Dossier revue
Agroécologie

Une nouvelle génération de solutions

Se placer dans une optique « zéro pesticide » permet aux scientifiques d’INRAE d’explorer des fronts de science très novateurs. Parmi les pistes : mobiliser des actions préventives, détecter au plus tôt l’apparition des maladies et ravageurs, stimuler l’immunité de la plante, sélectionner des variétés aptes à la cohabitation, démultiplier le biocontrôle… Le point sur les solutions.

Publié le 13 octobre 2023

Pour atteindre les objectifs de réduction de 50 % de l’usage des pesticides prônés par le Pacte vert européen, il faut concevoir des innovations de rupture. C’est pourquoi les chercheurs se sont fixé un objectif extrême, à savoir une protection des cultures efficace avec « zéro pesticide », afin de produire les connaissances fondamentales nécessaires à un véritable changement de système. C’est en particulier l’ambition du programme « Cultiver et protéger autrement » (PPR CPA), lancé en 2019 1. Illustration avec quelques projets. 

1. Programme prioritaire de recherche (PPR) piloté par INRAE et financé par France 2030 (PIA3) avec 10 projets de recherche sélectionnés sur 6 ans (30 millions d’euros).

Prévenir au plus tôt grâce à l'épidémiosurveillance

Recherches en statistiques spatiales et spatio-temporelles, à la fois théoriques et appliquées,pour les applications relevant de l'environnement,de l'écologie, de l'épidémiologie et de la biologie des populations. © INRAE - Christophe Maître

Intelligence artificielle, fouille de textes, génétique des populations, télédétection, flux commerciaux mais aussi chiens renifleurs… 
L’épidémiosurveillance permet d’anticiper les prémices de problèmes sanitaires majeurs pour mieux les gérer et éviter des tensions sur la sécurité alimentaire. Cindy Morris, écologue à l’unité Pathologie végétale, coporteuse du projet Beyond, explique : « Nous cherchons les indicateurs les plus précoces possibles. Nous croisons les données pour mieux prédire les mouvements des insectes ravageurs et agents pathogènes, et les zones à risque majeur ». Un schéma de diffusion de maladie peut être lié à la circulation du vent ou de l’eau dans l’environnement, ainsi qu’à l’état de stress de la plante. « Nous élaborons un système d’information ouvert à tous, pour un conseil agricole beaucoup plus préventif. » 
Cette veille pourra bénéficier d’innovations mises au point dans le projet Phérosensor. « Nos capteurs détectent les insectes, via les phéromones qu’ils émettent pour communiquer », explique Philippe Lucas, neurobiologiste à l’Institut d’écologie et des sciences de l’environnement de Paris et porteur du projet. Emmanuelle Jacquin-Joly, directrice de recherche dans le même laboratoire, poursuit : « Nous visons en premier lieu les espèces invasives pour agir au plus tôt ». Le senseur codéveloppé par INRAE et le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) est un dispositif hybride, biologique et physique. Son système ultra-sensible de détection d’odeurs réagit à des molécules émises par les insectes à hauteur de seulement quelques nanogrammes par heure. 

Immunité de la plante : des leviers à combiner

La sélection de variétés résistantes et la diffusion de leurs semences et plants sont un moyen de protéger de nombreuses espèces sans utiliser de pesticides. Les cultures de légumineuses, partenaires privilégiées des associations végétales, sont encore très impactées par les maladies et ravageurs. Le projet Specifics, mené au sein du PPR CPA, sélectionne des légumineuses à la fois plus résistantes, adaptées aux cultures associées et compétitives vis-à-vis des adventices. D’autres leviers novateurs peuvent être associés à ces résistances génétiques. Ils jouent sur l’immunité des plantes et sur leur microbiote. Comme les animaux, les plantes ont une immunité faisant barrière aux ravageurs et pathogènes, qui est innée. La difficulté est que l’expression de cette immunité est fortement conditionnée par les pratiques culturales et les conditions climatiques.

