Agroécologie Temps de lecture 10 min
Technologie et numérique en agriculture : un objectif social renforcé
Le secteur de l’agriculture peine à recruter. Il doit maintenir ses capacités de production et répondre aux enjeux de l'agroécologie, notamment la réduction de l'usage des phytosanitaire. Entre pénibilité physique, manque de main d’œuvre et gestion des risques quelles solutions technologiques existent pour accompagner les agriculteurs à faciliter leurs quotidiens ?
Publié le 31 mars 2021

Le secteur de l’agriculture peine à recruter. S’il connaît une baisse drastique de ses effectifs depuis la moitié du XXe siècle, passant, d’après l’Insee, de 7,1 % de la population française en 1982 à 1,5 % en 2019, la tendance est toujours à la baisse. La main d’œuvre continue de manquer alors que le nombre de consommateurs s’accroit, renforçant l’isolement des producteurs et amenant à creuser l’écart avec le reste de la population, qui perd de vue leur rôle essentiel dans les territoires.
Ces derniers sont d’ailleurs sujets à un quotidien particulièrement éprouvant, notamment par les conditions physiques imposées par le travail agricole, ainsi que par la charge mentale sollicitée par la gestion des divers risques liés au métier. La répétition et la pénibilité de certaines tâches, ainsi que les enjeux liés à l’agroécologie, concernant par exemple l’usage des produits phytosanitaires, invitent donc à repenser l’agriculture. Dans ce contexte compliqué, des solutions technologiques existent pour accompagner les agriculteurs à faciliter leurs quotidiens.
Des solutions pour améliorer la qualité de vie
les applications et plateformes mobiles sont d’une aide précieuse pour limiter la charge mentale des agriculteurs.
A portée de main déjà, les applications et plateformes mobiles sont d’une aide précieuse pour limiter la charge mentale des agriculteurs. Utile pour des usages classiques comme des applications de météo pour s’adapter aux conditions atmosphériques, le téléphone peut également devenir un moyen de communication avec d’autres outils plus spécifiques (capteurs, outils des machines agricoles...). Plusieurs logiciels et outils existent selon les besoins, notamment pour obtenir un suivi en temps réel des données de terrain (humidité, température...), directement depuis son smartphone. Les services d’autoguidage des machines agricoles, ou bien les GPS sont également légion dans la poche des producteurs, notamment pour assurer la précision des trajectoires et la répétabilité des itinéraires dans les champs. INRAE a également développé son propre logiciel, SecuTrac, qui permet de renseigner les agriculteurs sur les points de vigilance et sur les manières de contourner les risques liés à l’utilisation de leurs machines agricoles, notamment en cas de renversement.
Selon Bruno Tisseyre, enseignant-chercheur à l’unité "Technologies & méthodes pour les agricultures de demain" (UMR ITAP, INRAE - Institut Agro-Montpellier), si ces outils numériques permettent d’accompagner les professionnels et de limiter leur charge mentale quotidienne, « ils permettent également aux agriculteurs de se libérer de certaines contraintes en permettant un suivi à distance et en bénéficiant d’alertes afin de concentrer l’attention sur les éléments essentiels du système de production à l’instant t. » Cette charge mentale est d’autant plus soulagée par la centralisation de toutes les informations de l’exploitation sur une même application, facilitant ainsi le confort de vie des agriculteurs.
Accompagner l’humain dans les tâches répétitives
Physiquement aussi, les tâches imposées par le travail de la terre sont éprouvantes. Pour cette raison, des équipements « similaires à des exosquelettes ont également fait leur apparition et sont en cours de développement dans le domaine agricole pour soulager le corps humain, » indique Roland Lenain, directeur de recherche dans l'unité Technologies et systèmes d'information pour les agrosystèmes (UR TSCF). A ces technologies s’ajoutent des équipements robotiques qui ont tous les atouts pour participer à la transition agro-écologique. « Pour réduire l’usage des produits phytosanitaires par exemple, ou pour faire face à un temps de travail imposant et pour atteindre le niveau de précision demandé pour chaque tâche, les équipements intelligents motorisés constituent un levier d’aide » non négligeable à destination des agriculteurs. Tout l’enjeu réside dans l’adaptabilité des machines et des algorithmes qui les constituent. Les terrains qui évoluent, ou la difficulté de reconnaître les objets alentours, rendent ces technologies difficiles à développer, mais des solutions robotiques ont commencé à voir le jour dans les parcelles agricoles. La plateforme Universelle Mobile pour l’Agriculture (PUMAgri) travaille par exemple dans ce sens, puisqu’elle « vise à proposer aux exploitants agricoles une solution robotique polyvalente et innovante face aux enjeux de compétitivité, de protection de l’environnement ou encore de réduction des pénibilités du travail », d’après le site de la plateforme.
