Femelle ou mâle ? Combien de gènes détermineront le sexe d’une truite avec le changement climatique ?
Les poissons ont développé au cours de l’évolution une remarquable diversité de mécanismes de contrôle du sexe phénotypique, allant de systèmes hétérogamétiques, c’est-à-dire dépendant de chromosomes différents de type XX/XY comme chez les mammifères ou ZZ/ZW comme chez les oiseaux, à des systèmes polygéniques (dépendant de variations de multiples gènes), ou régulés par l’environnement.
Publié le 18 juin 2025
Chez la truite arc-en-ciel (Oncorhynchus mykiss), le sexe est gouverné par un système chromosomique simple (XX/XY) dont le déterminant majeur est connu (gène sdY). Ce déterminisme est exploité pour produire des populations d’élevage entièrement monosexe femelle (XX), plus intéressantes que les populations bisexuées en raison d'une maturation sexuelle trop précoce des mâles et de leur plus grande sensibilité aux maladies. La reproduction dans ces populations nécessite la production de néomâles (individus génétiquement femelles mais phénotypiquement mâles), obtenus en donnant une hormone masculinisante lors des premières prises alimentaires. Cependant, des individus spontanément masculinisés sont aussi fréquemment observés au sein de ces populations XX. Des travaux antérieurs d’une équipe de l’UMR ‘Génétique Animale et Biologie Intégrative’ et de ses partenaires ont montré que le taux de masculinisation spontanée dépendait à la fois de facteurs génétiques et de la température d’élevage des alevins. Une température d'élevage élevée pendant la première phase de développement des alevins après l'éclosion augmente la fréquence de l'inversion sexuelle chez les femelles XX dans une plus ou moins grande mesure, selon le patrimoine génétique des lignées de truites. Dans le contexte du réchauffement climatique, il est essentiel de mieux comprendre les interactions génétique-environnement contrôlant la masculinisation spontanée de la truite arc-en-ciel, à la fois en milieu d'élevage mais aussi dans les populations sauvages. La masculinisation spontanée s’est avérée fortement dépendante de la génétique et gouvernée par de nombreux gènes avec notamment quatre zones génomiques (QTL) sur les chromosomes 1, 12 et 20 de la truite arc-en-ciel, fortement associées au caractère et toutes indépendantes du gène sdY.
Résultats
Dans un article récemment paru dans PLoS One (Dehaullon et al., 2025), l’équipe a complété les travaux antérieurs en utilisant diverses méthodes statistiques, notamment une approche par forêts aléatoires sur les données de séquence de la population de découverte des QTL, pour préciser les gènes candidats positionnels et fonctionnels. Par ailleurs, des marqueurs génomiques précédemment identifiés ont été validés comme induisant de la masculinisation spontanée dans six populations différentes de truites d'élevage. Une dizaine de gènes candidats fonctionnels, susceptibles d'être impliqués dans la masculinisation spontanée en réduisant la prolifération des cellules germinales et en réprimant l'ovogenèse des truites arc-en-ciel XX, ont ainsi été identifiés. En particulier, les gènes syndig1, tlx1 et hells sur le chromosome 1, ainsi que khdrbs2 et csmd1 sur le chromosome 20 méritent d'être étudiés plus en détail afin de valider leurs rôles potentiels de modificateurs du sexe ainsi que leur interaction avec la température d'élevage.
Perspectives
Au-delà des applications possibles en pisciculture, cette étude est une étape vers la compréhension fondamentale des mécanismes sous-jacents à la masculinisation des individus XX chez les vertébrés en général, et ouvre des perspectives appliquées d’utilisation des marqueurs génétiques pour repérer les porteurs de mutations propices à la masculinisation. Dans le cadre d’un projet européen sur les innovations en sélection pour des productions biologiques « EUaqua.org » initié en janvier 2025, l’équipe impliquée dans cette étude poursuit les recherches sur les lignées expérimentales INRAE afin d’évaluer l'impact de la température précoce sur les marques épigénétiques et le taux de masculinisation spontanée. L’objectif est de fournir une démarche de production de néomâles compatible avec le cahier des charges en aquaculture biologique tout en maintenant des populations monosexe femelle.
Références :
Dehaullon A., Fraslin C., Bestin A., Poncet C., Guiguen Y., Quillet E., Phocas F. 2025. In-depth investigation of genome to refine QTL positions for spontaneous sex-reversal in XX rainbow trout. PLoS One 20: e0313464. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0313464
Fraslin C., Phocas F., Bestin A., Charles M., Bernard M., Krieg F., Dechamp N., Ciobotaru C., Hozé C., Petitprez F., Milhes M., Lluch J., Bouchez O, Poncet C., Hocdé P., Haffray P., Guiguen Y., Quillet E. 2020. Genetic determinism of spontaneous masculinisation in XX female rainbow trout: new insights using medium throughput genotyping and whole-genome sequencing. Scientific Reports 10:17693.
Quillet E., Aubard G., Quéau I. 2002. Mutation in a sex-determining gene in rainbow trout: detection and genetic analysis. Journal of Heredity 93: 91–99.
Valdivia K., Jouanno E., Volff J.N., Galiana-Arnoux D., Guyomard R., Helary L., et al. et al. 2014. High temperature increases the masculinization rate of the all-female (XX) rainbow trout “Mal” population. PLoS One 9: e113355.