illustration Les vignes font de la résistance durable
© INRAE, Bertrand Nicolas

Agroécologie 5 min

Les vignes font de la résistance durable

Des vignes qui résistent naturellement aux maladies et permettent une diminution importante de traitements antifongiques pour des vins de qualité ; tel est le défi qu’a relevé le collectif « Vignes résistantes ». Des femmes et des hommes mus par leurs convictions, dont les travaux ont abouti à l’inscription au Catalogue officiel des espèces et variétés de plantes cultivées en France de 9 variétés de vignes résistantes au mildiou et à l’oïdium. Une innovation majeure au bénéfice de l’environnement, la santé, l’économie et un levier pour les politiques publiques que récompense le Laurier collectif Impact de la recherche 2022 d’INRAE.

Publié le 28 novembre 2022

Une petite brume de début d’automne qui coiffe les rangs de vigne, des vendangeurs et vendangeuses qui déjà s’affairent à récolter les raisins… À Colmar comme à Bordeaux, l’ambiance est joyeuse, tous et toutes ont en tête le Laurier Impact de la recherche décerné au collectif INRAE « Vignes résistantes » auquel ils appartiennent. Une histoire humaine et scientifique rythmée par la nécessité de développer et renforcer les recherches sur la résistance de la vigne aux maladies.

Une success story au long cours

Mildiou, oïdium… Au XXe siècle, traitements chimiques, essentiellement, et amélioration génétique, marginalement, constituent les principaux moyens de lutte contre ces maladies à l’origine de véritables crises sanitaires. À l’aube du XXIe siècle, l’Institut lance un ambitieux programme de sélection, INRAE-ResDur. L’enjeu : développer de nouvelles variétés de vigne associant une résistance au mildiou et à l’oïdium et une qualité de baies propre à en faire des vins de haute qualité dans un contexte où la réduction du recours aux produits phytosanitaires devient une nécessité.

La génétique au service d’une innovation en rupture

Le choix est fait d’associer, au sein d’une même variété de vigne, plusieurs facteurs de résistance à un pathogène donné et d’utiliser plusieurs sources de résistance. D’une part, des lignées résistantes créées en France, par Alain Bouquet, chercheur INRAE, et ses collègues, dès le milieu des années 70 et dérivées de Vitis rotundifolia, une espèce américaine. D’autre part, des variétés résistantes développées en Allemagne et dérivées d’hybrides interspécifiques entre la vigne cultivée et des espèces américaines et asiatiques sauvages de Vitis sp.

Plantules de vigne

Le collectif Vignes résistantes va progresser dans plusieurs directions. Il identifie et caractérise des facteurs génétiques qui confèrent à la plante sa résistance au mildiou et à l’oïdium, et développe des marqueurs génétiques pour reconnaître, dès le stade plantule, les individus porteurs des facteurs désirés (un tri précoce des populations issues des croisements, utilisant la sélection assistée par marqueurs, constitue une première phase de sélection des variétés candidates). Il met au point des bioessais pour identifier les facteurs de résistance, conçoit de nouvelles installations (serres, chambres de culture…) afin de faciliter l’analyse des plantes, et progresse dans la connaissance de la diversité génétique des organismes pathogènes responsables du mildiou et de l’oïdium, Plasmopara viticola et Erysiphe necator, respectivement.

Sélection intermédiaire et finale des variétés candidates sont opérées ensuite en conditions de production, grâce aux unités expérimentales INRAE, pour l’étape intermédiaire, et aux partenaires régionaux sous la houlette de l’Institut français de la vigne et du vin (IFV), pour la finale. Sont évaluées, à chaque étape, la résistance aux maladies (oïdium, mildiou et autres) et aux ravageurs et l’aptitude culturale et œnologique. Au terme de ces expérimentations, les meilleures variétés candidates sont présentées à l’inscription au catalogue officiel des espèces et variétés de plantes cultivées en France, qui vaut autorisation de commercialisation.

