Dossier revue
Changement climatique et risques

L'agroécologie source de solutions

Préserver la ressource en eau, pour les humains et pour la planète, c'est à la fois l'économiser et agir sur la cause de sa raréfaction : le changement climatique. Pour l'agriculture, ce double défi nécessite des changements rapides et profonds. L'agroécologie est une des voies possibles pour concilier les différents enjeux qui se posent à l'agriculture.

Publié le 02 juin 2022

Pour une reconception de l’agriculture

Face aux changements globaux, l’évolution de l’agriculture doit s’envisager de façon systémique et aller au-delà de la seule production. Choix des espèces et races d’animaux, pratiques de culture, gestion du paysage, etc., sont à reconsidérer. Comment conduire cette transition ? Peut-elle être rapide, compte tenu de l’urgence climatique ? Comment accompagner les agriculteurs qui en sont les premiers maillons ?

L'agroécologie, un cadre cohérent

L’agroécologie est une des voies possibles pour concilier les différents enjeux qui se posent à l’agriculture. Elle propose un cadre cohérent en combinant plusieurs leviers (voir encadré) et implique un changement profond de démarche : plutôt que de cultiver la variété (ou d’élever la race animale) la plus perfomante dans un environnement homogène et contrôlé par l’utilisation d’intrants, il s’agit de combiner une diversité de variétés et d’espèces pour s’adapter à des conditions fluctuantes. D’après Thierry Caquet, directeur scientifique Environnement d’INRAE, « pour les agriculteurs, la réussite de la transition agroécologique peut impliquer des investissements de formation, de partage de savoir-faire, de mutualisation d’équipements… mais c’est aussi toute la chaîne de valeurs qui doit évoluer en partageant les coûts : adapter les outils de récolte, de collecte et de transformation à des produits plus diversifiés et parfois plus hétérogènes, mettre en place de nouvelles filières et de nouvelles pratiques de commercialisation, etc. En bout de chaîne, les consommateurs ont un rôle clé à jouer, car leurs actes d’achat sont des leviers puissants pour faire changer l’ensemble du système. Il faut que la société toute entière évolue et pas seulement les agriculteurs… » Le processus de coconstruction de la transition agroécologique fait lui-même l’objet de recherches.

Les travaux d’INRAE s’appuient sur des suivis d’exploitations agricoles, des dispositifs expérimentaux ou des living labs (laboratoires vivants), autant de lieux pouvant servir de démonstrateurs.

PRINCIPAUX LEVIERS DE L'AGROECOLOGIE

  • Diversification des variétés et des cultures (et des espèces et races d’animaux) pour réduire la vulnérabilité et favoriser la résilience : utiliser plusieurs variétés et espèces cultivées, seules ou en mélange ; allonger les rotations ; introduire des légumineuses qui apportent de l’azote au sol ; introduire des plantes de service, cultivées en association avec les cultures de rente ou en intercultures pour leurs effets bénéfiques (lutte contre les bioagresseurs, les adventices, amélioration des propriétés du sol).
  • Biocontrôle : protéger les cultures avec des ennemis naturels des ravageurs, des biopesticides d’origine végétale, des phéromones, plutôt qu’avec des pesticides de synthèse.
  • Complémentarité animal-végétal : associer culture et élevage pour apporter de la matière organique au sol et pour valoriser les surfaces en herbe et les sous-produits des cultures en tant qu’aliments pour les animaux (pailles, tourteaux).
  • Préservation des sols : couvrir les sols pour les protéger contre l’érosion, pour stocker du carbone, augmenter la réserve utile en eau et apporter de la matière organique.
  • Mise en place d’infrastructures agroécologiques : haies, bandes enherbées, fossés, mares, pour favoriser la biodiversité (y compris les auxiliaires des cultures), la qualité de l’eau et limiter le ruissellement.
  • Agroforesterie : introduire des arbres pour favoriser la biodiversité, la qualité du sol et de l’eau, apporter ombre et protection aux animaux et aux cultures.

