Agroécologie 6 min

Augmenter la diversité végétale des espaces agricoles pour protéger les cultures

Mélanges variétaux, associations d’espèces, succession de cultures dans le temps, agroforesterie, haies et autres éléments semi-naturels du paysage… la diversité végétale concourt à diminuer les populations de champignons pathogènes, plantes adventices, insectes ravageurs qui vivent aux dépens des cultures, avec l’objectif de réduire voire de se passer des pesticides. Et cela sans perte de rendement. De nombreux verrous en amont et en aval des filières agricoles limitent le déploiement de ces stratégies de protection des cultures, mais les politiques publiques pourraient être un levier important pour inciter les agriculteurs à les adopter. Ce sont les principaux enseignements d’une expertise scientifique collective réalisée par INRAE à la demande des ministères en charge de l’Agriculture, de la Transition écologique et de la Recherche. Explications.

Publié le 26 octobre 2022 (mis à jour : 07 novembre 2022)

illustration Augmenter la diversité végétale des espaces agricoles pour protéger les cultures
© INRAE

Lorsqu’aucune stratégie de lutte n’est mise en place, les pathogènes, plantes adventices et organismes ravageurs des cultures causent des dégâts sur les cultures, avec pour conséquence des pertes de rendement et/ou de qualité des récoltes. Pour s’en prémunir, les agriculteurs ont majoritairement recours aux solutions chimiques, avec cependant un impact important sur l’environnement et sur la santé humaine. Se passer de pesticides est une attente forte de la société de plus en plus intégrée dans les politiques publiques nationales et européennes, mais ces dernières ont un impact limité sur le terrain. C’est dans ce contexte que les ministères en charge de l’Agriculture, de la Transition écologique et de la Recherche ont confié à INRAE une expertise scientifique collective pour évaluer l’efficacité de stratégies de protection des cultures fondées sur la diversité végétale et analyser les freins et les leviers de leur déploiement.

La synthèse de ce travail collectif et interdisciplinaire, basé sur une analyse de la bibliographie internationale, dégage des constats bien établis par les recherches :

  • La diversification végétale des parcelles et des paysages pour protéger les cultures, cela fonctionne.
  • Outre la protection des cultures, la diversification favorise la biodiversité et les services qu’elle rend aux agriculteurs et à la société : la régulation de l’eau, le stockage du carbone, etc.
  • Ces solutions agroécologiques vont de pair avec des rendements souvent plus élevés et/ou plus stables d’une année sur l’autre que dans les systèmes conventionnels.
  • Des verrous sont à lever pour développer leur utilisation, qui peut nécessiter une transformation importante des systèmes de culture aujourd’hui très spécialisés.
  • Des leviers existent : en particulier, les politiques publiques ont un rôle essentiel à jouer pour inciter à la diversification.

Vidéo du colloque de restitution

LES LIVRABLES

Les documents de l’expertise scientifique collective définissent précisément toute la gamme de solutions que recouvre la diversité végétale et détaillent les avantages et les limites de chaque modalité.

Les documents ci-dessous ont été mis à jour au 19/12/23, intégrant un erratum.

Ouvrage : Protéger les cultures par la diversité végétale
Anaïs Tibi, Vincent Martinet, Aude Vialatte

Un état des lieux des stratégies de protection des cultures fondées sur la diversification végétale, et une analyse des freins et des leviers technico-socio-économiques de leur déploiement.

Éditions Quæ, collection Matière à débattre et décider,  132 pages, livre papier 29 €, e-book gratuit.

Jusqu’à quel point diversifier ?

Des pratiques en rupture avec le système majoritaire

Introduire de la diversité végétale permet de rendre l’espace agricole moins favorable aux ravageurs, plantes adventices et maladies, en diluant leurs plantes hôtes, et/ou en favorisant la présence de prédateurs ou concurrents. Mais jusqu’où aller ? Certains travaux scientifiques fournissent des préconisations. Par exemple, les mélanges variétaux doivent se composer de 4 à 5 variétés pour réguler efficacement les maladies. Aujourd’hui, ils se composent de 2 à 3 variétés et représentent 17 % des surfaces cultivées en blé. Pour les associations de deux espèces dans une même culture, il est préconisé de les choisir avec des sensibilités différentes aux maladies et ravageurs, et complémentaires dans l’utilisation des ressources nutritives. Aujourd’hui ces associations concernent seulement 0,1 % à 3 % des surfaces, et associent une céréale et une légumineuse. Les successions de cultures différentes au sein de la parcelle (rotations de cultures) doivent être établies sur plus de 3 ans, alterner cultures semées en hiver ou au printemps, légumineuses (qui fixent l’azote atmosphérique dans le sol) et des cultures comme le colza pour mieux réguler les plantes adventices. La taille optimale pour les parcelles de grande culture est d’environ 2,8 ha pour favoriser la biodiversité alors que 50 % de notre surface agricole est occupée par des parcelles de plus de 6,8 ha. Enfin, il faudrait pouvoir intégrer 20 % d’éléments semi-naturels (haies, mares, bois, etc.) dans les espaces cultivés pour réguler la présence des insectes, acariens… qui s’attaquent aux cultures, conserver la biodiversité et les services qu’elle rend aux écosystèmes. La présence de 300 mètres de haies par hectare permet de concilier rendement et biodiversité.

L’agroforesterie, qui associe arbres et cultures (et parfois de l’élevage) au sein d’une même parcelle, apparaît comme une voie particulièrement intéressante par la variété des services écosystémiques associée : maintien de biodiversité, régulation de l’eau, qualité de l’eau et du sol, stockage de carbone. Pourtant, elle est pratiquée sur moins de 1 % de la surface agricole française.

