Dossier revue
Alimentation, santé globale

Comment nourrir la planète en 2050 ?

Sous-nutrition, suralimentation, enjeux écologiques… Comment relever le défi de nourrir 9,7 milliards de personnes en 2050 ? Un défi collectif aux solutions régionales, avec un consensus autour de la nécessité de penser de façon intégrée. Enjeux.

Publié le 09 janvier 2023

2 milliards de personnes ont une alimentation déséquilibrée

Le 13 juillet 2020, l’ONU alertait dans son rapport annuel SOFI1 « le nombre de personnes souffrant de la faim dans le monde a repris sa progression depuis 2014 », voyant ainsi la réalisation du deuxième Objectif du développement durable (ODD), « Faim zéro », s’éloigner. En 2021, le même rapport soulignait l’aggravation de la tendance par la pandémie de Covid-192 qui portait le nombre de personnes souffrant de la faim dans le monde (insuffisance énergétique modérée ou sévère) de 650 millions en 2019 à 768 millions en 2020. Outre ces populations confrontées à des problèmes de sous-nutrition, on dénombre également aujourd’hui 2 milliards de personnes à l’alimentation déséquilibrée, caractérisée par une consommation excessive de calories et de certains nutriments (sel, sucre, matières grasses…). Or cette consommation favorise surpoids et obésité, et accroît les risques de diverses maladies métaboliques (hypertension, diabète, certains cancers…). 

Si ces chiffres peuvent faire peur, alors que les prévisions démographiques annoncent 9,7 milliards d’habitants sur la planète en 2050, la recherche se mobilise depuis de nombreuses années pour développer les connaissances face à un défi qui dépasse largement la question des quantités à produire, pour interroger, aux côtés des stratégies géopolitiques, les systèmes agricoles et alimentaires dans leur ensemble. Un défi pour lequel les solutions doivent se construire dans la durée et en mobilisant de nombreux leviers d’action.

1. Rapport SOFI réalisé chaque année par l’ONU et ses agences (FAO, OMS, PAM, Unicef, IFAD) - The State of Food Security and Nutrition in the World – 2020.
2. Le rapport SOFI estime entre 80 à 130 millions le nombre de per­son­nes supplémentaires souffrant de la faim en 2020 en raison de la crise de la Covid-19.

Les trois piliers

Afin d’identifier les voies à explorer, les chercheurs mènent des études prospectives à partir des données et tendances actuelles. Après avoir envisagé, au début des années 2000, la question de la sécurité alimentaire exclusivement sous l’angle de la production, prônant une augmentation de la productivité sans tenir compte de son impact sur l’environnement, ni de la qualité et la diversité de l’alimentation, les études ont rapidement intégré la question des pertes et gaspillages, ainsi que celle des nécessaires évolutions à mettre en œuvre au niveau des consommations alimentaires. Progressivement, la combinaison de l’agroécologie, de la réduction des pertes et gaspillages et de l’adoption de régimes alimentaires plus équilibrés, associant plus de produits d’origine végétale et moins de produits carnés (au moins dans les pays développés), s’est imposée comme une piste pour résoudre l’équation alimentaire sans entraîner une croissance dommageable des surfaces de terre utilisées.

L’approche intégrée et systémique Agrimonde-Terra pour 2050

Infographie :Un scénario pour nourrir la planète en 2050 d'après Agrimonde-Terra

L’imbrication des questions montre la nécessité de penser de façon intégrée la transition des systèmes alimentaires, en englobant le rôle de l’usage des terres et en associant les questions environnementales et de santé. C’est dans ce sens que le Cirad et INRAE ont présenté en 2016 les résultats d’un travail collectif sur « l’usage des terres et la sécurité alimentaire en 2050 ». La prospective Agrimonde-Terra visait à identifier les leviers susceptibles d’améliorer la sécurité alimentaire et la nutrition à l’échelle de la planète à l’horizon 2050. Elle s’inscrit dans la priorité de recherche sur la sécurité alimentaire mondiale explorée par le programme interdisciplinaire de recherche INRAE-Cirad « Glofoods ». Grâce à une approche à la fois quantitative et qualitative, à partir des données et tendances actuelles et en combinant les évolutions possibles d’une grande diversité de facteurs (le changement climatique, les régimes alimentaires, les relations urbain-rural, les structures agricoles, les systèmes de production végétale et animale, les politiques publiques), les résultats ont dégagé cinq scénarios possibles. 
Pour les construire, la prospective Agrimonde-Terra a tout d’abord analysé la dynamique de long terme de la sécurité alimentaire, en mettant l’accent sur l’usage des terres : accès et potentiel agronomique, intensité et répartition entre les différents usages, services rendus par les terres. Ensuite, des hypothèses quantitatives ont été formulées, qui prennent en compte l’évolution du contexte global dans ses dimensions techniques, économiques et sociales. Ces dimensions incluent le changement climatique et son atténuation, les transitions démographiques et l’urbanisation, le commerce international, l’évolution des régimes alimentaires, le progrès technique en agriculture et élevage. Pour étudier ces hypothèses, des simulations ont été effectuées en intégrant des éléments du contexte global, en particulier les projections climatiques du Groupement d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC).

