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La recherche européenne se dote d’un référentiel commun pour une gestion durable des sols

Le programme conjoint européen sur la gestion des sols agricoles se réunit cette semaine à l’occasion de la troisième édition de ses Journées scientifiques annuelles, à Riga. L’EJP SOIL ambitionne de répondre aux enjeux globaux liés aux changements climatiques et à la sécurité alimentaire en développant un système européen de recherche intégrée sur la gestion durable et climato-intelligente des sols agricoles. Plus de 400 scientifiques et 26 organismes partenaires issus de 24 pays de l’Union européenne travaillent ensemble depuis 2020, pour une durée de 5 ans. Leur but est d'améliorer la connaissance sur les sols, trouver des synergies de recherche, renforcer les communautés de recherche et sensibiliser le public à ces enjeux. INRAE est le coordinateur du programme et s’implique dans un grand nombre de ses projets.

Publié le 12 juin 2023

illustration La recherche européenne se dote d’un référentiel commun pour une gestion durable des sols
© INRAE

Une prise de conscience globale sur la santé des sols

Nourrir le monde, réguler les inondations, stocker du carbone et héberger une grande biodiversité : les fonctions des sols sont à la fois multiples et essentielles à l’être humain et à la nature. Pourtant, ils subissent des pressions croissantes liées aux changements climatiques et aux activités humaines.

Ces dernières années, les sols ont émergé dans les consciences environnementales à plusieurs niveaux. La COP21 sur les changements climatiques à Paris et le lancement de l’initiative 4 pour 1 000 ont permis de mettre en lumière le rôle clé des sols dans l’atténuation, comme dans l’aggravation, des changements climatiques. Avec la COP15 sur la biodiversité, on sait désormais que 25 % de la biodiversité de la planète se trouve dans les sols. Une prise de conscience mondiale qui s’accompagne d’une dynamique européenne très forte. La Commission européenne a lancé une nouvelle stratégie européenne sur les sols et prépare une loi avec un objectif ambitieux : la bonne santé des sols à échéance 2050. Ce projet de loi sera présenté en juillet 2023. Cela fait suite également au lancement en 2021 de la mission européenne Sols, dont l’objectif est d’établir 100 laboratoires vivants sur les sols et de mettre en place un observatoire européen géré par le Centre commun de recherche de la Commission européenne (JRC).

L’EJP SOIL entend fournir les connaissances scientifiques nécessaires à la mise en place de politiques publiques efficaces dans les stratégies nationales des pays et au niveau européen. Il s’agit pour le programme de développer des recherches sur les sols agricoles afin d’améliorer les connaissances sur la multifonctionnalité des sols et leur capacité à stocker du carbone. L’EJP SOIL renforcera les capacités scientifiques et harmonisera les informations sur les sols en contribuant à l’état des lieux et au rapportage des données sur la qualité et la santé des sols.

 

Le programme est porté par des instituts de recherche européens et finance des projets internes et externes.  Il s’attache à développer, partager et transférer les connaissances à la société, avec des écoles-chercheurs, ainsi qu’auprès des décideurs publics.

 

L’enjeu européen : répondre à la difficile harmonisation des données sur les sols

Un enjeu fort à l’échelle européenne : accorder les 24 pays impliqués dans le programme sur les indicateurs qui permettent de surveiller et mesurer la qualité des sols. Au-delà de choisir des indicateurs pertinents, il s’agit de déterminer les valeurs seuils, les limites et la façon dont ces différents indicateurs sont agrégés. Par exemple, si un indicateur de qualité est jugé insatisfaisant, est-ce que le sol concerné est considéré comme de mauvaise qualité et dans l’incapacité d’assurer des services écosystémiques ?

Quant aux systèmes de surveillance, plusieurs pays ont leur propre système mais ceux-ci ne sont pas réalisés à la même échelle et ne sont pas interopérables. L’EJP SOIL a inventorié les systèmes de surveillance et les indicateurs de la qualité des sols utilisés dans chaque pays, ainsi que les réglementations liées aux données sur les sols. Pas moins de 18 pays européens se sont dotés de réseaux de mesure de la qualité des sols ; il s’agit de les comparer et d’évaluer leurs forces et leurs faiblesses. La Commission européenne a, quant à elle, développé son propre réseau de mesure qui sera, lui aussi, comparé aux autres dispositifs.

Premiers résultats à mi-parcours

L’inventaire des systèmes de surveillance et des indicateurs de la qualité des sols utilisés a permis de transmettre des recommandations à la Commission européenne afin de passer d’un système à un autre et d’utiliser ces informations au niveau européen. Des résultats qui ont été mobilisés par la Commission pour l’élaboration de la loi sur la santé des sols, qui proposera des indicateurs de santé des sols, avec la mise en place d’une surveillance basée sur une codification des indicateurs. Des workshops destinés aux porteurs de politiques publiques sont en cours afin d’augmenter le niveau de connaissance et de réflexion des personnes impliquées dans l’élaboration des mesures.