La transition peut être rapide

Certains exemples montrent que la transition peut être rapide. Ainsi, à la suite de la suppression en avril 2015 des quotas laitiers et à la chute du prix du lait qui s’en est suivie, des éleveurs laitiers aveyronnais se sont convertis en agriculture biologique en 2 ans seulement, passant pour certains d’un système zéro pâturage à 7 mois de pâturage dans l’année. La transition vers ce système herbager a été très rapide.

Dessin réalisé par un éleveur aveyronnais et utilisé dans le cadre d’animations.

« Les éleveurs ont immédiatement réimplanté des prairies en misant sur la diversification des espèces végétales (parfois jusqu’à 10 espèces avec des cycles de végétation décalés) pour faire face aux épisodes récurrents de sécheresse. Avec une bonne gestion de ces prairies et du pâturage1, les éleveurs ont réduit leurs charges : moins de culture de maïs, moins d’achats d’engrais et d’aliments concentrés. Ces économies leur ont permis d’améliorer leurs résultats économiques dès la première année, avant même d’être labellisés “agriculture biologique” et de bénéficier des prix du lait bio, environ 1,5 fois plus cher que le lait conventionnel à l’époque », analyse Guillaume Martin, agronome à INRAE, qui a suivi avec son équipe 19 éleveurs laitiers pendant 3 ans. Les enquêtes montrent par ailleurs que la satisfaction des éleveurs s’est améliorée avec la conversion au bio, en particulier sur les aspects de rentabilité économique et de liens sociaux. Cette conversion présente également d’importants avantages au regard de l’atténuation et de l’adaptation au changement climatique. Elle permet d’être plus autonome pour nourrir les animaux et de bénéficier des avantages des prairies au niveau du stockage de carbone, de la lutte contre l’érosion, de la biodiversité et de l’enrichissement du sol en matière organique, ce qui améliore aussi la rétention d’eau. De plus, l’herbe fraîche couvre 90 % des besoins en eau des vaches.

1. Choix des espèces pour obtenir des prairies pérennes (semées pour plusieurs années) et une pousse de l’herbe régulière, date de mise à l’herbe opportune pour « nettoyer » les pâtures avant l’explosion d’herbe du printemps, chargement en animaux et temps de pâturage adaptés pour favoriser la productivité et la qualité des repousses suivantes,

La transition peut impliquer toute une filière : l’exemple de la vigne

La viticulture pionnière

Les transitions sont forcément plus longues pour les cultures pérennes (vignes, arbres fruitiers) où les choix stratégiques portent sur 15 à 30 ans. Dans le cas de la vigne, c’est toute la filière française qui s’est mobilisée pour s’adapter au changement climatique et contribuer à son atténuation. Première filière à avoir mené à bien sa réflexion dans ce domaine, elle a présenté sa stratégie aux pouvoirs publics en 2021. Celle-ci s’appuie sur les résultats du projet LACCAVE (2012-2021), une initiative d’INRAE impliquant 25 équipes de recherche et 12 organismes partenaires.

Plusieurs leviers peuvent être mobilisés conjointement pour s’adapter au déficit hydrique qui affecte les vignobles du Sud de la France, provoquant des baisses de rendement et altérant la qualité du raisin et du vin : choix de cépages et porte-greffes plus tolérants à la sécheresse, relocalisation des vignes sur des sols plus profonds, plus ombragés ou en altitude, changements dans les pratiques viticoles (taille, effeuillage, enherbement maîtrisé, paillage au sol, amendements organiques, haies), introduction éventuelle d’irrigation au goutte-à-goutte en association avec des pratiques agroécologiques, adaptation de la vinification pour réduire la teneur en alcool des vins, etc.

L’adaptation est déjà en cours : « dans le Bordelais, des viticulteurs testent des cépages extérieurs” pour répondre au changement climatique, tout en s’assurant qu’ils sont conformes à la typicité des vins de Bordeaux. Depuis 2018, les cahiers des charges des appellations autorisent l’introduction de tels cépages. A INRAE, nous étudions 52 cépages différents provenant du Sud et de l’Ouest de l’Europe pour voir comment ils pourraient répondre à la production de vin de Bordeaux demain », précise Nathalie Ollat, copilote du projet LACCAVE avec Jean-Marc Touzard.

