Dossier revue
Agroécologie

Comment protéger les sols ?

Si les menaces sont nombreuses sur les sols, les nouvelles connaissances sur leur vie et leur fonctionnement permettent de développer des solutions pour les protéger, voire les restaurer. Explications.

Publié le 23 juin 2023

Face aux menaces qui pèsent sur les sols, les enjeux de recherche sont nombreux. Il s’agit de renforcer l’acquisition de connaissances pour la gestion des sols : définir des indicateurs, développer des systèmes de surveillance, des modèles et des cartographies utilisables par la communauté des utilisateurs des sols et qui permettent de réaliser des diagnostics et de suivre les progrès accomplis. Enfin, il s’agit de développer des innovations locales pour améliorer la santé des sols dans tous les lieux. 

Observer, comprendre, diagnostiquer

Conservatoire européen des échantillons de sols
Le Conservatoire européen des échantillons de sols conserve plus de 11 000 échantillons à Orléans.

Le groupement d’intérêt scientifique GIS Sol, coordonné par l’unité Info&Sols d’INRAE à Orléans, sous la présidence des ministères chargés de l’Agriculture et de l’Environnement, a développé ces 20 dernières années en France des programmes d’inventaire et de surveillance. Outre INRAE, il associe l’Ademe, le BRGM, l’IGN, l’IRD et l’OFB. Ses missions sont d’acquérir, capitaliser et mettre à disposition des données sur les sols sous la forme de bases de données et de cartographies, et de suivre l’évolution de leurs propriétés. Le Réseau de mesure de la qualité des sols (RMQS), créé en 2000 et piloté par l’unité Info&Sols à Orléans, est le principal réseau permettant d’évaluer la qualité des sols en France et son évolution au cours du temps. Des échantillons des sols analysés sont stockés à Orléans au Conservatoire européen d’échantillons de sols (CEES) avec ceux d’autres programmes européens. Les analyses portent sur les propriétés physicochimiques des sols (propriétés pédologiques et hydriques, matières organiques…), sur leur biodiversité et sur leur contamination éventuelle (éléments traces, micropolluants et microorganismes pathogènes). 

2240 sites, répartis unformément sur le territoire français (métroole et outre-mer) sont régulièrement évalués par le RMQS

 À partir de ces données, le RMQS a produit de nombreuses cartes. La Base de données d’analyses des terres (BDAT) rassemble les analyses de sol réalisées pour les agriculteurs par les laboratoires agréés, soit plusieurs millions de résultats recueillis sur plus de 20 ans, accessibles à tous . « Développer des connaissances sur la biodiversité des sols est en enjeu fort de la recherche, y compris dans l’inventaire même de cette biodiversité », surenchérit Pierre Renault, représentant INRAE dans les instances du GIS Sol. Il s’agit de connaître les espèces mais aussi leur distribution spatiale, leurs réponses aux grands changements environnementaux, climatiques et d’usages des terres. Car, comme le souligne Mickael Hedde, « si on ne sait pas combien on a, on ne sait pas combien on perd, et cela peut être un véritable problème, notamment dans un contexte où on essaye de développer des solutions fondées sur la nature ». 

conservation d'échantillons de sol au Conservatoire européen des échantillons de sols d'Orléans
Préparation pour séchage puis congélation des échantillons de sol du RMQS au Conservatoire européen des échantillons de sols à Orléans.

 

Start-up Novasol Expert, conseil pour de bons sols

L’enjeu est de taille : mieux connaître la biologie des sols et l’impact environnemental des pratiques de ses usagers, pour adopter une gestion durable des sols urbains et ruraux. Que ce soit dans le cadre d’un changement d’usage de sols, la réhabilitation de sites pollués ou artificialisés, ou encore pour tester l’efficacité et l’innocuité de produits d’agrofournitures, la start-up Novasol Expert accompagne les usagers dans leurs projets. Chaque analyse est menée avec des indicateurs spécifiques à la problématique et à l’écosystème et selon un plan d’échantillonnage adapté. Par exemple, la start-up a évalué l’impact de l’adoption de nouvelles pratiques viticoles dans la région de Cognac, telles que les couverts végétaux ou l’utilisation d’engrais verts, sur la qualité microbiologique du sol. L’expertise de Novasol repose sur les connaissances acquises à INRAE, avec l’implication dès sa fondation de 3 chercheurs (Lionel Ranjard, Pierre-Alain Maron et Samuel Dequiedt), toujours liés à la start-up via une convention de partenariat.

