Société et territoires 4 min

Quelle place pour les agricultures européennes dans les échanges mondiaux à horizon 2050 ?

L’étude « Agricultures européennes en 2050 » conduite par INRAE à la demande de l’association Pluriagri* s’inscrit dans la lignée des travaux prospectifs sur l’évolution de la sécurité alimentaire mondiale conduits par l’Inra et le Cirad, par la FAO (Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture), ou encore l’IFPRI (International Food Policy Research Institute) et l’IIASA (International Institute for Applied Systems Analysis). Ses enseignements, qui tiennent compte des impacts du changement climatique sur la production agricole, pourront éclairer les politiques publiques européennes et internationales.

Publié le 14 février 2020

illustration Quelle place pour les agricultures européennes dans les échanges mondiaux à horizon 2050 ?
© INRAE

Dans quelle mesure les agricultures européennes pourraient-elles contribuer à la sécurité alimentaire mondiale à l’horizon 2050 ? Disposent-elles des marges de manœuvre pour préserver les milieux naturels menacés par l’extension des surfaces cultivées ? Est-il possible de concilier ces différents objectifs ? Ces questions sont capitales pour la gouvernance de nos sociétés en Europe et à l’international. L’étude INRAE, dont les résultats sont restitués et discutés le 14 février 2020, livre des estimations réalisées avec un niveau de finesse inédit en distinguant 21 régions du monde dont 8 en Europe afin de rendre compte de l’hétérogénéité des agricultures de ce continent, habituellement considéré comme une seule région dans la littérature prospective mondiale.

Changement climatique et évolutions techniques agricoles : les deux moteurs de l’évolution des rendements végétaux

Un ensemble de simulations a été réalisé avec le modèle GlobAgri-AE2050, développé par l’Inra et le Cirad et amélioré à l’occasion de cette étude. Ces simulations évaluent les capacités de production, les besoins en surfaces cultivées et en prairies, les importations et les exportations en 2050 de chacune des 21 régions du monde considérées. Elles prennent en compte l’impact du changement climatique sur la production agricole et la disponibilité en surfaces cultivables. Les évolutions des techniques agricoles, qui englobent les usages d’intrants, le progrès génétique, les innovations technologiques, etc., et leurs effets sur l’évolution des rendements sont également prises en compte.

L’augmentation de la concentration atmosphérique en CO2 associée au changement climatique est favorable à la photosynthèse, et donc aux rendements végétaux, à condition que les besoins des plantes en eau et en azote soient satisfaits. Cet effet dit « CO2 » pourrait alors compenser les effets délétères de l’augmentation de la température moyenne et, de la diminution des précipitations affectant certaines régions. Il conduirait ainsi à des augmentations de rendements moyens comprises entre +1 et +8 % selon les régions. Si, au contraire, cet effet « CO2 » ne peut s’exprimer au champ, le changement climatique pourrait avoir un effet dépressif sur les rendements. À l’horizon 2050, l’effet positif des évolutions techniques reste cependant majeur. Ces dernières pourraient permettre d’améliorer les rendements d’au moins +20 à +40 % selon les régions dans l’hypothèse d’évolutions techniques modérées, et jusqu’à 80-90 % en Afrique subsaharienne dans l’hypothèse d’évolutions techniques plus soutenues. Pour traduire ces incertitudes quant à l’expression de l’effet « CO2 » et à la dynamique des évolutions techniques, deux hypothèses d’évolution des rendements végétaux ont été retenues pour simuler les scénarios, matérialisant ainsi la gamme des évolutions possibles à l’horizon 2050.

Démographie et régimes alimentaires, moteurs de la demande

La demande en produits agricoles pour l’alimentation humaine résulte de la nature des régimes alimentaires et de la dynamique démographique. Les simulations ont été réalisées avec deux hypothèses contrastées. La première envisage des régimes dits « tendanciels ». Elle prolonge les tendances passées, avec un maintien des régimes actuels dans les pays développés, et une poursuite de la transition nutritionnelle dans les pays en développement. Les besoins caloriques quotidiens ne seraient alors pas satisfaits partout dans le monde, l’Afrique subsaharienne restant notamment bien en deçà des recommandations nutritionnelles en 2050 selon cette hypothèse. La deuxième - régime dit « sain » - projette une évolution des consommations vers des régimes plus proches des recommandations nutritionnelles. Dans cette option, les régimes adoptés dans les différentes régions du monde tendent à converger. Seule cette option permettrait à l’Afrique subsaharienne d’accomplir son nécessaire rattrapage nutritionnel.