Tout dépend du niveau du réchauffement climatique

Pour Jean-Marc Touzard, économiste à INRAE, « tout dépend du niveau du réchauffement climatique. Les leviers étudiés peuvent être combinés pour s’adapter au réchauffement si l’on reste en deçà de + 2 °C en 2100. Mais plus on dépasse ce seuil, moins la viticulture de terroir que l’on connaît sera possible : à cause du réchauffement et surtout des aléas climatiques, il sera de plus en plus difficile de produire durablement des vins de qualité dans des terroirs définis. La production plus aléatoire de raisin sera vendue à des vinificateurs-négociants qui pourront assembler et corriger le vin par la chimie, ou même vinifier toute l’année des moûts issus de différentes régions. Si l’on aime le vin et ses terroirs, il faut tout faire pour mettre en œuvre les objectifs de la COP21 ».

L’agriculture de conservation est-elle économe en eau ?

Par ses capacités de stockage de carbone, le sol est un levier majeur pour atténuer le changement climatique. C’est aussi le milieu nourricier des plantes et leur réserve d’eau. L’agriculture de conservation des sols repose sur trois piliers : l’absence de travail du sol, la diversification et l’allongement des rotations et la protection des sols contre l’érosion par l’utilisation de couverts végétaux implantés entre les cultures dans les rotations. Mais quel est l’impact de ce système sur la ressource en eau ? Le projet BAG’AGES (2016-2021), coordonné par INRAE et soutenu par l’Agence de l’eau Adour-Garonne, visait à répondre à cette question via le suivi sur 3 ans de parcelles chez des agriculteurs et grâce à la modélisation. Lionel Alletto et Olivier Therond, agronomes à INRAE, livrent leurs conclusions à deux échelles différentes, la parcelle et le territoire.

Les 11 parcelles étudiées dans le projet BAG’AGE, en agriculture de conservation depuis plus de 10 ans.

Pour une quantité d’eau égale, on a un système plus productif en biomasse

Lionel Alletto : « A l’échelle du territoire, il est difficile de savoir si les systèmes en agriculture de conservation permettent des économies d’eau, car certains agriculteurs choisissent d’irriguer leurs couverts avec l’eau économisée en diminuant les surfaces de maïs irrigué. Par contre, on observe que pour une quantité d’eau égale, on a un système plus productif en biomasse : + 15 à 20 %. On a donc augmenté ce qu’on appelle l’efficience de l’eau. Il faudrait maintenant étudier ce qui se passerait si l’on réduisait graduellement l’irrigation du maïs dans ces systèmes. C’est un axe de recherche pour nos sites expérimentaux, car les agriculteurs peuvent difficilement prendre ce risque. De plus, nous devons améliorer nos connaissances pour sélectionner des variétés plus tolérantes au manque d’eau.

Le fait que l’on obtienne un meilleur rendement en biomasse dans les parcelles en agriculture de conservation peut s’expliquer par plusieurs hypothèses. Premièrement, les plantes bénéficient d’un meilleur stock d’eau dans les sols non travaillés : nous avons montré en effet que la « réserve utile » (la quantité d’eau que le sol peut absorber et restituer à la plante) de ces sols augmentait de 8 à 15 % par rapport à des sols travaillés. L’eau s’y infiltre mieux, car même si les sols non travaillés sont plus denses, leurs pores sont mieux connectés, du fait de la présence de galeries de vers de terre et de réseaux de racines profondes. En effet, les racines des plantes peuvent aller en profondeur, car elles ne sont pas arrêtées par les « semelles de labour ». Autre raison possible : les plantes sont mieux nourries du fait d’une amélioration des associations symbiotiques, notamment mycorhiziennes, lorsque les sols sont maintenus couverts et peu travaillés.  