Entre 2000 et 2014, 3 vagues de croisement ont été réalisées. Elles ont d’ores et déjà conduit à l’inscription de 9 variétés résistantes de vignes au catalogue.

Évaluer la résistance aux maladies et l’aptitude culturale et œnologique des variétés en conditions de production

Dès 2011, le dispositif expérimental ResIntBio, implanté sur le domaine bordelais de la Grande Ferrade, permet de comparer un système viticole utilisant une variété résistante au mildiou et à l’oïdium à des systèmes conventionnels et biologiques dans le but d’en explorer le fonctionnement et de comparer leurs performances agronomiques, économiques et environnementales. ResIntBio a mis en évidence que les variétés résistantes INRAE permettent de réduire l’indice de fréquence de traitement (IFT) moyen de plus de 90 % par rapport à la référence régionale. À compter de 2017, INRAE et l’IFV créent l’Observatoire national pour le déploiement des cépages résistants (OSCAR) afin d’acquérir des données et de partager des informations sur l’évolution des populations de mildiou et d’oïdium, et sur l’émergence de nouvelles problématiques sanitaires et les systèmes de culture adaptés. Ce réseau participatif compte à ce jour 150 parcelles en situation de production, réparties sur 75 sites et associe pas moins de 34 partenaires professionnels (chambres d’agriculture, IFV et organisations interprofessionnelles).

Non pas un mais des impacts

Les vignes résistantes, ce sont en premier lieu une réduction drastique des traitements fongicides même si une protection chimique minimale doit être maintenue notamment lorsque les agents pathogènes et en particulier le mildiou, sont le plus susceptibles d'acquérir, par adaptation génétique, la capacité à surmonter la résistance de la plante. L'objectif est de maintenir, durablement, un bon niveau d'efficacité de ces précieuses résistances. L’impact, qui fait écho à une demande sociétale forte, est primordial en matière d’environnement et de santé humaine.

Les vignes résistantes, ce sont également des effets majeurs en matière de politiques publiques favorables à la santé globale et d’orientations stratégiques dans le domaine de la vigne et le secteur du vin. Depuis 2020, l’implantation de cépages résistants au mildiou et à l’oïdium, dont ceux issus du projet INRAE-ResDur, constitue une des actions du dispositif Certificat d’économie de produits phytosanitaires (CEPP). Dès 2013, les règlements techniques d’enregistrement des variétés cultivées de vigne ont été adaptés pour tenir compte des caractères de résistance aux maladies.

Réservées jusque-là aux vins de France et autres indications géographiques, les variétés résistantes ont maintenant la possibilité de rentrer dans les vignobles d’appellation. Elles sont désormais officiellement affiliées aux cépages européens traditionnels 100 % Vitis vinifera L., les seuls que la règlementation européenne reconnait pour pouvoir produire un vin d’appellation.

Plus encore, les travaux du collectif Vignes résistantes ont fait évoluer les perceptions, les pratiques et les activités des acteurs des secteurs de la vigne et du vin. Et Christophe Schneider de constater, non sans émotion : « On a réussi dans cette aventure à engager toute la filière dans l’amélioration génétique de la vigne ».

Les raisons du succès

La chance d’avoir, au bon moment, les bonnes ressources, les bonnes personnes.

La réussite de l’entreprise, c’est un peu d’audace, pas mal de circonstances favorables, beaucoup de compétences et énormément de persévérance. Aujourd’hui, le collectif Vignes résistantes reçoit le Laurier Impact de la recherche avec beaucoup de plaisir et tout autant d’humilité. François Delmotte parle de « la validation d’un long cheminement » tandis que Didier Merdinoglu donne des chiffres : « cela concrétise 20 ans de travail de toute une équipe ». Quant à Laurent Delière, cela lui donnerait presque des ailes quand il évoque « un levier pour dynamiser les équipes et se lancer dans de nouvelles aventures ». Et Christophe Schneider de mettre en avant « un beau travail en partenariat ». Tous sont unanimes pour saluer le soutien d’INRAE et les moyens qu’il offre.

