Dossier revue
Société et territoiresL’eau, ça se recycle ?
Face à la pression croissante sur les ressources en eau, la réutilisation des eaux usées traitées parait une solution prometteuse. En recyclant cette ressource, souvent négligée, on peut économiser l’eau potable et sécuriser son approvisionnement, surtout lors des périodes de sécheresse de plus en plus fréquentes. Mais comment et à quelles conditions ? Éclairage.
Publié le 03 septembre 2025
Les eaux usées traitées sont généralement rejetées dans le milieu naturel. Mais il est possible pour différents usages, en particulier dans l’agriculture, de les récupérer avant, directement en sortie des stations de traitement (STEU) : c’est ce que l’on appelle la REUT pour « réutilisation des eaux usées traitées ». Pour la REUT, la réglementation requiert un (ou plusieurs) traitement d’assainissement supplémentaire de l’eau, qui varie selon les usages et la qualité d’eau recherchée : « Cette eau est très contrôlée et réglementée pour éliminer tout risque de contamination de la chaîne alimentaire », indique Dominique Patureau, directrice adjointe du Laboratoire de biotechnologie de l’environnement d’INRAE. Actuellement, les usages principaux concernent l’irrigation, mais ils se diversifient en milieu urbain : arrosage des espaces verts, des golfs, nettoyage de la voirie, alimentation des pompes à incendie, etc. Ce recyclage de l’eau peut aussi être pratiqué en circuit interne dans les industries alimentaires, sans passer par l’étape station d’épuration. Ainsi, l’entreprise Volvic projette de réutiliser l’eau de lavage des bouteilles pour le nettoyage de ses bâtiments.
En France, la REUT est peu développée, elle concerne officiellement moins de 1 % des eaux usées traitées 1. Un programme gouvernemental ambitieux vise un objectif de 10 % en 2030 2. Pour Rémi Lombard Latune, ingénieur de recherche INRAE à l’unité REVERSAAL, cet objectif est très élevé au regard de l’évolution du nombre de projets de REUT en France, qui stagne, voire régresse, surtout en agriculture, pour différentes raisons. En particulier, la réglementation impose des traitements supplémentaires coûteux et énergivores, qui alourdissent le bilan environnemental de la REUT en matière d’émissions de gaz à effet de serre. Le scientifique note cependant que les normes sont encore plus strictes dans d’autres pays comme Israël, les États-Unis ou l’Australie. On comptait, en 2022, 104 projets en fonctionnement en France, alors que l’objectif gouvernemental serait de développer 1 000 projets supplémentaires d’ici 2028. Pour Dominique Patureau, la réglementation, même si elle peut freiner des projets, a l’avantage de stimuler la recherche et l’acquisition de connaissances. C’est pour ces raisons qu’en France la pénurie d’eau n’est pas de nature à accélérer le recours à la REUT pour l’instant, sauf dans certaines régions comme l’Occitanie. Dans les pays où l’eau est un enjeu plus critique, la REUT se développe à une tout autre échelle, allant jusqu’à potabiliser l’eau : 85 % pour Israël, 90 % pour Chypre, 14 % en Espagne, 8 % en Italie.
1. Lorsque l’eau des cours d’eau est pompée juste en aval des rejets de STEU, on parle de « REUT indirecte », non officielle et non répertoriée, au contraire de la REUT directe qui s’accompagne de traitements supplémentaires.
2. Cet objectif a été étendu à l’ensemble des ENC (eaux non conventionnelles)
Le saviez-vous ?
Favoriser l’infiltration des eaux de pluies dans le sol évite qu’elles ne rejoignent le réseau des égouts et saturent les STEU. Mieux vaut donc concevoir des villes « éponge » plutôt que des villes « entonnoir », en évitant d’imperméabiliser les sols. Pareil pour les jardins des particuliers : mieux vaut privilégier la terre ou le gravier au béton.