La rétention de l’eau dans les sols est aussi favorisée par les couverts d’intercultures, car même s’ils consomment de l’eau, ils apportent au sol, une fois détruits, de la matière organique qui améliore le stockage de l’eau. Ils limitent aussi les pertes d’eau liées au ruissellement et freinent ainsi l’érosion du sol qui en découle. Enfin, les couverts ont un autre avantage de taille : ils piègent du carbone. C’est pourquoi les couverts représentent le levier principal du projet 4 pour mille  pour stocker du carbone en grandes cultures. INRAE étudie une grande diversité de plantes de couverts, pures ou en mélange : féverole, vesce, radis fourrager, navette, avoine rude, roquette, moutarde. »

Les couverts d'interculture n’ont pas d’effets critiques sur la ressource en eau

Olivier Therond : « Le modèle de simulation que nous utilisons (MAELIA) permet d’analyser finement les impacts des couverts végétaux et des rotations diversifiées (maïs, soja, tournesol, céréales…) car il prend en compte de nombreux paramètres : climat, sol, rotations, pratiques (semis, irrigation…), état des ressources en eau, etc. La principale crainte portait sur l’impact sur l’eau des couverts d’intercultures, car, s’ils ont l’avantage de capter du CO2, ils consomment de l’eau du sol, ce qui peut pénaliser la culture suivante, ainsi que la recharge des nappes et les écoulements vers les cours d’eau. La modélisation a permis de dissiper cette crainte pour le bassin versant étudié, car elle montre que les couverts n’ont pas d’effets critiques sur la culture suivante ni sur les débits des cours d’eau. Dans le cas particulier de sols superficiels ou si les pluies sont rares, il faut juste les détruire assez tôt pour que la réserve en eau du sol se reconstitue avant la levée de la culture suivante. »

INTERNATIONAL : la coopération pour accélérer la transition

Les problématiques de l’eau, du changement climatique et de la transition agroécologique doivent s’envisager au niveau mondial. INRAE coordonne et s’engage dans de nombreux projets internationaux.

INRAE est moteur de l’initiative de programmation européenne JPI Water, lancée en 2011, qui vise à coordonner les travaux de recherche des 25 Etats membres sur la gestion de l’eau. INRAE fait également partie du réseau REECAP, dont l’objectif est de promouvoir l’utilisation d’approches expérimentales et comportementales pour l’évaluation de la Politique agricole commune (PAC). « Nous développons des outils et produisons des données afin de guider les décideurs politiques et d’accroître l’adhésion des agriculteurs », témoigne Sophie Thoyer, cheffe adjointe du département ÉcoSocio à INRAE.

La démarche fait des adeptes puisque REECAP a reçu en janvier 2022 le prix américain CBEAR1 qui récompense l’innovation agroenvironnementale. Au niveau mondial, « le manque de résilience du secteur agricole, ainsi que la pauvreté et les inégalités généralisées dans les nations en développement, plus particulièrement en Asie et en Afrique, exacerberont les impacts du changement climatique et entraîneront des effets en cascade au-delà des frontières. Il est donc dans l’intérêt des nations riches de financer l’adaptation au changement climatique des régions les plus à risque », indique l’institut politique Chatham House dans son rapport d’octobre 20212.

Depuis 2011, INRAE a par exemple développé un programme de recherche avec l’Inde, un pays impacté, comme toutes les zones semi-arides, plus fortement et plus tôt par le changement climatique. « Cette collaboration a été saluée par le Sénat comme un “partenariat exemplaire”. Grâce à l’économie expérimentale et à la modélisation, nous recherchons avec nos homologues indiens des stratégies d’adaptation objectivées par des résultats chiffrés et basés sur des travaux de terrain. Notre mission en France et à l’international, face à cet enjeu environnemental majeur, est d’accompagner la transformation par la recherche et l’appui aux politiques publiques sur de nouvelles orientations plus durables », conclut Alban Thomas, directeur scientifique adjoint Environnement d’INRAE.

1. The Center for Behavioral & Experimental Agri-Environmental Research.

2. What near-term climate impacts should worry us most ? Quiggin et al., oct 2021, Environment and Society Programme.


  • Pascale Mollier

    Rédactrice

  • Thierry Caquet

    Directeur scientifique Environnement d’INRAE

  • Guillaume Martin, Lionel Alletto
    UMR AGIR
  • Nathalie Ollat
    UMR EGFV
  • Jean-Marc Touzard
    UMR INNOVATION
  • Olivier Thérond
    UMR LAE-Colmar
  • Sophie Thoyer

    Cheffe adjointe du département scientifique ECOSOCIO

    UMR CEE-M
  • Alban Thomas

    Directeur scientifique adjoint Environnement

    Paris-Saclay Applied Economics