Agroécologie Temps de lecture 5 min
Des expérimentations sans travail du sol à INRAE
Plusieurs systèmes de culture sans travail du sol sont testés par INRAE dans des conditions pédoclimatiques différentes. Evalués sur le long terme, ces systèmes mettent en évidence la difficulté de combiner absence de travail du sol et suppression de l’usage d’herbicides. Dans le contexte de l’interdiction probable du glyphosate, INRAE consacre un domaine expérimental entier à cette problématique dans la région de Dijon.
Publié le 08 mars 2020

Essais SIC de Grignon : se passer à la fois d’herbicides et de travail du sol, un enjeu difficile
Deux systèmes en absence de travail du sol sont étudiés à Grignon (78) depuis 2008 (1). Ces deux systèmes ont été conçus par modélisation et expertise pour remplir une contrainte principale : réduction de 50% de la consommation d’énergie fossile pour l’un (système EN), réduction de 50% des émissions de gaz à effet de serre pour l’autre (système GES). Dans les deux cas, il s’agit aussi d’optimiser les rendements et d’autres critères environnementaux, par exemple réduire les pollutions liées aux pesticides. Les deux systèmes sont comparés à un système de référence à haute performance environnementale.

Après deux cycles de rotation (2009-2014 (2) et 2015-2020), Caroline Colnenne-David, qui a conduit l’expérimentation initiée par Thierry Doré, livre son expérience : « l’arrêt du travail du sol a été un pilier stratégique lors de la conception de ces deux systèmes. Cependant, dans nos conditions pédoclimatiques, la pratique du « non travail du sol » a généré deux grands problèmes : la maîtrise des populations d’adventices et de limaces, et la difficulté de réussir les implantations de crucifères et des espèces semées au printemps.
Dans le système EN, nous avons opté, dans la seconde rotation (2015-2020), pour des cultures d’hiver, ce qui évite les attaques de limaces au cours du printemps, mais diminue la diversification dans la rotation. Nous avons aussi été amenés à utiliser une plus grande quantité d’herbicides que dans le système de référence, dont systématiquement du glyphosate. Moyennant quoi, au cours du premier cycle de rotation, nous avons obtenu une diminution significative de l’énergie consommée (autour de -30%), associée toutefois à une réduction de 26% de la production par rapport au système de référence qui est déjà un système très « multi-performant.
Dans le système GES, nous nous sommes heurtés aux mêmes problèmes d’adventices et de limaces que dans le système EN. Dans la seconde rotation, en 2015, nous avons réintroduit un travail superficiel du sol (TCS), et joué sur la diminution de la fertilisation azotée comme levier pour atteindre l’objectif de réduction d’émissions de GES. Ce système, en cours d’évaluation, fonctionne bien depuis six ans. Le travail du sol superficiel permet de maîtriser les adventices et les populations de limaces et améliore grandement la croissance des espèces de printemps au cours des premiers stades de développement. Cela nous a permis d’arrêter l’usage des molluscicides et de réduire fortement celui des herbicides. De plus, le niveau de production est voisin de celui du système de référence ».
Essais PIC-adventices de Dijon : le système en semis direct reste dépendant du glyphosate
Les essais PIC (protection intégrée des cultures), initiés en 2000 dans la région de Dijon par Nicolas Munier-Jolain, visent à diminuer l’utilisation d’herbicides en utilisant les principes de la protection intégrée (voir encadré 1). Pour l’un des systèmes (TCS-SD), l’évolution a été inverse de celle de l’essai GES de Grignon, c’est-à-dire que l’on est passé d’un système en TCS (2000-2007) à un système en semis direct sans aucun travail du sol (2010-2017), avec une phase de transition de 3 ans où le recours au travail du sol était très ponctuel (2007-2010).