A l’exception des mélanges variétaux de céréales, ces pratiques de diversification sont actuellement peu adoptées par les agriculteurs. Dans le contexte économique actuel, mettre en oeuvre des pratiques de diversification pour protéger les cultures est souvent perçu par les agriculteurs comme plus risqué que recourir aux pesticides. Ces derniers sont plutôt considérés comme des intrants réducteurs de risque à bas coût.

Quels sont les verrous et les leviers ?

Des incitations fortes doivent accompagner ce déploiement

L’industrialisation de l’agriculture a été fortement encouragée par les politiques publiques durant la 2e moitié du XXe siècle. Elle s’est traduite par une forte spécialisation des exploitations et des régions, permise notamment par la généralisation de l’usage des pesticides de synthèse, et s’est accompagnée d’une perte de diversité végétale. Le système actuel est donc caractérisé par un verrouillage systémique qui s’oppose aux changements.

D’une part, s’affranchir des pesticides nécessite de penser autrement : il ne s’agit plus de viser le « zéro organisme ravageur, adventice ou maladie », mais de réguler leurs populations en mobilisant la biodiversité présente dans l’écosystème agricole. En effet, ce n’est qu’à partir d’un certain seuil que les ravageurs, plantes adventices et maladies causent de dégâts sur les cultures (par exemple des trous dans les fruits), et ces dégâts ne se traduisent pas toujours par des pertes de production (par exemple si les dégâts concernent les parties non récoltés). La rentabilité finale de l’exploitation dépend également du prix de vente (donc du consentement à payer du consommateur pour des produits qui ne répondent pas aux standards conventionnels), du coût des intrants, des charges de travail et des équipements. La stabilité de la rentabilité au long des années est également un critère important pour l’agriculteur.

D’autre part, mobiliser les mélanges variétaux nécessite de disposer des variétés appropriées, pratiquer les associations culturales demande des équipements adaptés au semis et à la récolte (mutualiser l’achat, sous-traiter, ou fabriquer son propre équipement permet de mieux faire face à leur coût). Mobiliser des éléments semi-naturels nécessite une organisation collective et des politiques publiques cohérentes. La mutualisation des connaissances et le partage d’expérience sont essentiels dans tous les cas, de même que la création de débouchés pour les produits issus des systèmes diversifiés. Les coopératives, qui agissent à la fois en amont et en aval des filières, peuvent avoir un rôle clé. Ainsi, des travaux italiens ont constaté plus de diversité végétale et de meilleurs rendements lorsque les coopératives étaient plus nombreuses et actives dans ce rôle incitatif.

Quelles pistes pour favoriser la diversification végétale afin de protéger les cultures ?

Le principal outil aujourd’hui promu pour sortir des pesticides de synthèse est réglementaire : il s’agit de la certification des exploitations en agriculture biologique. Cette certification n’impose cependant pas l’adoption de pratiques de diversification végétale. Or, la combinaison de ces deux outils semble prometteuse pour optimiser la conservation de la biodiversité, la fourniture de services écosystémiques et la préservation des rendements, tout en améliorant la valorisation économique de la production des systèmes diversifiés. L’outre-mer est aussi un modèle inspirant. Les systèmes diversifiés, voire ultra-diversifiés comme le jardin créole, sont adoptés dans 70 % des exploitations agricoles et constituent des systèmes résilients aux changement globaux, qu’ils soient environnementaux (changement climatique) ou économiques (fluctuations des marchés).

Les conclusions de cette expertise scientifique collective ont été présentées et mises en débat au cours d’un colloque rassemblant près d’un millier de personnes, en ligne ou en présentiel. Favoriser la diffusion de ces connaissances, dès le lycée agricole, et accompagner leur mise en œuvre ont fait l’objet de nombreux échanges. Dans la transition vers des systèmes agricoles avec plus de diversité végétale, chaque acteur de la société (agriculteurs, industriels, consommateurs, pouvoirs publics, recherche) peut jouer un rôle.

INRAE, engagé dans les recherches pour accompagner les transitions agroécologiques et alimentaires, mobilise son dispositif de recherche, en particulier la plateforme Ca-Sys en grande culture et le verger de Gotheron, qui mettent en œuvre la diversité avec « zéro pesticides ». Les zones ateliers et les laboratoires vivants qui associent les acteurs de terrains sont également des dispositifs essentiels pour innover en ce sens…. L’expertise scientifique collective pointe l’intérêt de développer la télédétection et la modélisation pour améliorer le suivi des pratiques de diversification et la compréhension de leurs effets. Les recherches devront également s’attacher à mieux comprendre les effets combinés des différentes pratiques de diversification pour réguler simultanément divers types d’agresseurs. Mieux concevoir et évaluer les politiques publiques est enfin nécessaire.  

UNE EXPERTISE SCIENTIFIQUE COLLECTIVE MENEE PAR LA DEPE

Cette synthèse interdisciplinaire est basée sur une analyse de la littérature scientifique mondiale. 1 900 références scientifiques dont 225 travaux de synthèse ont été analysées. 32 experts et expertes agronomes, écologues, économistes, sociologues… de différents organismes de recherche, et 2 chargés de mission ont été mobilisés. Le cadre méthodologique des expertises scientifiques collectives a été appliqué.

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Nicole LadetRédactrice

Contacts

Anaïs TibiCheffe de projetINRAE, Direction Expertise scientifique collective, prospective et études

Aude VialattePilote scientifiqueINRAE, UMR DYNAFOR Dynamiques et écologie des paysages agriforestiers

Vincent MartinetPilote scientfiqueINRAE, UMR PSAE Paris-Saclay applied economics

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