La REUT, une opportunité pour l’agriculture
L’agriculture, qui dépend fortement de l’accès à l’eau, est menacée par des sécheresses de plus en plus fréquentes. Utiliser de l’eau de REUT pour l’irrigation des cultures s’avère une véritable opportunité. Mais à quelles conditions ?

Il y a plusieurs avantages à utiliser l’eau de REUT pour l’agriculture. D’abord, cela permet d’éviter une potentielle pollution du milieu naturel, comme cela peut se produire au point de rejet des STEU dans les cours d’eau. De plus, l’eau de REUT qui sert à irriguer des cultures ou arroser des espaces verts est de meilleure qualité, car elle a subi un ou plusieurs traitements supplémentaires. Elle est en partie consommée par les plantes et le reste se retrouve dans le sol avant de retourner dans les nappes ou les cours d’eau. Or, le sol est un excellent épurateur, à la fois par ses capacités de filtration et grâce à l’action dépolluante des microorganismes qu’il contient. La REUT contribue ainsi à réduire la pollution des cours d’eau. Enfin, dans l’eau de REUT, il y a des éléments très intéressants pour l’agriculture : l’azote et le phosphore, qui sont des éléments nutritifs pour les cultures. En jouant sur les processus bactériens lors des traitements, on peut favoriser la production de nitrates, une forme d’azote assimilable par les plantes, dans l’eau de REUT utilisée en irrigation, et ainsi diminuer le recours aux engrais azotés de synthèse. Un avantage qui peut s’avérer un inconvénient puisque la présence de nutriments dans l’eau de REUT peut favoriser le développement de bactéries, dont certaines potentiellement pathogènes. Ces bactéries, en formant des biofilms sur les dispositifs d’irrigation, risquent de les encrasser. « La durabilité des circuits d’irrigation fait l’objet de travaux à INRAE, indique le chercheur de l’unité G-EAU Nassim Ait Mouheb. Ces recherches visent à éviter le colmatage des goutteurs grâce à des traitements de chloration, à identifier les bactéries responsables des biofilms et à évaluer leur impact sur la qualité de l’eau. »
REUT agricole : des normes trop sévères ?
Il existe cependant un frein à l’utilisation de l’eau de REUT en agriculture : des normes microbiologiques très strictes, bien plus que pour les eaux usées traitées rejetées directement dans le milieu naturel. « Cette eau de REUT est plus contrôlée que l’eau prélevée dans les cours d’eau pour l’irrigation, qui ne fait l’objet d’aucune réglementation », relève la chercheuse Dominique Patureau. Ainsi, la qualité microbiologique et chimique de l’eau de REUT peut s’avérer meilleure que celle de l’eau de certains cours d’eau, a fortiori si celle-ci est prélevée en aval d’un point de rejet de STEU.
4 classes de qualité d’eau de REUT (Selon la réglementation européenne)
Classe A
Usage : arrosage des fruits et légumes consommés crus (fraise, salade, carotte, oignon, etc.) = moins de 10 bactéries E. Coli / 100 ml*
Classe B
Usage : arrosage des légumes cuits ou sans contact direct avec l’eau (pommes de terre, céréales, fourrages) = moins de 100 bactéries E. Coli / 100 ml
Classe C
Usage : arrosage des arbres et vignes = moins de 1 000 bactéries E. Coli / 100 ml
Classe D
Usage : arrosage des cultures semencières ou énergétiques = moins de 10 000 bactéries E. Coli / 100 ml
* La bactérie Escherichia Coli est recherchée en tant que témoin de l’efficacité du traitement des eaux de REUT.
