’un masque permettent de diminuer la probabilité de transmission lors d’un contact, le traitement médicamenteux permet de diminuer la durée de la période infectieuse, etc. 
Pendant les premières semaines de l’épidémie dans la ville de Wuhan, le R0 était très probablement au-dessus de 2. Lorsque la ville a été placée en quarantaine et que la distanciation sociale a été mise en place, le taux de contact journalier moyen a été diminué d’un facteur 7 à 9, permettant de ramener largement le R0 à des valeurs inférieures à 1 à Wuhan et Shanghai. De manière générale, l’objectif des mesures de lutte mises en place pour maitriser un agent infectieux tel que le SARS-cov-2 (agent infectieux responsable du COVID-19) est donc de réduire la valeur du R0.

Diminuer le R0 à une valeur proche de 1 (mais toujours supérieure) correspond à la stratégie d’atténuation : le virus continue à diffuser dans la population à un rythme plus lent permettant de ne pas saturer les systèmes de santé.

 

Diminuer le R0 à une valeur inférieure à 1 est la stratégie de suppression : une personne infectée contamine en moyenne moins d’une personne, conduisant à un arrêt de la transmission et à une extinction du virus.

Que ce serait-il passé si rien n’avait été fait ? 

En se basant sur les paramètres épidémiologiques estimés avec les données des premières semaines de l’épidémie, en l’absence de mesures de lutte contre le COVID-19  et en l’absence de changements de comportements (ce qui semble quand même peu vraisemblable), les modèles prédisent qu’une large majorité de la population mondiale se ferait infecter. Malgré les taux de létalité du COVID-19  plutôt faibles (inférieurs à 1% des individus infectés selon les chiffres disponibles), une infection aussi massive conduirait à une saturation des hôpitaux par une partie des personnes malades du COVID-19 nécessitant une prise en charge en soin intensif, et donc l’impossibilité d’assister les autres malades du COVID-19 ainsi que les personnes atteintes d’autres pathologies qui auraient été admises dans les unités de soins intensifs en l’absence de COVID-19. Aux USA, près de 4 millions de personnes par an sont habituellement admises dans les unités de soins intensifs, et près de 500 000 y meurent malgré les soins qu’elles y reçoivent (taux de mortalité moyen de 8 à 19%). Un engorgement des hôpitaux aurait donc des conséquences catastrophiques en conduisant à une mortalité collatérale dramatique, mais difficilement quantifiable.
Au-delà de sensibiliser les populations au port du masque et aux gestes barrières qui relèvent d’initiatives individuelles (mais qui restent très efficaces pour diminuer la probabilité de transmission lors d’un contact), les gouvernements doivent choisir entre deux grandes approches populationnelles pour diminuer les taux de contact : l’atténuation ou la suppression.

Atténuation ou suppression ?

> L’atténuation

Maintenir, sous contrôle, la diffusion du virus

La stratégie d’atténuation consiste à maintenir, mais sous contrôle, la diffusion du virus dans la population. Cela consiste à mettre en place des mesures de lutte pour diminuer le R0 à des valeurs légèrement supérieures à 1 tout en essayant de protéger les personnes les plus vulnérables. L’objectif de cette stratégie est double. Il s’agit tout d’abord de ralentir la propagation du virus pour diminuer et décaler dans le temps le pic épidémique (« aplatir la courbe »), i.e. limiter au maximum l’apparition brutale d’un grand nombre d’individus infectés pour limiter le risque élevé de saturation des systèmes de santé. Le deuxième objectif de cette stratégie est de faire en sorte qu’un grand nombre d’individus finissent par s’immuniser, empêchant ainsi le virus de continuer à se propager sur le long terme. Avec un R0 de 2,35, il faudrait que près de 60% de la population s’immunise pour que le virus ne soit plus capable de diffuser. 
Cette stratégie d’atténuation est celle choisie par le gouvernement néerlandais et présentée par le premier ministre le 16 mars 2020. Les mesures mises en place dans ces stratégies d’atténuation sont variées. On peut citer l’isolement des personnes malades (mais donc pas des infectés asymptomatiques), la mise en quarantaine des foyers infectés connus, la fermeture des écoles et des universités, la distanciation sociale pour les personnes les plus vulnérables (mais pas pour les autres), etc. 

