Société et territoires 4 min
Afrique du Nord - Moyen-Orient à l'horizon 2050, vers une dépendance accrue aux importations agricoles
Ce « point-chaud » climatique importe aujourd’hui 40 % des denrées nécessaires à son alimentation. Une dépendance alimentaire qui s’accentuerait dans les années à venir si les effets du changement climatique ne sont pas contenus. Les résultats de cette étude, menée par l’Inra (Délégation à l'Expertise scientifique collective, à la Prospective et aux Etudes) pour le compte de Pluriagri*, ont été présentés à Paris le 28 octobre 2015.
Publié le 28 octobre 2015
Dans une région complexe au plan géopolitique, les importations agricoles et les politiques alimentaires pèsent dans le budget des états et atteignent leurs limites en matière de lutte contre la pauvreté. Comme le souligne S. Abis (2012)** cette région est le « miroir grossissant des défis alimentaires mondiaux et [… le] baromètre des compétitions auxquelles participent les grands acteurs agricoles de la planète »… L’étude menée par l’Inra a réuni agronomes, économistes et politologues pour analyser les composantes du système alimentaire de cette région et identifier ce qui pouvait accroître ou freiner sa dépendance alimentaire. Les résultats ont été présentés le 28 octobre à Paris.
Une dépendance alimentaire qui s’accroit, multipliée par quatre en 50 ans
En 50 ans, la population de la région Afrique du Nord – Moyen-Orient est multipliée par 3,5 pendant que le régime alimentaire évolue pour s’occidentaliser. Sous ces effets conjugués, la demande en produits agricoles est multipliée par six, celle en produits végétaux est multipliée par huit directement les besoins de l’alimentation animale et par six pour la frange destinée à l’alimentation humaine.
Dans le même temps, avec des différences marquées selon les pays de la région, la production céréalière, majoritaire, quadruple mais reste en deçà de la demande. La région est aujourd’hui l’une des plus dépendantes au monde pour son approvisionnement en céréales. Quant aux productions animales, elles quintuplent en l’espace de 50 ans, avec des mutations : si la production de lait garde son importance, l’élevage extensif de petits ruminants régresse tandis que les élevages intensifs de volailles progressent. La région est aride, peu de terres sont cultivables. Aujourd’hui 34 % des terres sont irriguées, la limite des disponibilités en eau est atteinte.
La dépendance aux importations est ainsi passée de 10 à 40 % en 50 ans avec un recours aux fournisseurs historiques Européens et Nord Américains qui s’élargit à d’autres pays tels que l’Amérique du Sud pour les oléoprotéagineux et les pays de l’ex-URSS pour les céréales. La région est en revanche exportatrice de fruits et légumes.
Juguler le changement climatique, un levier essentiel
Parmi les différentes simulations réalisées dans cette étude, trois d’entre elles agissent comme des leviers pour limiter la dépendance alimentaire de cette région à l’horizon 2050 : le progrès technique qui augmenterait la production locale, le changement de régime alimentaire s’orientant vers la diète méditerranéenne, et la réduction des pertes et gaspillages. Pris isolément, aucun de ces leviers n’a d’effet. Dans le cas où aucune mesure ne serait prise pour limiter le changement climatique, on anticipe une forte croissance de la dépendance alimentaire : le Maghreb serait particulièrement exposé, perdant 50 % de ses terres cultivables. Les effets climatiques accentueraient encore les tensions sur l’utilisation de l’eau et des sols, et celles liées à l’urbanisation et à la main d’œuvre. Tout ceci accélèrerait la dépendance aux importations et pourrait maintenir ou renforcer la pauvreté.
Seule la combinaison des trois leviers – progrès technique, régime alimentaire, pertes et gaspillages - aurait une efficacité, ce qui suppose des politiques publiques fortes en appui. Mais les simulations démontrent que la façon la plus efficace de lutter serait de limiter le changement climatique, ce qui suppose là-encore un engagement politique.
(*) Pluriagri est une association formée par des acteurs des grandes cultures (Avril, Confédération des planteurs de Betteraves, Unigrains) et par le Crédit Agricole SA pour mener des études prospectives sur les marchés ou les politiques publiques.
(**) Abis S., 2012. Pour le futur de la Méditerranée, l'agriculture. Paris : L'Harmattan, 150 p.
Interview de Bertrand Schmitt, Directeur de la DEPE sur France 24 dans le cadre de l'émission "L'Entretien de l'intelligence économique" - Décembre 2015
Cette étude, menée en dix-huit mois, est un focus sur une région et un ensemble de questions parmi celles plus larges qu’étudie la prospective en cours AgriMonde-Terra. Elle a utilisé l’outil commun Inra-Cirad GlobAgri développé pour cette prospective et s’appuyant sur un jeu de données FAO. Ce modèle prend en compte la contrainte de terre. L’étude s’est organisée en deux temps : Une analyse rétrospective des 50 dernières années qui a permis d’analyser la situation présente et de dégager des orientations Des projections avec une analyse de sensibilité à l’horizon 2050 simulées avec le modèle GlobAgri Le groupe de travail comprenait des experts d’origine académiques et des opérateurs français spécialistes de la région. Cette étude s’inscrit également dans le métaprogramme Inra-Cirad Glofoods.
VIENT DE PARAITRE
La dépendance alimentaire de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient à l’horizon 2050
Cet ouvrage est issu d’une étude visant à examiner le devenir agricole et alimentaire de de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient à l’horizon 2050.
Coordination éditoriale, les auteurs :
Chantal Le Mouël, directrice de recherche INRAE, exerce dans l’UMR Structures et marchés agricoles, ressources et territoires – Laboratoire d’études et de recherche en économie (INRAE, AgroCampusOuest). Ses travaux portent sur le commerce international agricole, le changement d’usage des terres et la sécurité alimentaire.
Bertrand Schmitt est directeur de recherche INRAE en économie. Ses recherches ont notamment porté sur les déterminants du développement des territoires ruraux et périurbains
Editions Quae - Matière à débattre et décider, 144 pages, 20 avril 2017 – 24 euros.