Une équipe de maillons forts

Le collectif Vignes résistantes réunit agronomes, généticiens, pathologistes et œnologues de plusieurs unités, dont les ambassadeurs et ambassadrices sont :

  • Santé de la vigne et qualité du vin (SVQV), INRAE Grand Est-Colmar : Didier MERDINOGLU, Christophe SCHNEIDER, Christine ONIMUS, Emilce PRADO, Vincent DUMAS, Sabine WIEDEMANN, Marie-Céline LACOMBE, Pere MESTRE, Anne ALAIS et Marie-Annick DORNE.

sans oublier leurs collègues et leurs partenaires dont l’IFV, l’Institut fédéral Julius Kuhn et l’Institut viticole de Fribourg (Allemagne) et Agroscope (Suisse).

 

Au service des vignes de demain

Côté profession, des partenariats sont en cours, avec l’IFV et les interprofessions des régions viticoles françaises, pour créer des variétés résistantes à typicité régionale.

Côté science, les scientifiques ont bien envie de réduire encore la durée du processus d’évaluation des variétés candidates que la sélection assistée par marqueurs et l’expérimentation multilocale avaient permis de faire passer de 25 à 15 ans. La quête de nouveaux gènes de résistance se poursuit. Mildiou et oïdium obligent mais le collectif Vignes résistantes s’intéresse aussi au black rot, au phylloxéra ou encore au court-noué.
Le déploiement des variétés résistantes commençant tout juste, « on va pouvoir en suivre l’effet, en temps réel, sur les populations de pathogènes à l’échelle du paysage dans un contexte variétal donné », se projette Laurent Delière. L’identification des gènes d’avirulence et le développement de nouveaux outils génétiques, performants et rapides, va permettre de suivre et d’anticiper d’éventuels contournements des résistances par les organismes pathogènes. À Bordeaux, on irait bien voir côté prévention, histoire de développer des mesures prophylactiques complémentaires de la résistance variétale, ou côté régulation naturelle des maladies et biocontrôle.

En fait, les variétés résistantes annoncent le début d’une (autre) histoire, celle « des vignes de demain que l’on n’aurait peut-être plus besoin de traiter ni de greffer. »

Quelques dates

1845 L’oïdium de la vigne arrive en France, venu d’Amérique du nord
1878 Le mildiou de la vigne est signalé en Aquitaine, importé du continent américain
1970 et suivantes Alain Bouquet, INRAE Occitanie-Montpellier, et ses collègues développent une activité de création variétale
2000 Lancement du programme INRAE-ResDur
2001 Découverte du premier gène de résistance à l’oïdium, Run1
2002 Découverte du premier gène de résistance au mildiou, Rpv1
2003 Création du premier réseau multisite de sélection intermédiaire, avec l’engagement des unités expérimentales INRAE d’Angers, Bordeaux, Colmar et Montpellier.
2007 et suivantes Campagnes de collecte de souches mildiou sur des plantes de vigne sauvages aux États-Unis
2011 Implantation du dispositif expérimental ResIntBio
2012 Campagne de collecte de souches de mildiou sur des plants de vigne résistantes en Europe
2017 Création de l’Observatoire national pour le déploiement des cépages résistants OSCAR
2018 Inscription au catalogue des premières variétés INRAE-ResDur de vignes résistantes : Artaban et Vidoc pour les cépages rouges ; Floréal et Voltis, pour les cépages blancs
2022 Inscription au catalogue des variétés Coliris, Lilaro et Sirano pour les cépages rouges ; Opalor et Selenor pour les cépages blancs

Quelques chiffres

À partir de 1 000 pépins semés, un taux de germination de 50 % permet d’obtenir 500 plantules. La sélection précoce permet de retenir 50 variétés candidates pour la sélection intermédiaire au terme de laquelle 10 variétés seront évaluées en sélection finale.
796 000 ha de vigne en France (2020) et 1 200 ha de variétés résistantes dont 550 ha en variétés INRAE-ResDur Artaban, Vidoc, Floréal et Voltis (2021).

Catherine Foucaud-ScheunemannRédactrice

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