> La suppression

Empêcher la propagation du virus

La stratégie de suppression consiste à taper encore plus fort, c’est-à-dire à renforcer les mesures d’atténuation de manière à ramener le R0 à des valeurs inférieures à 1 et donc empêcher la propagation du virus. Il s’agit de s’assurer de l’infléchissement rapide de la courbe épidémique, de la non-saturation des systèmes de santé et de l’éradication du virus. Les principales mesures mises en place sont la distanciation sociale globale, le confinement de toute la population et pas uniquement des personnes présentant des signes cliniques. De cette manière, le taux de contact quotidien est diminué drastiquement et réduit à un nombre ne permettant pas au virus de diffuser au-delà du foyer familial. C’est la stratégie appliquée très rapidement par le gouvernement chinois dans les principales villes de la province du Hubei et, beaucoup plus tardivement, c’est-à-dire après que beaucoup plus de cas aient été détectés, dans nombre de pays européens. A l’heure actuelle, dans le monde, au moins 42 pays ou territoires ont mis en place un confinement général de leur population, comme c’est le cas en Italie, en France, en Espagne et même en Inde, amenant la taille totale de la population en confinement dans le monde à 2,5 milliards de personnes. Une autre mesure pouvant mener à la suppression de la transmission du virus est le dépistage massif des individus infectés dans les zones à risque et leur mise en quarantaine immédiate, telle que mise en œuvre en Corée du Sud.
La stratégie de suppression permet aussi de gagner du temps pour s’organiser afin de :
(1) mettre au point des traitements thérapeutiques,
(2) développer et mettre sur le marché un vaccin permettant de protéger les personnes les plus vulnérables et celles encore non infectées (mais la mise à disposition d’un vaccin pour la population pourrait prendre jusqu’à 18 mois) et
(3) mettre en œuvre des dépistages sérologiques à large échelle afin d’estimer la proportion d’individus immunisés dans la population.
A l’inverse des stratégies d’atténuation, les stratégies de suppression limitent grandement l’infection de la population. Par conséquent, elles empêchent l’immunité de s’installer largement. En l’absence de vaccination de la population, le risque est donc que le virus se remette à circuler activement lorsque les mesures seront levées. Il est donc nécessaire d’anticiper les mesures qui pourraient être mises en place pour empêcher ce retour de bâton. Des prédictions basées sur des modèles mathématiques suggèrent qu’une mise en œuvre périodique de distanciation sociale globale après la levée de la stratégie de suppression initiale pourrait permettre de contrôler l’épidémie plus durablement. Dans la province du Hubei, en Chine, le confinement est en train d’être levé progressivement. Il sera donc important de bien observer ce qui va s’y passer dans les prochaines semaines, et d’en tirer les leçons. 

 

Comment choisir ?

L'intérêt des modèles mathématiques

Décider d’une stratégie d’atténuation ou de suppression pour la gestion d’une telle crise est extrêmement difficile, chacune ayant des intérêts et des inconvénients majeurs. La stratégie de suppression, bien qu’ayant réussi en Chine ou en Corée du sud, a un coût social et un coût économique importants qui pourraient impacter la santé et le bien-être des populations sur le plus long terme. De plus, si mise en œuvre trop tardivement, elle pourrait ne pas suffire à empêcher la saturation des unités de soins intensifs comme démontré dans le cas de l’Italie. La stratégie d’atténuation, quant à elle, ne permet pas de protéger complètement les populations à risque de formes graves et pourraient donc être quand même associées à un risque important de nombre de morts extrêmement élevé et un engorgement des systèmes de santé. 

Pour accompagner cette prise de décision délicate, les prédictions des modèles mathématiques sont très importants et de plus en plus utilisés. Leur intérêt majeur est qu’ils permettent d’identifier et de hiérarchiser les voies de transmission, d’anticiper le nombre de cas qui seront détectés dans les prochaines semaines et de comparer l’efficacité de différentes stratégies de lutte. Mais pour être utiles, ces modèles doivent être paramétrés avec des données épidémiologiques fiables et être capables de prendre en compte les changements de comportement des individus, étapes délicates dans un contexte de crise sanitaire où les décisions doivent être prises très rapidement.
Que ce soit la stratégie de suppression qui met l’activité d’un pays entier à l’arrêt mais contient l’épidémie, ou la stratégie d’atténuation qui expose au risque d’effondrement des systèmes de santé et à des centaines de milliers de morts mais qui maintient l’activité, les conséquences économiques de ces stratégies de lutte seront sans doute différentes mais sûrement dramatiques. Étonnamment, les modèles utilisés pour guider les décisions politiques ne prennent pas en compte ces retombées économiques, ni l’accroissement des inégalités sociales engendrées par le confinement qui pourraient déstabiliser encore plus une économie déjà fortement impactée. Il est donc nécessaire de promouvoir les collaborations entre épidémiologistes, économistes et sociologues pour que la prochaine génération de modèles mathématiques utilisés en santé publique intègre les conséquences économiques et sociales des stratégies de lutte.

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Contacts

Timothée Vergne Epidémiologiste, Maître de conférences en santé publique vétérinaireENVT-INRAE : Interactions Hôtes-agents pathogènes

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