Dossier revue
Agroécologie

Politiques publiques : le moment de vérité

Les connaissances et les solutions se développent pour soigner nos sols. C’est aujourd’hui aux politiques publiques de se coordonner et se renforcer pour rendre la guérison et la protection possibles. Enjeux.

Publié le 27 juin 2023

Sans faire l’objet de politiques publiques dédiées, on constate depuis 40 ans une montée en puissance de la prise en compte des sols à l’agenda politique, que ce soit à l’échelle de la France, de l’Europe ou du monde. 

Une prise en compte progressive

À l’international, la Charte mondiale sur les sols publiée par la FAO en 1981 liste pour la première fois les principales voies de dégradation des sols ainsi que les nombreux défis à relever. L’émergence dans les années 2000 du concept « One Health » a pointé les sols comme un élément clé des politiques environnementales.
En 2015, 4 des 17 objectifs de développement durable (ODD) de l’agenda 2030 impliquent plus directement les sols (#2, faim zéro ; #13, lutte contre le changement climatique ; #6, eau ; et #15, vie terrestre). À l’échelle européenne, si une Charte des sols a été adoptée en 1972, les initiatives sont restées modestes jusque dans les années 2000. En 2004, une Directive sur la responsabilité environnementale inclut pour la première fois un volet « sol » dédié, focalisé sur les contaminations chimiques et biologiques susceptibles d’avoir un impact sur la santé humaine. En 2006, la Commission européenne propose une « stratégie européenne sur la protection des sols » qui devait reposer sur une directive-cadre mais qui n’a pas été adoptée. Malgré cet échec, l’Union européenne continue de porter une forte ambition pour la protection des sols qui mène au Pacte vert de l’Union européenne en 2019.

54,3 milliards d'euros : ce sont les dépenses de protection de l’environnement en France en 2019, dont 5 % pour la protection des sols, des eaux souterraines et de surface.

Les objectifs climat pour 2030 et la stratégie en faveur de la biodiversité à l’horizon 2030 qui en découlent incluent les sols : lutte contre l’étalement urbain, leur imperméabilisation et leur pollution, lutte contre la déforestation et le surpâturage, et pour la réhabilitation de friches contaminées.
Parallèlement et dans le cadre du programme de financement de la recherche et de l’innovation « Horizon Europe », un rapport du Comité de mission « Santé des sols et alimentation » a débouché sur la mise en place en 2022 d’un nouveau comité de mission « Un pacte pour des sols sains en Europe ». Il vise la préservation et la restauration des sols. Son action repose pour partie sur l’élaboration d’un cadre harmonisé de suivi des sols. Si la France a entrepris un tel suivi depuis longtemps, la surveillance des sols reste variable entre États membres de l’UE. Un Observatoire des sols de l’UE a été lancé. Il doit contribuer à la production de données utiles pour les politiques européennes et leurs déclinaisons nationales. 

Un moment de bascule dans la réglementation

La nouvelle PAC (Politique agricole commune 2023-2027) devrait contribuer à renforcer indirectement la préservation des sols, notamment par l’introduction de différentes aides sur les pratiques agricoles : les écorégimes nouvellement définis dans le premier pilier, diverses mesures dans le second pilier (FEADER), la conditionnalité des aides associées aux bonnes conduites agricoles et environnementales (BCAE). L’évaluation future de la PAC, qui intègre désormais l’évolution du carbone du sol, devrait valider cette approche.

↑  Collecte d’échantillon de sol
Collecte d’échantillon de sol par tarière pour analyser l’ADN des bactéries et champignons présents dans ce champ.

En France, la question des sols est abordée dans plusieurs politiques mais de façon morcelée. Il faut dire que les sols ont longtemps été considérés pour leur fonction de production agricole, les réglementations environnementales étant alors pensées en termes de gestion des risques de contamination. En 2019, l’étude INRAE « Stocker 4 pour 1 000 de carbone dans les sols : le potentiel en France » a montré qu’il est possible d’atteindre un stockage additionnel de +1,9 ‰ par an sur l’ensemble des surfaces agricoles et forestières (3,3 ‰ pour les seules surfaces agricoles et 5,2 ‰ si l’on se restreint aux grandes cultures) et met en exergue les pratiques pour y parvenir.
En 2018, le Plan biodiversité lancé par le ministère en charge de l’Écologie prévoit un objectif de « zéro artificialisation nette » (ZAN) à l’horizon 2050, en limitant autant que possible la consommation de nouveaux espaces et, lorsque c’est impossible, de « rendre à la nature » l’équivalent des superficies consommées. Cet objectif est repris dans la loi Climat et résilience du 22 août 2021. Aujourd’hui, l’Europe travaille sur la mise en place d’une loi pour la santé des sols. Si c’est une bonne nouvelle pour les sols, la tâche n’en est pas moins complexe. Pour s’y atteler, la Commission européenne a mobilisé des « experts sols » dans chacun des pays de l’UE qui s’appuient sur les travaux d’INRAE. 

Quelle approche : santé ou qualité ?

