Dossier revue
Changement climatique et risques

Rencontre avec un agriculteur innovant

Entretien avec Laurent Dirat, agriculteur depuis 30 ans sur la commune de Gramont, dans le Tarn-et-Garonne.

Publié le 03 juin 2022

Pour son irrigation, Laurent Dirat prélève l’eau de l’Arrats, une des 17 rivières qui prennent leur source au pied des Pyrénées et qui forment, avec plusieurs lacs artificiels et un canal, le système hydrographique NESTE. Sur près d’un demi-siècle, la Compagnie d’aménagement des côteaux de Gascogne (CACG), qui gère ce bassin versant, a constaté une baisse de 25 % des écoulements naturels, particulièrement marquée pendant les mois d’été. Le territoire est dit sous tension pour la ressource en eau. Comme sur tous les bassins versants, les irrigants doivent demander à l’organisme unique de gestion collective (OUGC) une autorisation de prélèvement en rivière (ou en forage) et poser un compteur sur chaque pompe installée1. Le volume prélevable étant limité, les nouvelles demandes sont mises en attente le temps qu’un irrigant sorte de la liste.

Que cultivez-vous ?

Laurent Dirat : Depuis tout petit, je suis passionné par les fruits et légumes exotiques. Je fais pousser des herbes asiatiques, des sortes de moutarde, des concombres vietnamiens, des aubergines africaines, du kiwano… mais aussi des fraises. Je les cultive sur une quarantaine d’hectares et je consacre les 200 autres au blé et au tournesol, en rotation. Je n’irrigue que mes fruits et légumes. C’est mon assurance récolte, car sur sol sec et chaud se développe un champignon de faiblesse, Macrophomina phaseoli. Il provoque jusqu’à 80 % de mortalité.

Comment gérez-vous la ressource en eau sur votre exploitation ?

Proverbe : « Un binage vaut deux arrosages »

L. D. : Pour mes plantes maraichères, j’irrigue au goutte-à-goutte pendant les heures les plus chaudes, entre début juin et mi-juillet. J’ai également remplacé le glyphosate pour désherber les allées par du binage. Puis je conserve un tapis végétal pour protéger le sol. Avec cette méthode, j’économise de l’eau. Le réchauffement climatique, ça fait 20 ans que nous en voyons les effets sur notre territoire. Personnellement, j’en ai vraiment pris conscience lors de la sécheresse de 2003. J’ai fait construire un petit lac privé de 25 000 m3. C’est mon plan B, une sorte d’assurance.

Les compteurs d’eau permettent-il une meilleure gestion ?

L. D. : J’avoue ne pas les avoir vus arriver d’un bon œil. Avec 2 compteurs, je ne pouvais arroser qu’à 2 endroits de mon exploitation. Impossible dans ces conditions de contrer la maladie. Nous avons donc mutualisé l’outil de travail au travers d’une association syndicale autorisée d’irrigation (ASAI) qui regroupe 44 propriétaires dont 17 irrigants. Nous gérons notre système d’irrigation comme un syndic de copropriétaires. La mutualisation permet de faire baisser nos charges de fonctionnement. Nous optimisons nous-mêmes l’outil et traquons les fuites. Finalement, je me suis rendu compte que les compteurs ont un effet bénéfique car nous savons ce que nous pouvons prélever par jour. Et c’est aussi plus facile pour la CACG d’anticiper et de gérer l’approvisionnement en amont, d’autant qu’il faut 3 jours pour que l’eau nous parvienne des Pyrénées. 

Comment êtes-vous organisés au niveau du territoire ?

L. D. : Sur le bassin Adour-Garonne, nous étions les seuls à ne pas avoir de commission locale de l’eau (CLE). Or, nous sommes sur un des territoires où on irrigue le plus… Comme le sujet m’intéresse, je représente aujourd’hui les irrigants du Tarn-et-Garonne à la Commission NESTE et à la CLE qui vient d’être créée. À la commission, nous avons dû exceptionnellement baisser le débit d’objectif d’étiage (DOE)2 à 80 % de sa valeur cet été pour pouvoir nous en sortir. Il faudra créer des réserves sécuritaires pour respecter au mieux le DOE et faire face à de potentielles pollutions dans la rivière. Ce travail collaboratif dans les deux instances permet aussi de faire tomber des clichés. Par exemple, les écologistes et les riverains nous accusent de prélever toute l’eau des rivières. Or seulement 24 % du volume du système NESTE est utilisé pour l’agriculture. Côté agriculteurs, nous trouvions le DOE trop élevé, mais l’Office français de la biodiversité (OFB) nous a expliqué que le diminuer aurait à long terme un impact important sur la biodiversité. Et ça, je peux l’entendre.