L’EJP SOIL a également mis en place des hubs nationaux dans 19 pays : des comités composés d’experts et de porteurs d’enjeux sur les sols, scientifiques, agricoles, industriels, associatifs et politiques. Depuis le début du programme ils ont été consultés et interrogés sur les besoins spécifiques de chaque pays afin d’adapter et de prioriser les défis. Un concept repris par la Commission, qui finance le projet européen PrepSoil, auquel participe INRAE. Celui-ci a pour objectif de préparer la mission européenne sur les sols et de proposer un hub européen, équivalent au modèle développé par l’EJP SOIL.

Quelles contributions du programme au-delà de l’Europe ?

Claire Chenu

Pour Claire Chenu, directrice de recherche à INRAE et coordinatrice de l’EJP SOIL, le programme a permis des avancées dans la structuration internationale de consortiums de recherche sur les sols. « Le rôle crucial des sols est reconnu dans de nombreux pays dans le monde et on observe une dynamique particulièrement importante dans certains pays. Mais il existe peu d’opportunités de financement de la recherche sur les sols à l’échelle internationale. Avec ce programme, nous avons d’une certaine manière ouvert la voie, en initiant avec des financeurs internationaux, un premier réseau international de recherche sur les sols. Nous avons réuni des financeurs internationaux et montré qu’il est possible de s’entendre sur des thèmes prioritaires, de négocier des textes d’appel d’offre et de s’organiser pour que chacun finance pour son pays à l’échelle internationale. C’est une belle réussite de ce point de vue. »

Des projets de recherche coordonnés par INRAE

INRAE contribue fortement au programme par la diversité de ses recherches, y compris en sciences économiques et sociales, et coordonne 3 projets.

Modéliser et cartographier les menaces et les services écosystémiques liés au fonctionnement du sol

Serena, ce sont 16 pays européens qui travaillent à la construction d’indicateurs pour évaluer, analyser et cartographier, de l’échelle locale à l’échelle européenne, les menaces et les services systémiques en lien avec le fonctionnement du sol des paysages agricoles européens.

Parmi les points forts de Serena, le fait d’impliquer les utilisateurs finaux et les parties prenantes dans le projet, de considérer que menaces et services sont les deux faces d’une même pièce (si les sols sont des réservoirs de biodiversité, celle-ci est également largement menacée) ou encore d’examiner des ensembles de menaces et de services en même temps.

Ceci dans l’idée de converger vers des indicateurs communs à même d’alimenter la réflexion des décideurs.

Les déchets comme ressources pour les sols

Dans un contexte d’économie circulaire, les déchets (déchets alimentaires, boues d’épuration, déchets verts, digestats de méthanisation, coproduits agricoles, etc.) riches en matières organiques pourraient représenter une ressource intéressante pour contribuer à la fertilité des sols. Mais à quelles conditions ?

En effet, cette matière organique peut également être source de contaminants (polluants, agents pathogènes, plastiques, etc.) et impacter la qualité des récoltes, de l’eau ou de l’air. Tous ces effets nécessitent d’être évalués sur le long terme au fur et à mesure d’épandages répétés, pour appuyer (ou non !) le développement et la pérennisation de filières de valorisation de ces déchets.

C’est tout l’objet du projet EOM4SOIL qui mène des travaux pour évaluer les bénéfices et les risques associés au retour au sol de ces déchets avec un focus particulier sur les émissions de gaz à effet de serre, y compris lors de l’étape de prétraitement des déchets et d’application sur le terrain, et d’autre part la présence et la diffusion de contaminants dans les sols. Les équipes d’EOM4SOIL analysent également le bilan net du stockage de carbone dans les sols.

Epandages de composts sur une parcelle, crédit: Christophe Maitre INRAE

Une feuille de route pour les programmes Carbone

Respecter les objectifs européens de réduction des émissions de gaz à effet de serre nécessite d’impliquer tous les secteurs, y compris l’agriculture. Ces dernières années, de nombreuses initiatives ont émergé pour inciter les agricultrices et agriculteurs à adopter des pratiques qui concourent à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre et/ou à séquestrer du carbone. L’adoption de ces pratiques par les agriculteurs peut leur assurer des prix de vente plus élevés ou leur permettre de vendre les réductions d’émissions nettes sous forme de crédits à des entreprises souhaitant compenser leurs propres émissions. Ces dispositifs soulèvent des questions liées notamment au suivi et au contrôle de l’effectivité des réductions d’émissions.

Road4Schemes a d’ores et déjà recensé plus de 150 initiatives privées et publiques de ce type en Europe et analysé leurs forces et faiblesses. L’analyse éclaire également l’arbitrage potentiel entre une adoption large par les agriculteurs de ce type de dispositifs et les coûts de suivi et de contrôle nécessaires pour en assurer l’intégrité environnementale.

À terme, Road4schemes proposera une feuille de route pour mettre en œuvre de tels dispositifs afin qu’ils participent de manière efficace et efficiente aux objectifs européen d’atténuation.

Ariane LelahRédactrice

Catherine Foucaud-ScheunemannRédactrice

Elodie RegnierRédactrice

Contact scientifique

Claire Chenu Directrice de recherche, coordinatrice de l'EJP SOIL

En savoir plus

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