Protéger les sols implique de définir, collectivement, ce qu’est un sol en bonne santé. « Dans nos travaux menés dans le cadre de l’EJP SOIL, nous prenons le parti de considérer la qualité des sols comme un potentiel. En mesurant ses différentes caractéristiques, on peut évaluer son potentiel à remplir telle ou telle fonction. Quant à la santé des sols, c’est un état à un instant T qui peut évoluer en fonction de la gestion du sol ou de son usage », explique Antonio Bispo, directeur du laboratoire Infos&Sols d’Orléans. Il faudra régionaliser les analyses et leurs interprétations, c’est-à-dire considérer le climat et le type de sol pour proposer des valeurs seuils de santé du sol. Cette option implique de disposer de beaucoup de données. Dans tous les cas, se posent des questions de définitions, de critères, de normes et de seuils de référence. Les indicateurs et les normes sont-ils les mêmes pour tous les sols, pour tous les usages ? Et quand bien même on arriverait à produire ces éléments, comment cumuler tous ces critères ? L’Agence européenne de l’environnement, de même que la FAO, ont pris l’option de considérer que si un des paramètres de mesure de la qualité des sols n’est pas satisfaisant, alors le sol est qualifié de dégradé. L’enjeu de la future directive-cadre européenne sur les sols est donc de s’accorder sur ces questions de définition, de mesure, de cumul ou pondération, de zonage. 

Du global au local

Les politiques européennes et nationales sont nécessaires. Mais les décisions se prennent également en local. En particulier l’application de la loi Zéro artificialisation nette (ZAN) nécessitera des outils pour caractériser les sols à une maille plus fine que celle des outils de surveillance nationaux. « Nous développons des outils d’aide à la décision pour concilier aménagement du territoire et préservation des sols », indique Christophe Schwartz, directeur du laboratoire Sol et Environnement à Nancy. C’est l’objectif du projet DESTISOL1 qui développe une méthodologie afin de fournir aux acteurs de la programmation urbaine (aménageurs, établissements publics, collectivités locales…), dans les phases de conception amont de leurs projets, des recommandations en matière d’usages ou de destinations à donner aux sols urbains disponibles : agriculture, jardin, support d’activités, etc.

Nous pouvons fournir aux acteurs de la programmation urbaine des recommandations en matière d’usages ou de destinations à donner aux sols urbains disponibles : agriculture, jardin, support d’activités, etc.

Un logiciel a été développé pour estimer le niveau de services écosystémiques rendus sur un site, avant et après l’aménagement envisagé, à partir des indicateurs d’état des sols. L’outil a été testé à Lannion (22) et aux Mureaux (78) et constitue « une manière simple, rapide et explicite de mesurer l’impact de différentes déclinaisons d’un projet sur un même site et de classer ces différentes options possibles, eu égard aux attentes de l’aménageur et aux besoins de la collectivité », conclut Christophe Schwartz. La qualité des sols est déterminante pour la qualité de la production agricole mais aussi pour celle de l’environnement tout entier et de la biodiversité. Si la prise de conscience scientifique de cette importance a entraîné une nouvelle prise en compte politique, le sol est au cœur d’enjeux multiples qu’il est encore difficile de concilier. Le développement de connaissances pour identifier les bons indicateurs, mettre en place des systèmes de surveillances cohérents, fournir des outils d’évaluation intégrée des services rendus par les sols ou développer de nouvelles techniques de restauration sont nécessaires pour progresser dans la protection de ce bien commun de l’humanité.

1. Société SCE, Cerema, université de Lorraine/Laboratoire sol-environnement, établissement public foncier de Bretagne et établissement public d’aménagement du Mantois Seine Aval.

EJP Soil : Des recherches européennes pour accorder les mesures

Avec le European Joint Programme on Soil (EJP SOIL, Vers une gestion climato-intelligente et durable des sols agricoles), l’Union européenne et les 24 pays participants cofinancent une recherche d’excellence pour améliorer la contribution des sols agricoles aux défis sociétaux clés. « Les recherches que nous menons dans l’EJP SOIL enrichissent les travaux de préparation de la future loi pour les sols. Et, plus généralement, nos résultats constituent un socle très utile pour le législateur et pour la construction et l’évaluation des politiques publiques », explique Claire Chenu, chercheuse en sciences du sol au laboratoire ÉcoSys à Saclay et coordinatrice de ce programme. Cette loi devrait prévoir un suivi régulier de la santé des sols, ce qui suppose des réseaux de surveillance de la qualité des sols, des données harmonisées. Dans le cadre de l’EJP SOIL, un vaste inventaire de l’existant a été réalisé : Quels sont les indicateurs de la qualité des sols utilisés dans chaque pays ? Quelles sont les réglementations liées aux données sur les sols ? 
Par exemple en France, les données liées aux sols appartiennent aux propriétaires du terrain, « nous avons d’ailleurs produit un modèle d’accord pour la diffusion de données sur les sols privés », mais ce n’est pas toujours le cas dans les autres pays. Comment est organisé le recueil des données ? Quels sont les réseaux de mesure de la qualité des sols ? Claire Chenu vient pointer : « Il y en a 14 en Europe ! » Ces dispositifs ont été comparés entre eux mais aussi avec le dispositif mis en place par l’Europe, Lucas.

L’EJP Soil c’est 43 projets de recherche sur le stockage du carbone, l’adaptation au changement climatique, la santé des sols et leur gestion durable.

« En France, il y a le Réseau de mesure de la qualité des sols (RMQS) mais, en parallèle, la Commission européenne fait aussi ses propres mesures de qualité des sols sur le territoire national. Des comparaisons sont en cours entre ces deux dispositifs pour voir s’ils obtiennent les mêmes résultats, et évaluer leurs forces et leurs faiblesses. » L’EJP Soil c’est aussi 43 projets de recherche sur le stockage du carbone, l’adaptation au changement climatique, la santé des sols et leur gestion durable.