« En TCS nous n’utilisions quasiment pas de glyphosate. Ce passage au semis direct s’est traduit par une augmentation de l’usage de glyphosate jusqu’à 5,6 litres par hectare en moyenne (calculé sur une base de 360 g/ha de glyphosate), réduit par la suite à 2,6 litres par hectare après 7 ans de semis direct », rapporte Stéphane Cordeau, qui analyse les essais. « Moyennant quoi, les adventices sont bien contenues et la production est maintenue par rapport au système de référence (3). Cependant, nous avons vu apparaître depuis l’arrêt du travail du sol une flore adventice particulière, enrichie en astéracées (pissenlit, laiteron), graminées (ray-grass, panic), et en vivaces (liseron). Les charges de mécanisation sont réduites en semis direct mais l’achat des semences augmente pour les couverts d’interculture, qui doivent être semés denses. Au total, dans le système en semis direct, la marge semi-nette est réduite de 45% par rapport au système de référence, sans que les adventices n’aient généré de perte de rendement. Et ce système reste dépendant de l’emploi du glyphosate (4) ».
Peut-on réintroduire un peu de travail du sol en ACS ?
Comme le montrent les différents essais réalisés à INRAE, se passer à la fois de travail du sol et d’herbicides est extrêmement difficile et considéré à ce jour comme une impasse technique (5), puisque ce sont les deux leviers majeurs pour lutter contre les adventices et pour détruire les intercultures avant semis. Dès lors, dans la perspective de la suppression du glyphosate, serait-il concevable de réintroduire un peu de travail du sol dans les systèmes en agriculture de conservation (ACS) ?
Pour Stéphane Cordeau, introduire du travail du sol est antinomique à l’ACS, si on s’en tient à la définition de la FAO, qui associe trois piliers dont l’absence de travail du sol (6). Les systèmes ACS qui respectent ces trois piliers de manière permanente, c’est-à-dire en semis direct permanent sous-couverts, conduisent à des agroécosystèmes très différents des systèmes qui incluent un travail du sol, même ponctuel et très superficiel. « L’état de la parcelle, de son sol, est vraiment modifié, ce qui impose un véritable changement de logique, avec des pratiques complètement différentes : des semis plus précoces pour les cultures d’hiver, l’inverse pour les cultures de printemps, une fertilisation différente, etc. ».
Les chercheurs ont fait l’expérience : à la fin de l’essai PIC-Adventices en 2017, sur les parcelles TCS-SD, qui étaient sans travail du sol depuis 7 ans (7), ils ont testé trois modalités avant implantation d’un blé tendre d’hiver : labour, travail superficiel (TCS) et semis direct. « La pire situation a été celle en TCS, indique Stéphane Cordeau. Le travail superficiel du sol a stimulé la germination du stock de graines d’adventices qui s’étaient accumulées en surface. Résultat : une poussée massive d’adventices. Un désherbage chimique efficace a réussi à les contenir et ne pas engendrer de perte de rendement. Faute de quoi, ces adventices auraient donné des graines, réensemençant la parcelle pour des années. En revanche, dans la situation avec labour, le stock de graines a été enfoui dans le sol, ce qui a limité la germination des adventices et donné un résultat comparable à la bande conduite en semis direct (8) ».
Ces travaux tendent donc à montrer qu’appliquer un travail superficiel du sol dans un système ACS n’est pas une bonne option. Réintroduire du travail du sol dans un système ACS doit se réfléchir en tenant compte d’une palette d’indicateurs.
- Ces systèmes font partie du dispositif expérimental SIC : Systèmes de culture Innovants sous Contrainte (4 systèmes étudiés). Ferme AgroParisTech Grignon, 6,2 ha, sol : limon profond homogène.
- Colnenne-David C., Grandeau G., Jeuffroy M.H., Doré T., 2017. Ambitious multiple goals for the future of agriculture are unequally achieved by innovative cropping systems. Field Crops Research, 114-128.
- Système de référence dans l’essai PIC : système local bourguignon dominant : rotations 3 ans (colza/blé d’hiver/orge d’hiver), labour systématique, désherbage chimique raisonné. L’essai est situé dans la plaine de Dijon, sols très argileux (35 à 45 % d’argile) à potentiel agronomique plutôt élevé.
- Cordeau S., Adeux G., Chamoy P., Farcy P., Munier-Jolain N. TCS N°101. Janvier/Février 2019.
- Reboud, X. et al. 2017. Usages et alternatives au glyphosate dans l’agriculture française. In: Rapport INRAE à la saisine Ref TR507024 (Ed.). INRAE, p. 85. Lire l’article.
- Trois piliers de l’ACS : couverture maximale des sols, absence de travail du sol, rotations longues et diversifiées. Lire l’article.
- TCS-SD : Parcelles en TCS depuis 2000, et en semis direct depuis 2010.
- Baudron A., Adeux G., Cordeau S. TCS N°103. Juin/Juillet/Août 2019.
La protection intégrée vise à combiner plusieurs techniques pour maîtriser les adventices en limitant le recours aux herbicides.
- Diversification des cultures : cultures de printemps, d’hiver, ayant des dates de semis et des cycles différents
- Utilisation de cultures ou variétés concurrentielles par rapport aux adventices : ex. triticale, orge, chanvre
- Désherbage mécanique : binage, herse étrille, houe rotative
- Retard des semis de céréales d’hiver (blé, orge), pour laisser germer les adventices (vulpin) et les détruire avant de semer la culture
- Technique du faux-semis : provoquer la germination des adventices par un léger travail du sol, puis les détruire avant de semer la culture
- Modification des périodes d’apport d’azote pour maximiser la pousse de la culture et défavoriser les adventices.
C’est pourtant le pari lancé en 2018 par la plateforme CA-SYS sur le site de Dijon (animé par Stéphane Cordeau et Violaine Deytieux), où des parcelles en ACS sont conduites sans pesticides, donc sans glyphosate. « Il faut concevoir un système totalement différent, souligne Stéphane Cordeau, ce que nous avons fait pendant cinq ans avec toute une diversité d’acteurs : agriculteurs, conseillers, chercheurs. Concevoir ces systèmes avec les acteurs de terrains était pour nous essentiel, car on ne peut pas rester sur une démarche de substitution des pesticides par autre chose. Il faut de l’expertise et de la connaissance pour repenser le système en profondeur. Nous testons un système, mais on se rend compte qu’il faudra sans doute reconsidérer la succession des cultures dans les rotations, afin d’enchaîner des cultures qui ont un cycle de développement encore plus différents. En effet, si dans la rotation, toutes les cultures poussent au même moment, nous nous heurtons au problème des repousses : les repousses de la culture précédente se développent dans la culture en cours et au final, on a un mélange de plusieurs cultures ». Lire l’article sur CA-SYS.
Voir la vidéo avec interview de Stéphane Cordeau.