In fine, la démographie reste le déterminant majoritaire de la demande alimentaire. En Europe, où la population tendra à décliner, la demande alimentaire stagnerait avec des régimes tendanciels ou régresserait avec des régimes « sains ». Au contraire, la demande exploserait en Afrique quel que soit le régime considéré, ce qui accroitrait les besoins en terres cultivées voire la dépendance aux importations, particulièrement lorsque la disponibilité en surfaces est limitante, comme en Afrique du Nord et au Moyen-Orient.

Quelques chiffres
Besoin en surfaces cultivées par régions du monde à horizon 2050

Dans l’hypothèse d’une évolution tendancielle des régimes alimentaires, le besoin total en surfaces cultivées dans le monde pourrait varier de +223 à -11 millions d’hectares, par rapport aux 1 540 millions d’hectares cultivés en 2010, selon que les rendements augmentent modérément ou plus fortement d’ici 2050. Le besoin en terres cultivables serait considérable en Afrique sub-saharienne et en Inde, où les niveaux de rendement projetés en 2050 sont plus faibles, et où les augmentations de la demande alimentaire seront les plus fortes.

Une transition mondiale vers des régimes alimentaires « sains » entrainerait une réduction des apports caloriques totaux et de la consommation de viande dans les pays développés. Elle pourrait faire diminuer les besoins en terres cultivées dans les régions européennes, et faire apparaître des marges de manœuvre pour le développement de stratégies d’usages agricoles des surfaces ainsi « libérées ».

Comment tirer parti des marges de manœuvre européennes ?

A l’horizon 2050, certaines régions européennes, essentiellement l’Europe de l’Est, la Pologne et l’Allemagne, pourraient donc voir leurs besoins en terres cultivées diminuer par rapport à leur superficie actuelle. Ce « surplus de terres » est toutefois bien inférieur à celui dont pourraient disposer l’ex-URSS et, en cas d’adoption mondiale de régimes plus sains, l’Amérique du Nord. La marge de manœuvre de l’Europe serait trop réduite pour espérer contribuer à minorer l’expansion des surfaces cultivées dans d’autres régions du Monde, notamment en Afrique subsaharienne. En revanche, l’Europe pourrait valoriser les « surplus » ainsi dégagés en développant la culture d’oléoprotéagineux. Ce choix réduirait sa dépendance aux importations de soja d’Amérique latine. L’allègement du marché mondial de tourteaux de soja qui en découlerait pourrait contribuer à limiter l’extension des terres cultivées en Amérique du Sud, et à préserver les écosystèmes forestiers de ce continent. Une autre option s’inscrivant dans la transition agroécologique serait de profiter de ces superficies pour développer des systèmes de culture moins consommateurs d’intrants, caractérisés par des niveaux de rendements plus faibles sans toutefois porter préjudice aux niveaux de production européens. La contribution à ces stratégies serait moins nette pour la France, le Royaume-Uni et le reste de l’Europe (pays nord-européens, Benelux et Irlande), où le besoin en terres cultivées aurait plutôt tendance à augmenter d’ici 2050 selon le scénario considéré. L’Europe du Sud serait vraisemblablement limitée par sa disponibilité en terres cultivables, notamment du fait des effets dépressifs des stress hydriques sur les rendements.

De tels choix doivent être débattus et sous-tendent d’autres questions. Par exemple faut-il rémunérer l’Amérique latine pour les services que rend la forêt amazonienne si nous diminuons nos importations de soja ? Ou encore pourrons-nous produire et exporter vers l’Afrique sans nuire à sa souveraineté alimentaire ? Et à quelles conditions ces scénarios se réaliseraient-ils, en termes d’évolution des pratiques agricoles, des services rendus par les écosystèmes tels que le stockage du carbone par les sols ou bien d’impact sur l’environnement comme la bioidersité  ?

