Agroécologie Temps de lecture 6 min
3 questions à une jeune pousse : Mycophyto
Pollution des sols et des eaux, résistance des bioagresseurs ou encore réduction de la biodiversité… Les pesticides ont des effets néfastes pour l’environnement. Et si, pour favoriser la transition agricole, nous utilisions les synergies naturelles entre les plantes et les microorganismes du sol ? Mycophyto, jeune pousse basée à Sophia Antipolis, propose des alternatives biologiques efficaces pour l’agriculture et l’aménagement paysager. Rencontre avec Justine Lipuma, co-fondatrice de Mycophyto.
Publié le 23 avril 2019 (mis à jour : 28 février 2022)

Votre startup propose d’utiliser les synergies plantes-champignons. Comment cela fonctionne-t-il ?
Lorsque nous apportons des intrants (pesticides et engrais), nous tuons les champignons. Or, c’est en partie grâce à eux que la plante se développe ! En utilisant les champignons mycorhiziens, nous augmentons de 100 à 1000 fois la surface d’échange entre les plantes et les champignons. Et si nous arrivons à sélectionner la meilleure association possible, nous maximisons la production, en stimulant et protégeant les plantes. Nous procédons de la manière suivante : nous faisons un prélèvement des sols, puis des analyses (isolement, souches de champignons mycorhiziens indigènes…) puis nous les produisons et multiplions en grande quantité. Enfin, nous les inoculons dans des plants de tomates. Comme, la plupart du temps, la production des tomates se fait hors sol, nous effectuons des modélisations en serre. Le résultat ? 15 % de fruits en plus sur chaque pied, de meilleures qualités nutritives ; et trois semaines de récoltes supplémentaires !
" Augmenter de 100 à 1000 fois la surface d'échange " |

Comment est née l’idée et quels sont vos objectifs ?
À mon retour d’Italie, j’ai commencé à faire des tests en 2017, puis l’année d’après, lors d’un projet de prématuration de l’Université Côte-d’Azur avec l’Inra en chef de file. En sortie de ce projet le transfert a été fait : la startup Mycophyto était née. Nous avons commencé à travailler sur des plants de tomates ainsi que des plantes à parfums aromatiques et médicinales (PPAM) et oliviers. Aujourd’hui, nous sommes en cours de finalisation d’une levée de fonds, avec plusieurs objectifs. D’abord, créer de l’emploi en embauchant 4 personnes d’ici mai ou juin 2019. Ensuite, nous souhaitons commencer à réindustrialiser, à automatiser le processus concernant les plantes pour lesquelles le concept est validé. Pour cela, nous alimentons une banque de souches afin d’obtenir de nouveaux contrats en R&D. Enfin, nous montons des partenariats pour relever de nouveaux défis, en mêlant biotechnologies, Big Data, intelligence artificielle... notamment pour réussir à prédire quels types de champignons vont dans quels types d’environnements. Pour réussir la transition agricole, je suis persuadée qu’il faut trouver, non pas une, mais des solutions adaptées aux différents contextes.
" Il faut trouver, non pas une, mais des solutions adaptées aux différents contextes " |

Comment travaillez-vous avec INRAE ?
Si les premiers pas ont été faits en Italie, à Turin, avec une spécialiste de la symbiose plantes – champignons microscopiques, c’est grâce à l’Inra que nous avons validé ce projet sur des tomates. Par ailleurs, nous avons été sollicités par l’Université de Grenoble et l’Université senteur et saveur pour mener un projet européen sur la lavande afin d’étudier et de trouver des solutions à son dépérissement. Nous sommes également intégrés dans l’UMT Fiorimed, basée à l’Institut Sophia Agrobiotech de Sophia Antipolis. Sinon, nous sommes une spin-off d'Inra, nous avons Christine Poncet en concours scientifique, et nous avons une convention d’hébergement nous permettant de louer un accès à la serre expérimentale, à des bureaux, à un laboratoire… Aujourd’hui nous sommes en discussion avec d’autres chercheurs d'INRAE pour nouer de nouveaux partenariats, au travers de thèses ou de projets de recherche communs. Je suis persuadée que le lien entre la recherche publique et les clients finaux est essentiel : pour que le travail applicatif fonctionne et que les solutions soient effectives dans la vie réelle, il est nécessaire de continuer à développer des startup en lien avec les instituts de recherche et inventer ensemble de nouveaux modes de collaborations plus dynamiques et adaptés au monde actuel ! Et en effet, cela fait sens, puisque travailler de cette manière permet d’avoir une rigueur scientifique, tout en développant des produits efficaces et adaptables aux professionnels.
Après avoir fait un lycée agricole, Justine Lipuma étudie la microbiologie, lors d’une thèse soutenue en 2015, à l’Inra. Elle étudiait alors les interactions entre les bactéries fixatrice d’azote et les légumineuses (Lipuma J.et al.2015 EMI). Puis, à Turin, elle cherche à comprendre les mécanismes de la symbiose entre les plantes, les champignons microscopiques et les bactéries (Salvioli A., Lipuma J. et al.2017 ISME). Par la suite, elle décide de se diriger vers des applications concrètes de ces recherches fondamentales. A Sophia Antipolis, elle rencontre Christine Poncet, de l’Unité Inra Institut Sophia Agrobiotech, qui travaille à ce moment-là en recherche appliquée sur la conception de systèmes agricoles plus durables, elle a également été leader d’un projet Fioribio avec des partenaires italiens ayant démontré le rôle prépondérant du choix de partenaire symbiotique dans l’optimisation de la symbiose mycorhizienne. Elles décident de créer la startup Mycophyto. « Nous avons d’abord mené des entretiens afin de comprendre l’accès aux produits par les agriculteurs. Cela m’a fait du bien de faire ces interviews car j’ai pu reprendre contact avec le monde agricole, ce qui n’avait pas été le cas depuis quelques années. Les résultats ont montré qu’ils ne sont pas réticents au changement, au contraire ! Ils soulignent même un manque d’accompagnement généralement » explique-t-elle.

Des récompenses pour Mycophyto |
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Depuis 2016, la startup a remporté de nombreux prix :
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