Légumineuses, stars des labos
Afin de faciliter la transition vers des régimes Sains et durables, les chercheurs et les chercheuses expérimentent de nouveaux aliments, plus attractifs, à base de végétaux. Pour cela, les légumineuses s’invitent dans l’élaboration de nouvelles recettes de produits. Le point sur les aliments de demain.
Publié le 06 janvier 2023
Atténuation du changement climatique, réduction du besoin en engrais de synthèse, maintien de la qualité de l’eau et des sols… Les légumineuses, en plus de contribuer à des systèmes alimentaires sains, semblent pouvoir répondre aux nouvelles exigences de la société, en particulier face aux enjeux environnementaux. Dans le cadre de recherches sur l’alimentation humaine, les scientifiques s’intéressent plus particulièrement aux légumineuses à graines, dont le soja, et aux pois, lentilles… Après avoir été longtemps boudées car souffrant d’une mauvaise image – difficiles à digérer, longues à cuisiner… –, ces légumineuses reviennent sur le devant de la scène. Sources de protéines, de vitamines, de fibres et de minéraux, elles ont un faible indice glycémique, limitent le risque de maladies cardiovasculaires et favorisent la sensation de satiété. Consommées avec des céréales, elles apportent tous les acides aminés dont nous avons besoin et constituent un apport en protéines permettant de réduire notre consommation de viande et notre dépendance au soja importé…
Un bémol cependant : depuis les années 1990, la production et les surfaces françaises en légumineuses se sont effondrées. Le manque de débouchés couplé aux problèmes de production et de transformation des légumineuses fait que la filière a du mal à se structurer. En l’absence d’aides publiques, ces productions ont été, jusqu’ici, considérées comme peu intéressantes économiquement.
Afin d’aider la filière, fin 2020, le gouvernement a mis en place un nouveau plan « Protéines végétales » doté de 100 M€, avec entre autres objectifs celui d’augmenter de 40 % la surface de production de légumineuses en trois années et soutenir la recherche et le développement de ce secteur. Très impliqués dans ce domaine, les scientifiques d’INRAE travaillent à faciliter le retour des légumineuses dans l’assiette des consommateurs, en les intégrant notamment dans les recettes de produits consommés couramment par la population.
Dans ce dossier, nous faisons le point sur les protéines d’origine végétale : où les trouve-t-on ? Sous quelle forme les mangeons-nous ? Comment les cultivons nous ? …et comment faire pour qu’elles prennent une plus grande part dans nos assiettes ?
Pour les produits laitiers
« Mélanger protéines du lait et protéines végétales permet d’engager la transition alimentaire. »
Stéphan Marette, économiste INRAE
INRAE développe de nouveaux procédés de fabrication d’aliments comme, par exemple, les produits laitiers. Stéphan Marette, économiste INRAE dans l’unité Économie publique (ÉCO-PUB) de Paris–Grignon, travaille sur les moyens d’allier et d’équilibrer la part végétale et la part animale de notre alimentation : « Même si nous pouvons noter une augmentation des régimes végétariens ou végétaliens, pour le moment, 95 % des consommateurs préfèrent des produits issus des animaux… Mélanger le lait de vache et les protéines végétales permet d’engager la transition alimentaire tout en limitant les changements des habitudes alimentaires, et en conservant l’aspect hédonique lié à la consommation de lait », précise-t-il.
C’est ainsi qu’un produit « lacté végétarien » est né sur la paillasse des chercheurs et fait l’objet de plusieurs brevets de compositions différentes allant jusqu’à 50 % de lait et 50 % de farine de pois, le niveau maximal pour contenir encore assez de ferments lactiques et pour que le goût ne soit pas trop modifié pour le consommateur. « Pour le moment, lors de nos études, les produits les plus appréciés sont ceux qui contiennent 25 % de pois et 75 % de lait. » Stéphan Marette souligne le fait que la filière est encore à créer, en même temps que l’augmentation de la production au champ.
Un procédé de fermentation de protéines de pois permet d'améliorer les qualités sensorielles liés à l’utilisation de protéines végétales dans des préparations laitières. Grâce à des cocktails microbiens judicieusement sélectionnés, des aliments végétaux de types « yaourt » et « fromage » ont été formulés.
Pour le moelleux des cakes
De son côté, l’unité mixte de recherche SayFood travaille à l’obtention d’un gâteau moelleux à base de farines de légumineuses et de céréales. En effet, cette association conduit à un profil protéique plus équilibré en acides aminés essentiels que dans les cakes fabriqués exclusivement avec de la farine de blé. Le projet FlexiProcess a permis de développer un gâteau moelleux contenant de la farine de pois.