La réglementation européenne fixe 4 classes de qualité d’eau, avec des normes microbiologiques de plus en plus sévères selon que l’on irrigue des légumes consommés cuits ou crus (salades, carottes, etc.). L’eau de REUT doit alors subir plusieurs traitements qui sont coûteux sur les plans économiques et environnementaux, car ils peuvent être très énergivores. L’OMS propose une approche multibarrières pour limiter ces traitements. Le principe consiste à déployer tout au long de la chaîne des « effets barrières » qui diminuent l’exposition du consommateur, ce qui permet de tolérer des seuils microbiologiques moins drastiques tout en garantissant des pratiques sûres. Les directives de l’OMS donnent les valeurs de ces seuils en fonction de chaque effet barrière : irrigation au goutte-à-goutte, lavage, séchage, cuisson des aliments, etc. « Ces valeurs sont calculées par modélisation. Nous menons un programme de recherche pour analyser ces effets barrières en mesurant les concentrations microbiennes réelles dans chaque cas. Nous projetons aussi d’élargir l’étude des effets barrières pour les risques chimiques », complète l’ingénieur Rémi Lombard Latune de l’unité REVERSAAL.
La REUT, ce n’est pas de l’eau en plus !
La REUT « détourne » les eaux usées traitées des cours d’eau dans lesquels elles sont d’habitude rejetées. Cela réduit la pollution des rivières, mais en contrepartie, cela peut affecter leur débit : certains cours d’eau, en période de sécheresse, risquent d’être à sec sans cet apport d’eau. « Le garde-fou actuel est le débit écologique des rivières, débit minimal nécessaire pour le maintien de l’écosystème. Or, ce débit fait l’objet de discussions et il peut être remis en cause localement pour soutenir des projets de REUT », prévient Anne-Laure Collard, de l’unité G-EAU. La chercheuse INRAE, qui étudie le développement de la REUT et son intégration progressive dans la société, observe que l’eau de REUT est souvent perçue comme une ressource d’eau supplémentaire. Ce qui n’est évidemment pas le cas, car l’eau de REUT est à l’origine prélevée, puis restituée dans le milieu. Elle n’est pas une ressource supplémentaire déconnectée du cycle de l’eau et la considérer comme telle risque de créer des inégalités. Par exemple, l’eau de REUT n’est pas soumise à restriction lors des arrêtés sécheresse car elle est considérée comme non prélevée sur les milieux. Ainsi, ceux qui bénéficient d’un accès à l’eau de REUT peuvent continuer à irriguer, alors que leurs voisins qui prélèvent l’eau dans les rivières sont contraints d’arrêter.
Cette perception de l’eau de REUT peut amener à augmenter inconsidérément la consommation d’eau, en particulier pour intensifier des cultures ou en irriguer de nouvelles alors que d’autres solutions plus sobres en eau pourraient être recherchées. Marielle Montginoul, chercheuse à l’UMR G-EAU d’INRAE, a étudié 13 cas de REUT opérationnelles et a souvent observé cet effet « rebond ». Dans un cas caricatural, un nouveau golf en Occitanie prévu pour être irrigué avec de l’eau de REUT est finalement arrosé avec de l’eau potable 3… Le raccordement à l’eau potable devait être provisoire, en attendant que le circuit de REUT soit mis en place. Mais finalement, quand elle a été disponible, l’eau de REUT s’est avérée trop riche en nutriments, et, comme les apports habituels de fertilisants n’ont pas été réajustés, des champignons sont apparus sur le green. Les gestionnaires ont donc préféré continuer à utiliser de l’eau potable. Pendant ce temps, un autre projet a permis de valoriser l’eau de REUT pour le nettoyage de voiries et l’irrigation d’espaces verts, en substitution de l’eau potable. « Il faut penser en termes de substitution, souligne Marielle Montginoul, c’est-à-dire utiliser l’eau de REUT à la place d’une autre source d’eau, et pas en plus. C’est d’ailleurs une condition posée par les agences de l’eau pour soutenir les projets de REUT. »
« Dans tous les pays, on peut observer cet effet rebond », renchérit Jérôme Harmand, chercheur au LBE, qui pilote un réseau de scientifiques dédié à la REUT. Pour lui, la réglementation pourrait être un levier d’action : conditionner l’accès à l’eau de REUT à l’engagement de ne pas augmenter inconsidérément les surfaces irriguées, optimiser l’irrigation sur une même surface (système de goutte-à-goutte), mettre des compteurs d’eau ou jouer sur le tarif de l’eau. Le tarif de l’eau de REUT est une vraie question, car la REUT implique des investissements en matière de traitements, de stockage et de réseaux pour acheminer l’eau. Dans le cas du golf cité plus haut, les coûts d’investissements pour le traitement de l’eau de REUT et la construction du réseau ont été pris en charge par l’agglomération de Toulouse. Et in fine, l’eau potable utilisée pour ce golf est financée là encore par la collectivité et les citoyens à travers leur facture d’eau…
3. Montginoul M. et al. 2024. TSM (Techniques, Sciences et Méthodes) 10, 33.
Qui paye le coût de la REUT ?
