Agroécologie Temps de lecture 4 min
Diversification des cultures : une transition à penser à l’échelle des territoires
La diversification végétale offre des bénéfices agronomiques, écologiques et économiques, notamment en renforçant la protection des cultures contre les bioagresseurs. Pour exploiter pleinement ce potentiel, une évolution progressive des systèmes agricoles à l'échelle des territoires est nécessaire. Dans la perspective d'élaborer des solutions durables fondées sur les pratiques de diversification, les coopératives, les collectivités locales et les acteurs économiques ont un rôle déterminant à jouer
Publié le 03 juin 2025

Diversifier les cultures : des bénéfices en faveur d'une agriculture plus résiliente et moins dépendante des pesticides, … mais des freins persistants
Les pratiques de diversification végétale (rotations allongées, mélanges variétaux, cultures associées, haies, agroforesterie,…) permettent de lutter efficacement contre un large éventail de bioagresseurs (insectes, adventices, maladies) tout en contribuant souvent à de meilleurs rendements (Expertise scientifique collective "Augmenter la diversité végétale des espaces agricoles pour protéger les cultures"). Elles génèrent aussi des effets positifs pour l’environnement et la société en soutenant la biodiversité, en améliorant la qualité des sols, en régulant l’eau et en favorisant le stockage du carbone.
Dans un contexte de changement climatique marqué par des événements extrêmes récurrents, ces co-bénéfices deviennent essentiels, car ils renforcent la résilience des cultures face aux aléas. Mais la mise en œuvre de la diversification se heurte à des obstacles qui peuvent être par exemple liés à une rentabilité insuffisante à court terme ou au manque de soutien à la diversification. Les pratiques les plus bénéfiques, telles que l'agroforesterie et la diversification à l'échelle du paysage (avec des haies, mosaïque de cultures, bosquets, mares…), sont confrontées aux blocages systémiques les plus forts. Leur mise en œuvre suppose d'adapter les systèmes agricoles et les filières de manière plus structurante, en tenant compte des spécificités locales et des dynamiques collectives. En revanche, les mélanges de variétés, plus faciles à mettre en œuvre et efficaces contre les maladies des cultures, s'ils apportent des bénéfices individuels, offrent des avantages écologiques secondaires plus limités. Leur fort développement en France est cependant positif et encourageant.
Comprendre les leviers de la diversification
Pour mieux comprendre comment mettre en œuvre la diversification végétale dans les systèmes agricoles, les chercheurs ont repris l'étude de plus de 1100 articles scientifiques de disciplines variées de la revue de la littérature scientifique réalisée dans le cadre de l'expertise scientifique collective " Augmenter la diversité végétale des espaces agricoles pour protéger les cultures".
Pour identifier les leviers, mais aussi les situations à débloquer pour permettre une adoption à plus large échelle de la diversification, dans des contextes agricoles variés, les chercheurs ont comparé neuf grandes familles de pratiques (rotations allongées, cultures associées, agroforesterie, haies, mélanges variétaux, etc.) selon cinq dimensions clés :
- l'efficacité pour réguler les bioagresseurs,
- l'impact sur la biodiversité,
- les rendements agricoles,
- les implications économiques,
- et l'articulation avec les politiques publiques.
Cette approche permet d’avoir une vision des différentes dimensions qui permettent d'aborder les conditions nécessaires pour déployer la diversification à grande échelle.
L’échelle territoriale et l'action collective : des leviers pour la transition
La diversification végétale, c’est une manière nouvelle et prometteuse d’envisager la production agricole, d’organiser les paysages et de renforcer les liens entre acteurs du territoire.
L’étude montre que les pratiques de diversification ne constituent pas une simple boite à outils dans laquelle on pioche une alternative à tel ou tel pesticide. Cibler ainsi uniquement les agriculteurs pour déployer largement ces pratiques conduit au relatif échec des politiques publiques actuelles. Pour les auteurs, d'après leur revue de la littérature scientifique, c’est au niveau territorial que la transition agroécologique doit être pensée, en incluant l’ensemble des acteurs des filières. C’est là que se croisent les contraintes pédoclimatiques, les politiques régionales, les acteurs économiques et les initiatives collectives. La coordination entre agriculteurs y est nécessaire pour organiser les cultures dans l’espace (répartition des espèces, distances entre parcelles, complémentarité des pratiques), ou organiser le déploiement de certains dispositifs comme les éléments semi-naturels.
La réussite de la diversification repose aussi sur l’implication conjointe de plusieurs catégories d’acteurs :
- Les coopératives, dont certaines ont déjà engagé des initiatives pour accompagner la diversification à grande échelle, comme la structuration de filières pour les légumineuses ou l’adaptation des circuits de tri. Leur capacité à fédérer les producteurs et à organiser les débouchés en fait des acteurs clés de la transition. Des exemples, notamment en Chine et en Italie, illustrent ainsi le rôle central des coopératives dans ces dynamiques : plus les agriculteurs.rices participent à une coopérative et plus il y a de coopératives différentes, plus il y a de diversité végétale localement, plus il y a de partage d’informations et de coordination pour gérer les bioagresseurs dans les territoires, plus la rentabilité est importante et plus les rendements augmentent dans le temps.
Diversifier les cultures, ce n’est pas juste changer les pratiques : c’est changer d’échelle de pensée, en associant les acteurs d’un territoire pour construire une agriculture résiliente, productive et respectueuse de l’environnement
- Les collectivités locales peuvent faciliter l’émergence de projets territoriaux, soutenir l’investissement collectif (matériel, haies, transformation) et coordonner les parties prenantes autour d’objectifs environnementaux communs.
- Les agriculteurs eux-mêmes, souvent moteurs, peuvent s’appuyer sur des réseaux de pairs, des expérimentations en commun, et des dispositifs d’auto-construction ou de mutualisation de matériel.
- Les industries agroalimentaires, en lien avec les coopératives, peuvent valoriser des productions plus diversifiées par des cahiers des charges spécifiques ou des certifications territoriales.
La diversification des cultures est une voie scientifiquement étayée pour réduire l'usage des pesticides, restaurer la biodiversité et rendre les exploitations plus résilientes. Son déploiement à grande échelle suppose une transformation du modèle agricole appuyée par des politiques publiques ambitieuses et une mobilisation coordonnée des acteurs des territoires, entre autres pour trouver ou créer des débouchés aux produits issus des systèmes diversifiés.
Référence
A. Vialatte et al. (2025), Protecting crops with plant diversity: Agroecological promises, socioeconomic lock-in, and political levers. One Earth, 8, In Press, Corrected Proof https://doi.org/10.1016/j.oneear.2025.101309