Camille Michon, anciennement directrice de l’unité (aujourd’hui directrice des Ressources humaines d’INRAE) explique que ce produit a été choisi car « il s’agit d’un produit de grande consommation, qui peut impacter l’ensemble de la filière si l’intégration de la légumineuse dans la recette est acceptée par les consommateurs ». Comment trouver le bon mélange des farines de blé et de pois pour assurer le moelleux des gâteaux et la structure alvéolaire de la mie ? Un modèle multicritère et multicontrainte tenant compte, entre autres, de la proportion de farine de pois dans le cake, de la granulométrie des farines de blé et de pois ou encore de la vitesse et la durée de mélange de la phase grasse, ainsi que de la température de cuisson, a été conçu. L’idée ? Montrer qu’il est possible de se doter d’outils d’aide à la conduite de procédés permettant une plus grande maîtrise de la qualité des produits finis, en corrigeant les effets d’une matière première pas complètement standardisée.
Pour l’alimentation des séniors
Là encore, les légumineuses se présentent comme une solution pour prévenir les potentiels problèmes de dénutrition des personnes âgées. Afin de diversifier l’offre alimentaire adaptée aux plus de 65 ans, il faut comprendre l’impact des changements d’état buccodentaire. Le projet AlimaSSenS a pour objectif, entre autres, de comprendre les mécanismes de déstructuration et de formation du bol alimentaire chez les séniors. La plupart du temps, leur physiologie orale est altérée, et leurs besoins protéiques sont accrus.
Pour répondre à ces besoins, des chercheurs INRAE ont pris des exemples d’aliments céréaliers alvéolaires : la brioche et la génoise, dont la recette a été enrichie en protéines de légumineuses. Il s’est avéré, après étude par imagerie et rhéologie (l’étude de la déformation et de l’écoulement de la matière sous l’effet d’une contrainte), que ces dernières n’ont qu’un faible impact sur la déstructuration et la perception du confort en bouche. Ces résultats permettront la conception d’aliments céréaliers enrichis en protéines issues de légumineuses.
Qu’ils soient issus de céréales ou d’autres grandes cultures, de nombreux produits alimentaires ou non, voire intermédiaires (grains…), à base d’amidon, se présentent sous forme de solides alvéolaires et composites (pains, biscuits, céréales pour petit-déjeuner, films et objets biodégradables…). La conception de leurs propriétés d’utilisation requiert la maîtrise de leur élaboration et de leur conservation.
Pour une nouvelle recette de pâtes
Grâce à leurs qualités gustatives, leur facilité de préparation et leur prix raisonnable, les pâtes font partie des aliments largement appréciés par toutes les catégories de consommateurs. Traditionnellement fabriquées à partir de semoule de blé dur en France, elles présentent une structure spécifique constituée d’un réseau protéique enserrant des granules d’amidon qui est à l’origine de leur faible indice glycémique et de leurs qualités organoleptiques. Toutefois, elles sont pauvres en certains acides aminés, pourtant indispensables à notre santé comme la lysine, et leur consommation peut entraîner, chez les personnes intolérantes au gluten, des désordres métaboliques… Afin de compléter l’offre sans gluten, INRAE met au point des pâtes composées d’un mélange de semoule de blé et de légumineuses, apportant ainsi les acides aminés essentiels, et que l’on pourra retrouver prochainement sur les étalages des grandes surfaces et des magasins spécialisés. Leurs qualités culinaires, sensorielles et nutritionnelles sont comparables à celles de pâtes constituées à 100 % de blé, ou des pâtes aux céréales sans gluten. Et de plus, le procédé conserve les étapes classiques de fabrication des pâtes, ne nécessitant pas d’équipement supplémentaire !
Un procédé de fabrication permettant d’obtenir des pâtes composées d’un mélange de semoule de blé et de légumineuses, a été breveté. Ces pâtes possèdent une haute valeur nutritionnelle du fait de la teneur et de la complémentarité des acides aminés qu’elles renferment. Elles sont également rapidement digérées et pauvres en matière grasse, ce qui en fait des aliments particulièrement adaptés aux besoins des personnes âgées.
Véritable vivier d’innovations, les légumineuses répondent à des besoins nutritionnels et environnementaux : ainsi, la recherche s’active pour créer une nouvelle offre alimentaire et promouvoir ces protéines végétales. Mais l’offre ne suffit pas : l’action publique devra soutenir celle-ci et aider à structurer la filière pour en faciliter l’adoption par les consommateurs.
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Élodie Regnier / Anaïs Bozino
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Direction de la communication