La France est le 1er producteur européen de semences, leader mondial à l’exportation. Source : SEMAE

Les pratiques visant une productivité maximale peuvent se révéler particulièrement défavorables à la pleine expression des défenses immunitaires. « Nous étudions différentes combinaisons de facteurs : application de stimulateurs de défense des plantes (SDP) et de flashs d’UV-C, gestion de la fertilisation azotée, utilisation de variétés à résistance partielle… Nous mesurons leur effet sur leurs principaux bioagresseurs de la pomme et de la tomate, nos deux modèles », explique Marie-Noëlle Brisset, pathologiste à l’Institut de recherche en horticulture et semences, coporteuse du projet Cap Zéro Phyto. Le but est de fiabiliser l’utilisation de ces leviers sur le terrain, tout en assurant une productivité économiquement acceptable. Le projet prévoit également d’intégrer des plantes de service dans les cultures pour repousser les ravageurs ou attirer et alimenter les auxiliaires de culture. Nous évaluons comment ces services sont affectés par les différents facteurs. Le projet Sucseed, piloté par Matthieu Barret microbiologiste à l’IRHS, étudie comment induire l’immunité dès le développement des graines. Les semences peuvent en effet transporter des agents pathogènes nuisibles à leur croissance et qui font l’objet de contrôles sanitaires stricts. Le traitement des plantes porte-graines avec des stimulateurs de défense des plantes (SDP) en conditions contrôlées permet de réduire de moitié la transmission des agents phytopathogènes sur haricot et colza. Ces solutions seront testées au champ en 2024. 

Ressources Pesticides Verger
Récolte de pommes dans un verger expérimental pour des systèmes de production durable en arboriculture, centre INRAE d’Angers. © INRAE - Christophe Maitre

La protection par le microbiote

« Le microbiote, explique Christophe Mougel, chercheur en écologie à l’Institut de génétique, environnement et protection des plantes, et pilote du projet DeepImpact, c’est toute la scène microbienne autour d’une plante. Il facilite l’alimentation hydrique des racines, fournit des nutriments à la plante et agit sur son immunité. Le dialogue plante-microorganismes s’instaure au semis avec les microorganismes présents dans le sol. » 

« Le microbiote […] facilite l’alimentation hydrique des racines, fournit des nutriments à la plante et agit sur son immunité. » Christophe Mougel, chercheur en écologie

Pourrait-on choisir d’implanter les cultures dans les sols où les microbes leur seraient les plus favorables ? À cette fin, le projet caractérise les « terroirs microbiens », identifie des bio-indicateurs de l’état microbien d’un sol et évalue l’effet des pratiques agricoles sur les équilibres entre plantes et microbes. Ensuite, les scientifiques testent des assemblages de microorganismes afin de recréer un microbiote apte à barrer la route aux épidémies ou aux attaques de ravageurs. De tels assemblages pourraient par la suite être commercialisés pour faire du biocontrôle en cultures de blé ou de colza. Sucseed explore aussi cette voie pour protéger les semences, sans nuire à leur croissance. Son défi est d’opérer les bons choix parmi plus de 1 500 souches bactériennes et 500 souches fongiques identifiées dans le microbiote des graines de tomate, haricot, colza ou blé. Ces deux projets ouvrent de nouvelles voies pour la sélection variétale, en caractérisant les aptitudes et la manière dont la plante recrute son microbiome.

Une stratégie durable contre les bioagresseurs : les associations de cultures

Un mélange de variétés de blé permet de réduire le nombre d' interventions fongicides. © INRAE - Patrick Saulas