Les différents scénarios

Cinq scénarios ont été ainsi proposés : trois basés sur des tendances concurrentes observées dans la plupart des régions du monde (« Métropolisation », « Régionalisation » et « Ménages ») et deux correspondant à des ruptures qui pourraient bouleverser la relation entre l’usage des terres et la sécurité alimentaire (« Régimes sains » et « Communautés »). La prospective Agrimonde-Terra conclut que la plupart des scénarios ne seront pas en mesure d’assurer la sécurité alimentaire au niveau mondial de façon durable en 2050, en raison d’une augmentation de la déforestation à des fins agricoles, certains scénarios ayant par ailleurs des résultats ambivalents. 

  • La « Métropolisation » contribuerait le plus à l’augmentation de la prévalence du surpoids et de l’obésité.
  • Le scénario « Communautés », basé sur le développement de petites communautés et sur la gestion des biens agricoles communs, impliquerait quant à lui une réduction de la disponibilité alimentaire au niveau mondial et régional.
  • À l’opposé, la « Régionalisation » associée à la mise en réseau de villes de taille moyenne et des zones rurales et à l’émergence de systèmes alimentaires régionaux fondés sur une agriculture familiale et des régimes alimentaires traditionnels, conduirait à des résultats ambigus en termes de sécurité alimentaire au niveau mondial.
  • Enfin, le scénario « Ménages » dans lequel les exploitations familiales et les coopératives seraient des acteurs majeurs de l’usage des terres, permettrait une diminution de la sous-nutrition mais avec des effets ambivalents sur la surnutrition.

Les perspectives positives du scénario « Régimes sains »

Le scénario basé sur des « régimes sains » permettrait le mieux de réduire la prévalence de la sur- et de la sous-nutrition ainsi que les maladies chroniques associées.

Le scénario « Régimes sains » permettrait le mieux de réduire la prévalence de la sur- et de la sous-nutrition ainsi que les maladies chroniques associées. Il propose des régimes alimentaires associant une diversité de produits : poissons, viandes, lait, céréales, fruits, légumes et légumineuses dont on aurait préservé les micronutriments et les fibres. Il sous-entend une reconfiguration des systèmes agricoles et alimentaires réalisée grâce à de nouvelles alliances entre les parties prenantes, associant les ruraux. La chaîne alimentaire y gagne en efficacité et réduit les pertes et gaspillages. Dans ce scénario, certaines régions resteraient encore en situation difficile, comme l’Inde et l’Afrique subsaharienne, en raison de leur démographie forte et de rendements agricoles faibles, avec des risques persistants de déforestation. Cependant, avec une gouvernance mondiale favorable, cette voie permettrait de disposer d’une alimentation compatible avec la santé des populations, et des pratiques agricoles et un usage des terres respectueux de l’environnement. L’enjeu sera alors de prévenir les crises alimentaires, l’accaparement des sols, les déforestations et l’atténuation des effets du changement climatique, grâce à une action internationale concertée sur la sécurité alimentaire et l’usage des sols. 

Une approche systémique pour assurer la durabilité

dessin de régime sain avec la planète Terre

Dans tous les cas, le commerce international jouera un rôle-clé pour assurer la sécurité alimentaire au niveau mondial en 2050, et certaines régions, en particulier l’Afrique du Nord, le Proche et le Moyen-Orient, resteront a priori fortement dépendantes des importations alimentaires. L’augmentation du volume de la nourriture produite et de sa diversité pour aller vers une alimentation plus saine en 2050, tout en limitant la déforestation, nécessitera une forte diversification des systèmes de culture et d’élevage. 
Enfin, la prospective Agrimonde-Terra confirme l’importance d’une vision systémique des transitions nécessaires pour assurer la sécurité alimentaire et nutritionnelle des populations, jouant sur les leviers des disponibilités agricoles, des régimes alimentaires et de l’optimisation des systèmes agricoles et alimentaires pour réduire les pertes et gaspillages.
Tout en assurant la sécurité alimentaire des populations, la transition des systèmes alimentaires représente un levier puissant pour favoriser la santé humaine et soutenir la durabilité environnementale, économique et sociale. Pour réussir cette transition, les transformations doivent se faire de façon profonde dans les toutes prochaines années, grâce à des actions immédiates et à la mise en œuvre de solutions progressives et de trajectoires adaptatives. 

Un défi pour tous

Si trois axes fédèrent à présent les recherches des communautés scientifiques sur la sécurité alimentaire – le changement des modes de production basé sur la transition agroécologique, la réduction des pertes et gaspillages, et l’évolution des modes de consommation alimentaire –, le défi est complexe, avec de nombreuses questions qui se chevauchent et recoupent les secteurs, les territoires et les acteurs. Les autres articles de ce dossier Vers une alimentation saine et durable donnent une idée des actions susceptibles de faire évoluer les comportements alimentaires occidentaux. D’autres travaux plus axés sur les leviers des modes de production agricoles et de la réduction des pertes et gaspillages sont développés en France et dans le monde.

Les politiques doivent encourager la diversification des systèmes agricoles et le développement de l’agroécologie pour limiter les impacts environnementaux.