Quel est selon vous le frein majeur pour un changement de modèle agricole ?

Innover, c’est parfois perdre à court terme pour gagner plus tard

L. D. : Avant, je faisais du blé à forte valeur ajoutée. J’ai abandonné. Non seulement il était rare d’avoir une super récolte, mais il fallait traiter avec beaucoup plus de produits phytosanitaires. Aujourd’hui, je refais du blé de façon traditionnelle. Je raisonne sur mes charges et je suis content avec ce que j’ai. Certains maïsiculteurs ne sont pas dans cette logique. Ils sont dans l’optimisation maximum des récoltes. Je risque de me mettre à dos du monde, mais je trouve que sur nos coteaux plutôt secs, il est aberrant de cultiver plus de 50 % des cultures en maïs. En revanche, je comprends qu’il soit difficile de changer de modèle. Il faut se remettre en question. C’est sûr, innover, c’est risquer de se planter. Et il n’existe pas vraiment d’assurance qui couvre ce risque. Mais c’est aussi perdre pour gagner plus tard.

Quel levier serait efficace selon vous ?

L. D. : Je pense que l’incitation par le marché via des certifications ou des labels obligera tous les agriculteurs à changer leurs usages. La PAC, qui se présente pourtant comme plus verte qu’avant, est bien moins exigeante que ma certification Global GAP3et ses 490 points de contrôle. Ce n’est pas insurmontable, la preuve ! En revanche, je trouve anormal que, dans toute cette chaîne de certification, la responsabilité ne soit supportée que par les agriculteurs. Pour moi, l’irrigation est également un levier pour un changement de culture. Sur notre territoire, nous pourrions par exemple cultiver plus de légumineuses, dont le soja, et recréer une rotation. Je crois à des solutions locales, modernes, flexibles et réversibles. En Hollande, les agriculteurs innovants sont encouragés avec des subventions. Dommage que la France n’en fasse pas autant…

Quels sont vos projets ?

L. D. : J’ai pris conscience de l’importance du sol. Son potentiel s’est effrité avec nos rotations maïs/blé. Cette année, nous allons planter des féveroles sur 6 hectares, avant les fraises, pour apporter de l’azote, de l’humus et faciliter le travail du sol en juin. Sur les autres parcelles, j’expérimente différentes sortes d’humus. J’aimerais bien être accompagné par des chercheurs sur cette partie. Je voudrais également trouver un système de régulation d’eau pour notre rivière. J’en ai vu un à clapet en Allemagne et en Italie qui permettrait de récupérer en aval le volume non utilisé et supérieur au DOE. Nous pourrions ainsi constituer une réserve de secours. Et s’il faut faire une passe à poissons et impliquer des écologistes, tant mieux ! Je veux redonner vie à la rivière. En remontant son niveau à certains endroits stratégiques, nous pourrons également favoriser des zones humides. Il faudra pour cela chercher des solutions techniques et innovantes. Rien n’est figé, c’est ce que j’aime dans notre métier.

1. Autorisation à demander si le volume d’eau prélevé est supérieur à 1  000 m3/an. En dessous, le prélèvement est considéré comme « usage divers ».

2. DOE : Débit d’objectif d’étiage : valeur minimale de débit à maintenir, fixée par le SDAGE, pour assurer la coexistence normale de tous les usages et le bon fonctionnement du milieu aquatique.

3. GLOBAL GAP est un référentiel sur les bonnes pratiques agricoles rédigé pour la filière fruits et légumes à l’initiative de la grande distribution d’Europe du Nord en 1997.

  • Sophie Nicaud

    Rédactrice