Cette étude fournit des éléments pour mieux anticiper et orienter les politiques publiques. Ces travaux trouveront en outre un prolongement dans le cadre du Pacte vert européen dont l’un des engagements * vise à réduire l’usage des intrants en agriculture. La transition vers une agriculture sans pesticides est, déjà inscrite dans un programme prioritaire de recherche français.

* https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/fs_19_6728

Documents

Communiqué de presse

AE2050_présentation-colloque_VF-pdf (corrigé TKcal 17-04-20) R.pdf pdf - 5.76 MB AE2050_résumé 12p_ VF PDF (corrigé TKcal 14-04-20).pdf pdf - 5.90 MB AE2050_Rapport de Synthèse_VF PDF (corrigée TKcal 17-04-20) R.pdf pdf - 24.62 MB AE2050_Rapport TK_VF PDF (corrigé TKcal 14-04-20) R.pdf pdf - 23.71 MB AE2050_RS_Annexes VF PDF (corrigé 14-04-20).pdf pdf - 7.22 MB AE2050 rapport analyse biblio VF pdf 26-06-20r.pdf pdf - 19.77 MB

Organisation de l'étude

Cette étude a été conduite par INRAE à la demande et grâce au soutien de l'association Pluriagri, en adoptant les principes et la méthode établis par sa Direction de l’expertise scientifique collective, de la prospective et des études (DEPE).

Un collectif d’une vingtaine d’experts et de contributeurs scientifiques de divers instituts et de disciplines complémentaires (climatologie, agronomie, génétique, écophysiologie, pédologie…) a été mobilisé pour réaliser le volet d’analyse de la littérature scientifique internationale de l’étude. En parallèle, un groupe de scénarisation, composé d’opérateurs et de quelques experts scientifiques, a été constitué afin d’épauler l’équipe projet dans l’élaboration des hypothèses d’évolution des différentes variables du système et dans la construction des scénarios.

Note : Pluriagri est une association formée par les acteurs des filières des grandes cultures : Avril, Confédération générale des planteurs de betterave, Unigrains et le Crédit Agricole SA.

 

Prolongement  : une relecture des résultats centrée sur l’Afrique
 

Les résultats de l’étude « Agricultures européennes en 2050 » relatifs aux régions africaines sont apparus suffisamment intéressants et stimulants à la fondation FARM (Fondation pour l’agriculture et la ruralité dans le monde) pour que cette dernière sollicite les coordinateurs de l’étude en vue d’en faire une relecture plus strictement africaine.

La capacité des systèmes alimentaires africains à couvrir les besoins alimentaires des populations de cette région du monde dans les décennies à venir a été analysée, avec une réflexion spécifique  sur la problématique de l’extension des prairies en Afrique subsaharienne et les leviers qu’il serait possible de mobiliser pour la limiter.

Webinaire Enjeux alimentaires et environnementaux en Afrique : comment concilier croissance de la demande et préservation des écosystèmes ? 17 novembre 2021 de 10 h à 12 h

Synthèse de l'étude

En savoir plus

Société et territoires

Afrique du Nord - Moyen-Orient à l'horizon 2050, vers une dépendance accrue aux importations agricoles

Ce « point-chaud » climatique importe aujourd’hui 40 % des denrées nécessaires à son alimentation. Une dépendance alimentaire qui s’accentuerait dans les années à venir si les effets du changement climatique ne sont pas contenus. Les résultats de cette étude, menée par l’Inra (Délégation à l'Expertise scientifique collective, à la Prospective et aux Etudes) pour le compte de Pluriagri*, ont été présentés à Paris le 28 octobre 2015.

13 février 2020

Agroécologie

3 questions à… Christian Huyghe, sur le PPR « Cultiver et protéger autrement »

Le PPR, qu’est-ce que c’est ? Le Programme prioritaire de recherche (PPR) « Cultiver et protéger autrement » a pour objectif de mobiliser les leviers de l’agroécologie, du biocontrôle et de la prophylaxie pour arriver à une agriculture performante et durable. C’est pour répondre à une demande sociétale forte, à des objectifs des politiques publiques et de programmation de la recherche que ce programme a été mis en place à un niveau national pour des systèmes de production mobilisant des modes de protection des cultures autres que les phytosanitaires. Christian Huyghe, directeur scientifique Agriculture d'INRAE, répond à nos questions.

27 février 2019