Les politiques publiques peuvent jouer un rôle central en favorisant l’adoption, par les consommateurs, de régimes alimentaires réduisant, lorsqu’elle est excessive pour la santé, la consommation des produits animaux au profit des céréales, légumineuses, fruits et légumes, en agissant sur l’accès et le coût de l’alimentation, et en lançant des politiques d’éducation et de sensibilisation. Elles doivent encourager la diversification des systèmes agricoles et le développement de pratiques agro-écologiques utiles pour limiter l’impact environnemental de l’agriculture et de l’élevage. Elles doivent enfin réguler l’accès au foncier agricole au niveau national ainsi que le fonctionnement du commerce international visant à garantir un accès stable à une alimentation saine pour tous. Les industriels sont appelés à développer des modèles économiques autour d’une offre intégrant de nouveaux produits plus sains et accessibles. Chacun doit s’engager dans la réduction des pertes et gaspillages dans les systèmes alimentaires.
Il n’y a pas une voie unique tracée mais une transformation systémique à réaliser avec des actions dans chaque pays, chaque région, cohérentes entre elles et responsables face aux défis mondiaux. Pour étudier et concevoir ces transformations et contribuer à l’accélération des transitions, INRAE développe ses recherches avec une vision intégrative et interdisciplinaire, et collabore avec les acteurs publics et privés pour faciliter le transfert de connaissances pour des innovations et des politiques publiques susceptibles de construire des systèmes alimentaires durables, propres à chaque région, bénéfiques aux Humains et à la Terre.

La transformation de nos systèmes alimentaires nécessite une étroite coordination entre les stratégies des acteurs et entre les pays. La recherche est là pour les accompagner et favoriser cette coordination. 

Terres agricoles : quelles projections à l’horizon 2050 ?

Conduite par INRAE (Direction à l’expertise scientifique collective, à la prospective et aux études), l’étude « Agricultures européennes en 2050 » propose des projections à l’horizon 2050 des différentes composantes du système agricole et alimentaire du monde, en le découpant en 21 régions, dont 8 en Europe.

Les besoins en surfaces cultivées

Champs cultivés

En cas de maintien des régimes alimentaires actuels dans les régions développées et de poursuite de la transition nutritionnelle dans les régions émergentes ou en développement, le besoin en surfaces cultivées dans le monde varierait de + 223 à - 11 millions d’hectares, en plus des 1,5 milliard d’hectares cultivés en 2010. Il serait considérable en Afrique subsaharienne et en Inde. Une hypothèse de rupture allant vers des régimes alimentaires « sains » (au sens de l’OMS) détendrait quelque peu la pression sur ces surfaces mais pas autant  que ce que l’on pourrait attendre : le besoin évoluerait à l’échelle mondiale de + 194 à - 51 millions d’hectares par rapport à 2010. 
En Europe, comme dans les autres régions développées, un tel changement entraînerait une réduction des apports caloriques totaux et de la consommation en produits animaux, permettant une baisse des surfaces cultivées allant de - 14 à - 30 millions d’hectares. 

Les surplus potentiels en Europe

Le « surplus de terre » qui pourrait apparaître dans plusieurs régions d’Europe, notamment centrale et orientale, serait trop faible pour que son utilisation agricole contribue à la sécurité alimentaire d’autres régions du monde.
Il pourrait toutefois constituer une opportunité pour réduire notre dépendance aux importations de soja par le développement de cultures oléoprotéagineuses, ou pour évoluer vers des systèmes de cultures moins consommateurs en intrants mais mobilisant davantage de surfaces. Selon les hypothèses de rendements et de régimes alimentaires retenues, de 4 à 44 millions de tonnes de tourteaux de soja pourraient ainsi être produits sur ces « surplus de terre », permettant, dans l’option la plus favorable, d’éviter totalement les importations, tout en laissant encore « disponibles » 9 millions d’hectares pour d’autres usages ou pour des allègements de rendements.

Les résultats de cette étude réalisée pour l’association Pluriagri 1, et notamment les incertitudes que celle-ci intègre ou pointe, sont à disposition des acteurs, pour penser la (ré)orientation de leurs politiques, y compris dans le cadre du Green Deal européen qui vise une transition vers une agriculture plus durable.

Méthodologie

L’étude tient compte de la combinaison des effets sur les rendements agricoles, du changement climatique (selon la trajectoire RCP-6.0 du GIEC) et des évolutions techniques (en s’appuyant notamment sur les projections de la FAO de 2012 et 2018). Elle intègre également les changements possibles des régimes alimentaires d’une population mondiale en forte croissance d’ici 2050. Les simulations proposées s’appuient sur des jeux d’hypothèses contrastées visant à intégrer les incertitudes qui pèsent sur le devenir de ces variables et déterminent, sur ces bases, les surfaces mises en culture à l’horizon 2050 dans chaque région du monde, les niveaux de production et le recours ou la contribution de chaque région aux échanges internationaux.

1. Association formée par les acteurs des filières des grandes cultures : Avril, Confédération générale des planteurs de betterave, Unigrains et le Crédit Agricole SA.