Si ces machines ont pour but de remplacer l’humain dans certaines tâches physiques, elles ont également besoin d’être pilotées pour fonctionner.
Si les machines sont encore très spécialisées, comme le robot de désherbage Oz de Naio Technologies, les technologies cherchent à multiplier leurs compétences ou à leur permettre de s’adapter à diverses cultures ou différentes formes de terrains. C’est le cas par exemple du robot Adap2e, capable « s’adapter à son environnement et à sa mission pour accroître son autonomie et sa sécurité ». En Auvergne, la plateforme PAVIN (Plateforme auvergnate pour les véhicules intelligents) a pour objectif de d’améliorer le comportement des robots dans diverses situations, notamment en milieu naturel, selon des pentes ou des sols plus ou moins exigeants. Ce volet est géré par les équipes d’Inrae et permet en outre de développer les fonctions de sécurité sur des infrastructures, comme le propose un volet de l’AgroTechnoPôle, qui constitue un élément capital pour la démocratisation des outils robotiques

Toutes ses technologies, à leur manière, permettent de grandement faciliter la qualité de vie des agriculteurs, tant mentalement que physiquement. Elles viennent en accompagnement des humains dans leurs tâches répétitives et chronophages, amenant ainsi les métiers à évoluer. Si ces machines ont pour but de remplacer l’humain dans certaines tâches physiques, elles ont également besoin d’être pilotées pour fonctionner.
Favoriser le lien entre pairs et avec les consommateurs grâce aux outils numériques
Une autre problématique est le manque de reconnaissance et l’isolement des agriculteurs. Pour cela encore, certaines technologies peuvent venir en aide aux producteurs. « L’usage des forums est par exemple un outil utilisé par les agriculteurs pour communiquer entre professionnels, mais les réseaux sociaux, comme Instagram, Facebook ou encore YouTube peuvent constituer une vitrine efficace pour le secteur », précise Grégori Akermann, sociologue et chargé de recherche de l'unité Innovation et développement dans l'agriculture et l'innovation (UMR Innovation - Montpellier).
les réseaux sociaux, comme Instagram, Facebook ou encore YouTube, constituent une vitrine efficace pour le secteur
Au-delà des aspects purement virtuels qu’offrent ces applications, d’autres solutions numériques existent afin de faciliter les échanges avec les consommateurs, mais en réel. Entre autres, « l’installation de casiers connectés permet aux consommateurs de retirer les commandes directement sur les lieux de productions, indique le sociologue. " En plus de participer à un circuit court plus avantageux pour les deux parties, la mise à disposition de ces armoires permet là-encore aux agriculteurs de libérer de leur temps, car ils n’ont plus à être systématiquement présents pour assurer la vente des produits » reprend Grégori. Sur le terrain, l’initiative de sciences partitipatives Tatabox (transition agroécologique des territoires agricoles) reflète elle aussi l’envie de réconcilier le monde agricole avec les consommateurs. Le projet ouvre l’inscription à des ateliers locaux qui abordent collectivement les évolutions sociales, technologiques et environnementales nécessaires pour l’agriculture, invitant à réduire le fossé et les mondes de l’agriculture et des consommateurs.
Toutes ces initiatives en faveur de la transition agricole font appel à une technologie plus ou moins poussée. Si les exploitants sont en mesure d’apporter des modifications mécaniques à leurs machines afin de les utiliser de la meilleure des manières, l’arrivée de solutions digitales peut en revanche être un frein à la démocratisation de ces outils d’accompagnement. Outre le lourd coût d’investissement, des formations à destination des professionnels sont nécessaires afin de leur permettre de régler les technologies pour faire face aux spécificités de leur exploitation. Des formations voient d’ailleurs le jour pour intégrer ces aspects dès les premiers pas dans le métier, révélant tout l’enjeu et l’importance de ces technologies pour l’avenir de l’agriculture
Créées en 2017, l’Institut Convergences en Agriculture Numérique (DigitAG) et l’association RobAgri se donnent pour objectifs de mutualiser les connaissances en matière d’agriculture numérique, dans les secteurs de la recherche et de l’industrie. La chaire d’entreprises AgroTIC a pour but de « renforcer le lien entre la formation, la recherche et les entreprises impliquées dans l’agriculture numérique ». En association avec DigitAG, la chaire porte également l’observatoire des usages de l’agriculture numérique, qui permet l’ « identification des freins à l’adoption et l’étude des leviers existants ». Dans chaque filière. Des masters et mastères spécialisés sont en effet accessibles pour former les futurs professionnels dans un contexte de transition numérique dont l’agriculture devra s’emparer. L’association RobAgri, quant à elle, regroupe des entreprises de la robotique, des industriels, des laboratoires de recherche et d’enseignement, et des représentants des utilisateurs finaux, dans le but d’innover rapidement et « et répondre aux besoins des utilisateurs, à la fois au niveau national et international ».