Dossier revue
Éleveurs de ruminants : les défis de l’attractivité
Entretien avec Sophie Chauvat, cheffe de projet Travail et approches sociales à l’Institut de l’élevage (Idele).
Publié le 14 août 2024
L’élevage de ruminants en France fait face à des défis démographiques et de renouvellement. Sophie Chauvat explore les causes de la faible attractivité du métier et propose des solutions pour y remédier.
Quelle est la situation de l’élevage de ruminants en France métropolitaine ?

Les élevages de ruminants vivent une vague de départs à la retraite de leurs exploitants, qui explique en grande partie la diminution de la main-d’œuvre familiale dans les exploitations. Pour autant, le nombre d’éleveurs de moins de 40 ans et d’installations se stabilisent depuis 2010. Les taux de remplacement en élevages bovins (vaches laitières et vaches à viande) sont inférieurs à ceux des élevages de chèvres, de moutons et brebis, car ces secteurs sont peu accessibles aux porteurs de projets hors cadre familial, compte tenu de l’importance du capital à investir. Si les exploitations de moutons et brebis se renouvellent plus facilement, une partie d’entre elles, souvent portées par des éleveurs non issus du milieu agricole et parfois pluriactifs, correspond à des cheptels de plus petite taille. Le nombre d’élevages de chèvres connaît une augmentation, mais en parallèle une rotation élevée des exploitants.
Le renouvellement des générations est faible. Pourquoi ce manque d’attractivité ?
Les éleveurs sont confrontés à un travail marqué par l’astreinte auprès des animaux, avec des difficultés à trouver du personnel suffisamment formé pour remplacer le chef d’exploitation. Entre 2010 et 2020, les secteurs de l’élevage des ruminants ont moins bien rémunéré les chefs d’exploitation que les productions végétales et la dépendance aux aides est vécue négativement : les éleveurs préféreraient un travail payé au prix juste. Cette faible rémunération pèse sur le remboursement des investissements, la qualité du travail et questionne le sens de leur travail.
Le métier d’éleveur n’est pas exempt de risques, comme les accidents lors de la manipulation des animaux ou les troubles musculosquelettiques dus aux gestes répétitifs, par exemple lors de la traite.
Dans une société qui connaît de moins en moins bien le métier d’éleveur, certains d’entre eux se sentent remis en cause par les citoyens qui les considèrent comme des pollueurs et étant non respectueux du bien-être de leurs animaux. Cette situation peut générer du mal-être accentué par les incertitudes sur l’avenir et le stress associé au respect de réglementations de différentes natures.
Qu’est-ce qui attire les éleveurs qui s’installent aujourd’hui ?
Les nouveaux éleveurs sont attentifs à leurs conditions de travail et à leur équilibre vie professionnelle-vie personnelle.
Ce qui attire dans l’élevage, c’est avant tout de travailler avec des êtres vivants. Les jeunes qui s’installent construisent des projets porteurs de sens et utiles à la société : une exploitation en agroécologie, une production fermière de qualité, une relation directe avec la clientèle… Les élevages de ruminants sont très axés sur la polyculture-élevage, qui permet de maîtriser tout le cycle de production, donnant ainsi de la cohérence au métier et offrant une grande variété de tâches. Les nouveaux éleveurs sont attentifs à leurs conditions de travail et à leur équilibre vie professionnelle-vie personnelle. L’autonomie décisionnelle et la perspective d’un revenu décent figurent également parmi les attentes.
Quels leviers pour une meilleure attractivité ?
Le réseau mixte technologique (RMT) Travail en agriculture intègre le bien-être des agriculteurs et de leurs salariés comme facteur d’attractivité dans une démarche One Welfare qui associe bien-être animal et bien-être des éleveurs pour que la mise en place de pratiques favorables au bien-être de l’animal ne dégrade pas les conditions de travail de l’éleveur. Selon le RMT, l’attractivité peut être encouragée sur
3 piliers : l’image du métier, la facilité d’accès au métier et les conditions d’exercice du travail.
La communication auprès du grand public, des jeunes en orientation dans l’enseignement général et des demandeurs d’emploi est essentielle pour valoriser les métiers de l’élevage et susciter des vocations. Les exploitants peuvent participer à l’effort de communication d’une image positive de leur métier. C’est le cas par exemple des éleveurs témoins qui sont formés à intervenir auprès des médias. Le site Internet Devenir éleveur contribue à informer les porteurs de projets ou les jeunes en orientation sur les réalités des métiers de l’élevage.
Accompagner les cédants et les porteurs de projets d’installation est primordial pour faciliter l’accès au métier d’éleveur. Assouplir les conditions d’accès à la dotation des jeunes agriculteurs (aide financière à l’installation) ouvrirait les portes à davantage de profils d’installation, notamment à ceux qui se reconvertissent au-delà de 40 ans.
Quelles sont les mesures à mettre en place pour améliorer les conditions de travail dans ce secteur ?
La modernisation des bâtiments et des équipements, l’automatisation des tâches telles que la traite robotisée ou la distribution automatique d’aliments diminuent la pénibilité.
Un métier attractif doit effectivement proposer des conditions d’exercice du travail décentes. La simplification des pratiques, comme la monotraite, le regroupement des mises-bas et des sevrages, ou le développement du pâturage, si elle est bien pensée et adaptée, diminue la charge de travail. La modernisation des bâtiments et des équipements, l’automatisation des tâches telles que la traite robotisée ou la distribution automatique d’aliments diminuent la pénibilité. Ces outils peuvent générer de nouvelles tâches, mais ils diminuent bien souvent l’astreinte et augmentent la souplesse d’organisation du travail. La réorganisation de la main-d’œuvre, par le recrutement d’un salarié, l’adhésion à une Cuma (coopérative d’utilisation du matériel agricole) ou un groupement d’employeurs, la création d’une société, sont également des leviers d’amélioration des conditions de travail. Les fermes collectives, par exemple, facilitent les remplacements et le renouvellement des actifs, mais demandent plus de temps d’organisation et de relationnel. Dans ce cadre, de nouveaux statuts, pour des agriculteurs salariés, sont à envisager.
L’amélioration des conditions d’exercice du métier d’éleveur passera aussi par une évolution des pratiques de conseil, qui doivent appréhender les systèmes d’exploitation dans leur globalité, en intégrant les questions de durabilité, notamment sociale, et sortir de l’approche actuelle organisée par filière et par thématique.
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Alice Vettoretti
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Rédactrice