« Le coût de la REUT est rarement pris en charge par les bénéficiaires », résume Marielle Montginoul. Dans la majorité des 13 cas de REUT étudiés, les coûts d’investissements (unités de traitement, canalisations, bassins de stockage) sont supportés par les collectivités locales, les pouvoirs publics, les agences de l’eau ou l’Europe, et non par les bénéficiaires. Dans les projets d’irrigation, les infrastructures de distribution sont largement subventionnées, à hauteur de 60 à 80 %. Les agriculteurs assument seulement le reliquat, souvent au travers d’associations d’usagers 4. Pour être incitatif, le prix de l’eau de REUT facturé aux usagers est davantage fondé sur leur consentement à payer que sur le coût réel. Cette eau est souvent facturée moins cher que l’eau potable, pour laquelle l’usager contribue aux coûts d’assainissement. Avec si peu de recettes pour l’eau de REUT, il est parfois difficile pour les gestionnaires d’assurer la maintenance des installations. De plus, l’eau de REUT est plus chère que l’eau prélevée directement dans les cours d’eau. Elle ne sera donc véritablement incitative pour les irrigants qu’en cas d’assèchement de ces cours d’eau… « Les modèles économiques pour la REUT sont à améliorer. Le financement se fait souvent au cas par cas, sans réelle approche coûts/bénéfices sur le long terme, et certains projets risquent de ne pas être viables dans la durée », conclut Marielle Montginoul.
Pour Anne-Laure Collard, « les projets de REUT, largement financés par l’argent public, devraient faire l’objet de débats. Or, le débat se fait souvent dans des arènes confinées, entre experts et décideurs, et les décisions sont prises sur des critères essentiellement technicoéconomiques. Les sciences économiques et sociales sont encore largement absentes. » La REUT implique une réallocation de l’eau, avec des jeux d’acteurs et des enjeux de territoires forts. Les projets devraient donc être inclus dans une vision globale de la gestion de l’eau, par exemple au travers des PTGE (Plan territorial de gestion de l’eau).
4 De type Association syndicale autorisée (ASA).

Les eaux non conventionnelles, un autre type d’eau à fort potentiel
Les eaux non conventionnelles (ENC) désignent toutes les eaux autres que les eaux superficielles ou profondes. Elles englobent les eaux usées (domestiques ou industrielles), mais aussi les eaux de pluies qui ruissellent des toits, les eaux des piscines, de drainage, des mines, de dessalement…

Lorsqu’elles sont collectées séparément des eaux usées, certaines de ces eaux peuvent être réutilisées pour l’irrigation ou le nettoyage des voiries, avec des traitements moins lourds. Les conclusions des Assises de l’eau 2019 préconisent de tripler le recours aux ENC d’ici 2025. À INRAE, le projet Melting pot étudie la réutilisation de ces eaux à l’échelle d’un bâtiment de recherche : les eaux de pluie (provenant des toitures) et les eaux ménagères (provenant des lavabos, éviers, douches) serviront à alimenter les chasses d’eau ou les dispositifs de recherche : hall d’étude hydraulique, bassins d’élevage, eau de laboratoire. « Dans tous les cas, il faut au préalable analyser les eaux qui vont être recyclées pour adapter leurs traitements à l’usage visé », souligne Rémi Lombard Latune. En effet, les eaux de pluies provenant des toitures, par exemple, peuvent contenir des métaux (zinc) et/ou des particules relarguées dans l’atmosphère par la combustion d’arbres cultivés sur des terrains pollués, par exemple.
