Dossier revue
Changement climatique et risques

L'eau, une ressource limitée à préserver

Avec le changement climatique, l'eau douce, en quantité finie sur la planète, va devenir plus difficile d'accès. L'agriculture est à la fois consommatrice d'eau et source de solutions pour limiter le changement climatique, à condition de l'orienter vers des pratiques adaptées. C'est tout l'enjeu de cette équation à multiples inconnues. Etat des lieux...

Publié le 01 juin 2022

L’eau est un bien commun, une ressource vitale, différente des autres. Contrairement à un minerai que l’on extrait à un endroit donné, l’eau change d’état entre ses formes solide, liquide, gazeuse. Elle se déplace entre différents compartiments reliés entre eux : atmosphère, continents, océans. Elle décrit un cycle qu’il est essentiel d’avoir à l’esprit, car ce qui est prélevé à un endroit a inévitablement des conséquences ailleurs. La connaissance de tous les termes de ce cycle est nécessaire pour répondre à une question devenue cruciale pour nous, les humains, mais aussi pour les écosystèmes dont nous faisons partie : allons-nous manquer d’eau ?

L’eau est une ressource limitée et renouvelable jusqu’à un certain point 

Le cycle de l’eau est un cycle fermé, sans apports ni pertes à l’extérieur de la planète. Le volume total d’eau présent sur Terre semble énorme mais l’eau douce (glaciers, lacs, cours d’eau, nappes souterraines) en représente moins de 3 %, dont 2/3 sous forme de glace. De plus, l’eau douce est inégalement répartie dans le monde.

Le cycle de l'eau

Eau douce = 3 % de l'eau de la Terre, dont 1 % disponible

L’eau douce utilisée par l’homme n’est pas détruite, elle est en partie retraitée et retourne dans le cycle. Cependant, une part de cette eau peut être rendue inutilisable du fait de la pollution. En effet, même si une grande partie des contaminants que nous rejetons (métaux, médicaments, détergents, microplastiques, pesticides, microorganismes, etc.) est dégradée ou retenue dans le sol, ou encore traitée dans les stations de traitement des eaux usées, certains d’entre eux peuvent résister aux procédés de traitement, ou être entrainés par la pluie, et se retrouver dans les eaux de surface ou dans les nappes souterraines. Si les teneurs en contaminants dépassent les limites admissibles, l’eau peut être rendue inutilisable pour certains usages. C’est ainsi qu’en France, plusieurs milliers de captages d’eau destinée à la consommation humaine ont été fermés du fait d’un dépassement des normes de qualité. Par ailleurs, la concentration de contaminants augmente quand la quantité d’eau qui les dilue diminue, ce qui fait que les notions de qualité et de quantité de l’eau sont étroitement liées, avec des conséquences importantes notamment pour la vie des écosystèmes aquatiques (lacs, rivières…).

Une solution pour augmenter à grande échelle le volume d’eau douce utilisable consiste à dessaler de l’eau de mer ou de l’eau saumâtre. Energivores et sources de pollution par le rejet de saumure (eau chaude très concentrée en sel et autres minéraux), les usines de dessalement se multiplient néanmoins dans certaines régions du monde où elles apparaissent comme l’ultime solution, particulièrement au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Elles produisent actuellement 2 % de l’eau potable à l’échelle mondiale.

L’eau est donc une ressource en quantité limitée. Elle se renouvelle plus ou moins rapidement et plus ou moins complètement selon la capacité d’épuration du système considéré (territoire, pays).

Le changement climatique accélère le cycle de l’eau et diminue les ressources en eau douce

Les résultats du projet Explore 2070 montrent que le débit moyen des rivières en France devrait diminuer fortement d’ici 20 ans, jusqu’à 50 % dans le Sud-Ouest et le bassin parisien. Un nouveau projet, Explore 2, sous la coordination scientifique d’INRAE, mettra à jour ces connaissances sur la base d’outils de simulation actualisés.

Ces résultats au niveau français illustrent une évolution globale liée au changement climatique : en effet, l’élévation de la température moyenne de l’air augmente l’évaporation de l’eau à partir des masses d’eau, du sol, et des plantes et affecte le régime des précipitations : plus de pluies fortes dans les zones tempérées et humides, avec une augmentation des pluies hivernales, moins de pluies dans les régions méditerranéennes et tropicales. Au final, le réchauffement climatique accélère le cycle de l’eau avec plus d’évaporation et plus de pluies extrêmes qui convergent vers les océans sans recharger les nappes.

Le réchauffement climatique provoque également :

  • l’augmentation probable de la fréquence et de l’intensité des inondations, vagues de chaleur et sécheresses ;
  • la fonte des glaciers et des calottes glaciaires, car le réchauffement est plus marqué aux pôles, induisant une perte importante des stocks d’eau douce au profit des océans ;
  • la montée du niveau de la mer : + 60 à 110 cm d’ici 2100 si la tendance actuelle se poursuit.