La nature comme source de solutions

Et si on utilisait les capacités de la nature pour trouver des solutions ? C’est le principe de la phytoremédiation qui consiste à utiliser des plantes pour dépolluer des sols (voir encadré ). Quant à la bioremédiation, c’est la mobilisation de certains microorganismes pour dégrader ou transformer certains composés polluants du sol. Au champ aussi, la nature est porteuse de solutions. Grâce à une symbiose racinaire avec une bactérie, les légumineuses (pois, féveroles, lentilles, etc.) ont la capacité de capter l’azote de l’air. Pas besoin alors d’apporter de l’engrais azoté, celui de l’air est fixé par les légumineuses et restitué à la culture suivante du fait de la décomposition des résidus de culture. Autre idée développée par la start-up Mycophyto (issue d’INRAE) : implanter des champignons mycorhiziens dans les cultures afin de créer des symbioses avec les racines des plantes et ainsi apporter de nombreux bienfaits aux plantes : une meilleure absorption des nutriments, une résistance locale aux bioagresseurs des racines, une augmentation de la résistance aux métaux lourds, une augmentation de la résistance à la sécheresse, etc. Au final : moins d’engrais de synthèse et moins de produits phytosanitaires. Merci les bactéries et champignons ! Parfois les scientifiques donnent un coup de pouce à la nature et sélectionnent des variétés de plantes plus efficaces pour utiliser l’azote du sol ou encore des variétés avec un développement racinaire important pour que les plantes puissent puiser l’eau et les éléments nutritifs plus en profondeur

Les plantes au secours des sols pollués

Il existe des plantes qui ont la (formidable) capacité à pousser sur d’anciens sols miniers riches en métaux et d’extraire ceux-ci du sol pour les accumuler dans leurs tiges et feuilles. C’est le cas par exemple de l’Alysson des murs (Alyssum murale), capable d’accumuler 1 à 2 % de nickel dans ses parties aériennes. Dans les années 2000, des scientifiques ont eu l’idée d’extraire le nickel à partir de cette culture. Le procédé consiste à brûler les plantes récoltées, ce qui fournit à la fois de l’énergie et des cendres riches en nickel, cendres qui sont ensuite soumises à différents traitements chimiques pour en extraire des sels de nickel utilisables à des fins industrielles, par exemple en aéronautique. C’est ainsi que l’on peut extraire jusqu’à 100 kg de nickel par hectare de culture d’Alyssum murale ! Résultat : après 10 à 20 ans de culture d’Alyssum murale, les sols peuvent redevenir fertiles et cultivables. Et pas besoin d’une extraction minière nocive à l’environnement. En savoir plus

 Sols, toujours sous couverts

Nuancier de Munsell
Le nuancier de Munsell permet aux pédologues d’analyser la composition des sols grâce à leur teinte.

Un consensus : jamais de sol nu ! En effet, pour prévenir les sécheresses et limiter le risque d’inondation, il faut favoriser le remplissage des sols en eau et limiter le ruissellement. Lorsque le sol est à nu, les gouttes cassent la structure du sol et l’entraînent, sous forme de petites particules, par ruissellement. Par ailleurs, l’impact des gouttes de pluie à sa surface désagrège le sol, dont les particules les plus fines vont colmater les pores et former une croûte rendant le sol moins perméable. Un couvert végétal (vivant ou mort) à la surface intercepte les gouttes et limite ainsi la dégradation du sol. Pour couvrir le sol, plusieurs options : mettre en place, entre deux cultures, des cultures intermédiaires qui seront dans la plupart des cas détruites avant l’implantation de la culture suivante. On peut également opter pour des semis sous couvert, le principe étant de cultiver en même temps une culture de rente et une culture à vocation de couverture du sol, qui va geler l’hiver ou sera détruite par l’agriculteur. 
Les bandes enherbées, les haies et les arbres permettent quant à eux de stopper le ruissellement et lutter contre l’érosion, mais ces éléments paysagers ont aussi d’autres vertus : « en ramenant de la matière organique au sol et en diminuant le labour on va améliorer ses qualités et ainsi favoriser la présence de vers de terre. Mais ils ne vont pas revenir d’eux-mêmes, il faut qu’ils soient déjà présents dans la matrice paysagère ! », explique Michael Hedde. C’est le principe de la continuité écologique1 des sols à prendre en compte dans les pratiques agricoles ou d’urbanisme. Enfin, quand on augmente la diversité végétale, qu’elle soit pilotée, voulue ou spontanée, on augmente la diversité des organismes du sol. Il s’agit alors de diversifier les cultures, d’opter pour des mélanges variétaux ou des mélanges d’espèces telles que céréales et légumineuses.

Jouer pour mieux se concerter

Pour lutter contre l’érosion, il est nécessaire de mettre en place des bandes enherbées pour stopper le ruissellement, mettre des fascines (petits barrages en branchages) ou gratter le sol pour lui redonner de la perméabilité. Pour cela, les actions de chacun doivent être coordonnées et développées par tous. Comment ? Le jeu de rôle « Caux opération » y répond : en favorisant la concertation entre agriculteurs et acteurs impliqués dans ces problématiques (chambre d’agriculture, maires, agence de l’eau, syndicat, etc.) pour réfléchir et agir à l’échelle d’un territoire, ici le pays de Caux, en Normandie. « Le jeu, c’est mettre en interaction des humains », explique Véronique Souchère, agronome au laboratoire Sadapt à Saclay et coconceptrice du jeu de rôle avec les partenaires locaux. Le modèle informatique de description du territoire permet aux différents acteurs de jouer ensemble à trouver des solutions acceptables par tous.