Associer des espèces ou des variétés dans une même parcelle permet d’activer des complémentarités et des interactions entre les plantes, les rendant plus résistantes ou tolérantes aux bioagresseurs. Ces mélanges apportent aussi une stabilité face aux aléas : dans une association blé-pois, en année défavorable au pois, on récoltera au minimum du blé. Le projet MoBiDiv coporté par Jérôme Enjalbert, généticien à l’unité Génétique quantitative et évolution, et Aline Fugeray-Scarbel, économiste au laboratoire d’Économie appliquée de Grenoble, étudie ces associations et recherche les plus efficaces pour contrôler les bioagresseurs. Pour cela, le blé est cultivé en mélange de différentes variétés, ou en association avec une légumineuse, ou encore en bandes insérées. Le projet développe des méthodes de sélection classique ou participative pour identifier des variétés adaptées à une utilisation en mélange. Il met au point des outils d’aide à l’assemblage des mélanges, selon les conditions climatiques, le système de culture et la région. Le développement de mélanges de variétés et d’espèces nécessite aussi de repenser les politiques publiques sur les semences, actuellement centrées sur les variétés pures. Comment garantir la qualité de semences hétérogènes  et imaginer des systèmes de rémunération qui incitent les sélectionneurs à travailler sur des espèces intéressantes mais représentant de petits marchés ? L’adaptation des débouchés est aussi étudiée dans le projet. Actuellement, les mélanges se développent essentiellement dans les régions d’élevage où ils sont consommés sur l’exploitation. Mais s’ils se diffusent plus largement, comment faire évoluer les standards de marché ?

 

Des paysages odorants pour vaincre la jaunisse de la betterave 

En 2020, une invasion précoce de pucerons vecteurs des virus de la jaunisse a fortement impacté la production française de betterave sucrière (- 27,4 % en moyenne). 
Cet impact a été d’autant plus brutal que la protection de cette culture se trouve très dépendante de l’utilisation d’insecticides de la famille des néonicotinoïdes, qui sont interdits depuis 2018. 
À la suite de cette crise, la France a autorisé à titre dérogatoire l’usage préventif des néonicotinoïdes en enrobage de semences pour la betterave en 2021 et 2022.
À la demande des pouvoirs publics, INRAE, l’Institut technique de la betterave et leurs partenaires conduisent un programme de recherche et innovation sur les alternatives. L’utilisation de plantes compagnes constitue une des pistes les plus novatrices : ces plantes brouillent le paysage olfactif et visuel des pucerons et freinent leur attaque. D’autres pistes sont explorées : variétés de betterave résistantes au virus, produits de biocontrôle, réduction des réservoirs viraux, etc.

Vers des alternatives au glyphosate

Le glyphosate est l’herbicide le plus utilisé dans le monde et en France et il fait toujours débat quant à ses impacts sur la santé humaine. La Commission européenne devait statuer sur son interdiction fin 2022, mais cette échéance a été repoussée mi-2023 afin d’examiner les compléments d’études produits récemment. Sur demande ministérielle, INRAE a rendu en 2017 un rapport sur les alternatives au glyphosate en agriculture, puis en 2019-2020 une évaluation économique des conséquences de sa suppression en arboriculture, viticulture et grandes cultures. Son interdiction apparaît actuellement comme une impasse pour l’agriculture de conservation des sols car, sans travail du sol et sans herbicide, il est difficile de contrôler certaines adventices ou d’éliminer un couvert végétal avant les semis suivants. Des leviers sont néanmoins prometteurs : désherbage mécanique ou thermique, relay-cropping, couverts sensibles au gel.

Que pourraient apporter les nouvelles techniques de sélection 
variétale (NBT) ? 

Parmi les NBT (new breeding techniques), les techniques dites d’édition opèrent des modifications ciblées du génome. Elles pourraient permettre de sélectionner plus vite des plantes résistantes en créant de la variabilité. Mais utiliser ces techniques suppose au préalable une connaissance fine des génomes et une maîtrise de la technologie sur une grande diversité d’espèces. Il faut aussi évaluer les éventuels effets non anticipés et leur perception par la société. Et enfin, bien sûr, qu’elles soient autorisées par la réglementation. Recruter des micro­organismes bénéfiques, s’associer à d’autres plantes…
Autant de caractéristiques valorisées en agroécologie auxquelles les travaux de sélection ne s’étaient pas intéressés jusqu’alors. Mieux les caractériser est le préalable de tout travail de sélection, qu’elle soit classique, participative ou fondée sur les biotechnologies.