Dossier revue
Agroécologie

Des sols essentiels à la vie

Sous nos pieds, dans les forêts, jardins, parcs, prairies, cultures… se cache une ressource indispensable à la vie, notamment humaine. Les recherches menées ces 80 dernières années ont mis en lumière leurs fonctions, mais surtout le fait qu’ils nous rendent de nombreux services. État des lieux.

Publié le 27 juin 2023

Le sol c’est quoi ? En théorie c’est simple : c’est la couche superficielle des continents de la Terre, de quelques centimètres à plus d’1 mètre pour les sols français. En pratique, c’est un milieu très complexe. Il y a une partie minérale : du sable, des limons, des argiles, des graviers, des cailloux, dans des proportions variées. Il y a aussi une partie organique, 1 à 5 % de cette matière est constituée d’êtres vivants, tout le reste est issu de la décomposition d’organismes morts. Et entre tous ces composants solides, de l’air et de l’eau. Des types de sol, il en existe des centaines, selon leur composition, leur épaisseur, leur structure, leur localisation, leur usage ou bien encore leurs modes de gestion. Cette diversité explique que nous parlions non pas du sol mais des sols. 

Une ressource non renouvelable (ou presque)

100 à 1 000 ans, c’est le temps nécessaire pour que se forme 1 cm de sol.

Les sols sont le résultat de processus physiques, chimiques et biologiques qui interagissent pour aboutir à leur formation : altérations de la roche mère, dépôts de particules, formation de minéraux, accumulation de matières organiques provenant de la dégradation des végétaux et des animaux, etc. De nombreux facteurs interagissent : la nature de la roche mère, la composition chimique de l’eau contenue dans le sol, son pH, l’activité biologique, le climat et notamment le régime des pluies, la végétation, la position dans le paysage (topographie et fonctionnement hydrologique). Selon les situations, il faut entre 100 et 1 000 ans pour que se forme 1 cm de sol. Autant dire que les sols ne sont pas une ressource renouvelable. 

 

Les sols, façonnés par la vie

Terre dans les mains d'un homme

Les sols abritent des organes végétaux que l’on trouve en surface (racines, bulbes, tubercules, rhizomes) et de nombreux animaux. Des petits mammifères, des gastéropodes, des arthropodes dont des insectes, des vers de terre, des enchytréides, des nématodes, etc. S’y ajoutent des microorganismes tels que des champignons, bactéries, virus… et même des algues. Au-delà de constituer un réservoir incomparable de biodiversité, tous ces êtres vivants façonnent les sols et contribuent à leur fonctionnement. Les vers de terre, les fourmis et des petits mammifères (mulots, campagnols, lapins, taupes), ces « ingénieurs du sol », en modifient la structure physique. D’autres organismes, les détritivores (cloportes, mille-pattes ou encore bousiers), consomment les matières organiques de grosse taille comme les résidus de végétaux. Ils fragmentent les feuilles par exemple en petits morceaux et les enfouissent dans le sol. Enfin, il y a les herbivores, taupins, bruches, altises ou encore chrysomèles. Ils ne sont pas très appréciés des agriculteurs et agricultrices car certains se nourrissent de racines et empêchent la pousse des plantes, voire les font mourir. D’autres organismes passent le début de leur vie dans le sol puis en sortent et viennent alors manger les feuilles des plantes. « Quand le sol est en bonne santé, il héberge aussi des prédateurs généralistes (araignées, fourmis, carabes) qui se nourrissent de ces herbivores et permettent de réguler les populations », précise Mickael Hedde, écologue au laboratoire Éco & Sols à Montpellier. 

Microorganismes : petits mais utiles

Les microorganismes (bactéries, champignons, archées) sont présents par milliards dans les sols. Et ils sont indispensables ! Ce sont les agents de la décomposition et de la minéralisation de la matière organique. « En quelque sorte, ils mettent à disposition les nutriments pour les plantes », explique Lionel Ranjard, microbiologiste du sol au laboratoire Agroécologie à Dijon. Ils favorisent la formation et la stabilisation des agrégats de sol en libérant des molécules organiques qui agissent comme un ciment entre les particules. Les mycéliums des champignons, en s’enroulant autour des agrégats, vont aussi participer à stabiliser la structure du sol, mais leur diamètre, très petit par rapport à celui des racines, va aussi leur permettre d’explorer des zones non accessibles à ces dernières et être, notamment lorsqu’ils sont associés à des plantes sous la forme de mycorhizes, des transporteurs d’éléments minéraux utiles aux plantes. Des bactéries particulières, les rhizobiums, peuvent aussi s’associer aux racines des légumineuses, leur permettant d’utiliser l’azote atmosphérique pour leur croissance. Des bactéries et champignons participent aussi à la dépollution des sols « en transformant ou dégradrant des molécules », explique Lionel Ranjard. Enfin, les microorganismes empêchent des bactéries pathogènes de s’implanter dans les sols. « Mais si la biodiversité diminue, les microorganismes pathogènes restent plus longtemps dans les sols et le risque de voir se développer un foyer épidémique s’accroît. » 

Le travail réalisé par l’unité de recherche Agroécologie d'INRAE Bourgogne Franche-Comté qui étudie l’écologie microbienne des sols a permis de faire l’inventaire des communautés bactériennes des sols de France. Pour cela, les techniques les plus en pointe de séquençage d’ADN ont été utilisées et ces travaux ont débouché sur la réalisation d’un atlas qui nous offre un panorama de ces communautés bactériennes, nous sensibilisant à leur importance dans la qualité et la fertilité des sols. 

Aux sols, citoyens !

Les sols sont partout, mais pas les scientifiques ! Pour faire progresser plus vite les connaissances sur les sols, la recherche mobilise les citoyens. Leur atout ? Leur nombre ! Mais aussi l’accès à certains espaces, en particulier privés. Le projet JardiBioDiv fait appel aux citoyens pour mieux connaître la biodiversité des sols des jardins, des parcelles maraîchères, agricoles et forestières en milieu urbain. Une application smartphone, ludique et pédagogique, permet d’identifier et recenser les organismes présents à la surface des sols. Depuis 2017, 1 300 formulaires de description ont été remplis. Plus de 5 000 collemboles et 9 000 macro-invertébrés ont été recensés par des citoyens. Aujourd’hui, ces données sont mises à profit dans des projets scientifiques d’envergure tel que le projet Biodiversité des sols urbains et villes durables (ANR, 2019-2023) dans lequel sont impliquées 4 grandes agglomérations (Paris, Nancy, Nantes et Montpellier), soucieuses de connaître la biodiversité de leurs sols pour mieux les gérer. Ces approches participatives font progresser les connaissances sur les sols et permettent d’éduquer et sensibiliser les citoyens sur cette ressource.

Les vers de terre, ces super-héros

Photo de lombric

Tous les vers de terre ne se ressemblent pas. Certains creusent des galeries et les utilisent comme des terriers. Les « tunneliers », eux, mangent le sol en même temps qu’ils avancent : ils mangent, ils rejettent, ils mangent, ils rejettent… et bouchent ainsi la porosité qu’ils ont eux-mêmes créée. D’autres font des tunnels qui ont la particularité d’avoir des parois très solides. Un détail ? Pas du tout ! Lors de fortes pluies, ces galeries vont résister et ainsi permettre à l’eau de s’infiltrer dans le sol et limiter le ruissellement en surface. Elles garantissent une bonne circulation de l’air dans le sol et permettent aux racines de se développer. Oui, on peut le dire, le comportement des vers de terre influence la croissance des plantes, le stockage de l’eau, en façonnant la structure du sol.