1. Fait d’assurer une continuité des voies de communication pour permettre aux espèces de circuler dans les paysages.

La difficile question du travail du sol

Le travail du sol est une pratique agronomique très courante qui permet d’aérer le sol, de semer facilement des cultures et surtout de casser le cycle de développement des adventices, limitant ainsi le recours aux herbicides. Pour lutter contre l’érosion, gratter un peu la surface du sol permet également d’augmenter la capacité d’infiltration du sol et de limiter le ruissellement. Seulement « le travail du sol est complètement antinomique avec le but recherché : en labourant, on va casser les agrégats du sol, donc détruire les habitats pour la biologie du sol, le sol va se tasser car on casse sa structure et on diminue à terme sa porosité, on perd la biodiversité et tous les services qu’elle rend pour l’agriculture », explique Lionel Ranjard.

Ne pas travailler le sol, c’est l’un des principes de l’agriculture de conservation, mais ce mode de production nécessite souvent l’usage d’un herbicide total tel que le glyphosate. « Ne pas utiliser d’herbicide et ne pas travailler le sol, c’est encore difficile dans les bassins de grandes cultures, il faut développer des solutions territoriales, car si cela peut fonctionner dans certains endroits, cette solution ne fonctionne pas partout », précise Mickael Hedde. 

Le bon usage pour le bon sol

« On a longtemps considéré les sols dégradés ou pollués comme des menaces, mais on peut aussi les voir comme des ressources, surtout dans un contexte d’artificialisation. Les sites contaminés peuvent être des lieux que l’on peut aménager autrement », explique Christophe Schwartz, directeur du laboratoire Sol et Environnement à Nancy. Dans le projet Lorver, scientifiques et entreprises ont testé la production de biomasse non alimentaire sur une ancienne friche industrielle en Lorraine dont les sols sont fortement pollués. En cultivant du peuplier pour faire du bois de chauffage, du chanvre et de l’ortie pour produire des fibres végétales à usage industriel, et la plante Noccaea caerulescens pour sa capacité à hyperaccumuler des métaux, le projet a permis de réhabiliter 2,25 hectares de cette friche industrielle, et le développement de filières locales (bois-énergie, fibres végétales), le recyclage de sous-produits papetiers, de sédiments fluviaux et de compost pour reconstruire du sol, le tout dans une logique d’économie circulaire.
Sur ce même principe d’utiliser le bon sol pour le bon usage, il semblerait logique de prioriser les sols les moins bons pour l’artificialisation. Mais malheureusement les indicateurs de qualité des sols ne sont pas pris en compte par les urbanistes et les collectivités territoriales. Pour aider ces acteurs à opérer leurs choix d’occupation des sols, les projets Artisols et Muse travaillent à produire des cartographies de la potentialité des sols à l’échelle de petits territoires. « Les sols ne sont pas égaux, il y a des sols qui représentent un capital pour les générations futures qu’il est encore plus dommageable de consommer », rappelle Philippe Lagacherie, ingénieur au laboratoire Lisah à Montpellier.

Sols en (re)construction

Lorsqu’un sol a été artificialisé, il est possible de le « renaturer » et de lui redonner ses fonctions. Christophe Schwartz nous explique comment : « On va décaper, enlever ou retirer la couche de revêtement, le bitume par exemple. On peut ensuite choisir de laisser la nature faire ou alors mettre en œuvre des procédés de décompaction des sols ou encore apporter un mélange avec d’autres matériaux dans une logique de construction de sols. Progressivement le végétal s’installe et la biodiversité fait son retour. » Mais nous manquons de connaissances sur le retour des fonctionnalités des sols suite à ce processus. C’est tout l’objet du projet DESSERT (DEsimperméabilisation des Sols, Services Ecosystémiques et Résilience des Territoires) que le chercheur pilote. Acquérir des connaissances, évaluer les fonctions des sols descellés : 3 essais de 150 m2chacun ont été mis en place dans différentes conditions climatiques à Cannes, Nancy et Angers pour suivre la refonctionnalisation des sols désimperméabilisés. Différents paramètres font l’objet d’un suivi : infiltration de l’eau, température des couches du sol, texture, pH, teneur en carbone, activité microbienne et capacité de biodégradation, de développement de la faune et de la flore. En parallèle, des essais en laboratoire sont réalisés pour mesurer les performances agronomiques des sols « construits » à partir de matériaux de récupération de sites désimperméabilisés. Des solutions, il en existe donc. Mais sont-elles suffisantes en l’absence de politiques publiques fortes pour préserver les sols ?

Restaurer des sols dégradés

Le groupement d’intérêt scientifique (GIS) sur les friches industrielles mène des expérimentations de restauration des sols dégradés et pollués par des activités industrielles. Les scientifiques disposent pour cela de parcelles étudiées en conditions climatiques réelles. Ils peuvent aussi avoir recours à des dispositifs spécifiques, des lysimètres, placé in situ ou en laboratoire. Le lysimètre est un cylindre en métal, ouvert en surface et rempli par le sol à tester. Ces « colonnes de sol » permettent aux scientifiques d’analyser la qualité de l’eau qui traverse un sol contaminé en récupérant, quelques mètres plus bas, l’eau passée par le sol. Elles apportent quantité d’informations sur le sol et le vivant qui l’habite