Ainsi, toutes les projections des scientifiques montrent qu’il y aura redistribution des ressources en eau, au niveau national comme au niveau mondial. Même si le volume total d’eau de la planète reste constant, il y a aura des risques de manques d’eau douce plus ou moins drastiques selon les territoires, les saisons et les années.

Le changement climatique : un phénomène d’une ampleur inédite

Depuis 1900, les émissions de gaz à effet de serre liées aux activités humaines ont provoqué un réchauffement terrestre moyen de + 1,07 °C. Si l’humanité continue sur la tendance actuelle (scénario du « laisser-faire »), elle provoquera un réchauffement supplémentaire de + 6 °C en moyenne à l’horizon 2100 (jusqu’à 10 °C aux pôles), ce qui implique un état de la planète que nous ne pouvons même pas imaginer. Le scénario « sobre » (+ 1 °C en 2100) suppose d’atteindre la neutralité carbone en 2050.

Entre ces deux scénarios extrêmes, plusieurs scénarios divergent à partir de 2050 et nous ne savons pas ce qu’il adviendra finalement. Seule certitude, compte-tenu de l’inertie du système, l’avenir dépend de nos actions actuelles en termes d'atténuation.

Cette évolution est confirmée par le 6e rapport du GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat), paru en août 2021. Il est à noter que non seulement l'évolution anticipée par le GIEC s'est confirmée jusqu'à présent, mais aussi que la confiance accordée aux projections pour le futur s'est accrue grâce aux progrès des modélisations.

L’agriculture consomme de l’eau et la « déplace »

En France, l’agriculture, au travers de l’irrigation essentiellement, représente environ 9 % des prélèvements d’eau, mais 48 % de la consommation. C’est le secteur qui « consomme » le plus d’eau, dans le sens où l’eau prélevée par les plantes n’est pas restituée localement : elle est évapotranspirée1et réintègre le cycle sous forme de vapeur, avant de retomber ailleurs sous forme de précipitations. Si on se place du point de vue local, l’eau est donc « perdue », mais en réalité, on pourrait dire qu’elle est « déplacée » dans le cycle. Au contraire, l’eau utilisée pour refroidir des centrales thermiques ou nucléaires ou l’eau utilisée pour la consommation domestique est partiellement ou totalement restituée, le plus souvent à proximité du point de prélèvement. Cette eau peut donc être réutilisée sous réserve de respecter certains critères, notamment de température et de qualité. Les points de rejet peuvent malgré tout se situer à distance du point de prélèvement, en particulier dans le cas de dérivation (canaux).

Dans un contexte de tension de plus en plus forte sur la ressource en eau, le partage de l’eau entre les différents secteurs d’activité devient un enjeu majeur (voir article 2 de ce dossier).

1. On appelle évapotranspiration la somme de l’évaporation de l’eau du sol et de la « transpiration » des plantes, qui rejettent dans l’atmosphère par les pores de leurs feuilles la quasi-totalité de l’eau qu’elles absorbent.

L'agriculture, source de solutions

L’agriculture, consommatrice d’eau et émettrice de gaz à effet de serre, est souvent montrée du doigt comme une des causes majeures du dérèglement climatique, mais elle est aussi source de solutions, notamment par sa capacité à stocker du carbone dans les végétaux et dans les sols. Ce potentiel est significatif comme le montre l’initiative 4 pour mille soutenue par INRAE.

Face à un risque de manque d’eau, il faut concevoir de nouveaux systèmes agricoles qui soient certes économes en eau, mais qui agissent aussi sur la cause du manque d’eau, c’est-à-dire qui atténuent le réchauffement climatique, en favorisant le stockage de carbone, mais surtout en diminuant les émissions de gaz à effet de serre (gaz carbonique CO2, méthane CH4 et protoxyde d’azote N2O).

Les sols des grandes cultures représentent le plus gros potentiel de stockage de carbone

L’initiative « 4 pour mille », lancée lors de la COP21 à Paris en 2015 avec une contribution significative d’INRAE, repose sur l’hypothèse qu’une augmentation annuelle de 4 pour mille du stockage de carbone dans les sols mondiaux (soit 1 500 x 4/1 000 = 6 milliards de tonnes de carbone) permettrait de compenser l’augmentation annuelle des émissions de CO2 liées aux activités humaines (4,3 milliards de tonnes). INRAE a montré qu’en France, le plus gros potentiel de stockage de carbone se trouve dans les sols des grandes cultures, grâce à des pratiques comme le développement de couverts végétaux intermédiaires et l’agroforesterie (voir l'article 3 de ce dossier). Ce calcul s’entend sous condition de préserver les zones de stockage de carbone existantes (forêts, prairies, zones humides) en stoppant l’artificialisation des terres.

 

  • Pascale Mollier

    Rédactrice