À plus grande échelle, les ENC (hormis les eaux usées) peuvent servir à recharger des nappes phréatiques, avec toutes les précautions requises pour en préserver la qualité. Par exemple, un dispositif à l’état de démonstrateur à Bordeaux Métropole recharge de petites nappes urbaines avec des eaux de pluies, qui sont auparavant épurées par des bassins traitant l’eau grâce à des plantes épuratrices et des microorganismes. Cet apport d’eau douce à proximité de la mer contribue à contrer les entrées d’eaux salées dans les nappes. « La recharge de nappes peut se faire de différentes manières, précise l’hydrogéologue Marie Pettenati, responsable résilience climatique d’Antea Group. On peut favoriser l’infiltration naturelle via des bassins d’infiltration, ou en élargissant le lit des rivières, ou encore en désimperméabilisant le sol. On peut aussi réinjecter de l’eau directement dans les nappes. C’est un sujet délicat qui fait l’objet d’études sérieuses d’impacts sanitaires et environnementaux. »
Penser et agir durable
L’eau est une ressource précieuse, en quantité constante et limitée sur notre planète. Elle se déplace en circuit fermé entre la terre, l’air et les océans et elle peut être utilisée de façon renouvelable à condition de ne pas atteindre un niveau de pollution critique. Nos premiers objectifs doivent être d’économiser l’eau et de diminuer la pollution. La REUT peut faire partie des solutions pour économiser l’eau, mais chaque projet doit être examiné avec ces préoccupations et intégré dans une gestion globale de l’eau sur un territoire. Les traitements des eaux usées sont maîtrisés et peuvent être adaptés pour obtenir l’eau de REUT de la qualité souhaitée pour chaque usage, mais leurs coûts environnementaux et économiques doivent être évalués sur le long terme. Enfin, il est important de repenser les réseaux de collecte des eaux usées pour aller vers une séparation « à la source » des eaux grises, jaunes, noires et de pluies, qui pourraient être traitées différemment et valorisées de manières plus efficaces.
Recyclage à l'usine : la même eau utilisée plusieurs fois
Autorisée et encadrée depuis 2024, la REUT industrielle est encore peu développée, malgré ses avantages en matière d’économie d’eau, la même eau pouvant être utilisée plusieurs fois en circuit fermé. Parmi les travaux pionniers menés à INRAE, Claire Fargues, chercheuse à l’unité de recherche Ingénierie des aliments Paris-Saclay, a conduit un projet dans une usine bretonne produisant des légumes surgelés : différents types d’eau peuvent être réutilisés dans le processus, avec ou sans traitement selon les cas. Par exemple, les eaux récupérées lors du rinçage après pelage des carottes, ou celles après leur blanchiment, peuvent être recyclées pour la découpe ou le nettoyage des légumes. Au préalable, il est nécessaire d’établir un inventaire précis du débit et de la qualité des effluents produits à chaque étape de la transformation du légume. Un outil développé par les chercheurs, appelé PINCH Eau, propose des recyclages pertinents à partir de cet inventaire. « Avec ce système optimisé, on peut aller jusqu’à 60 % d’économie en eau potable en conserveries de légumes et dans l’industrie fromagère, et jusqu’à 25-30 % en filière vitivinicole », précise Hedi Romdhana, maître de conférences à Agro-ParisTech, qui a contribué au développement de l’outil.
À chaque eau son exigence de qualité
Réglementations : quelles obligations ?
Pour chaque type d’eau, il existe une liste de substances analysées et réglementées. Pour les eaux usées, les STEU doivent fournir un rapport annuel sur leurs performances d’épuration. Seules les eaux de surface ne font l’objet d’aucune réglementation. Ces eaux reçoivent pourtant plusieurs types de pollution : rejets d’eaux usées traitées en sortie de STEU, eaux de ruissellement en provenance des cultures contenant potentiellement des pesticides, voire des rejets industriels illégaux. Les eaux de surface sont néanmoins surveillées par les agences de l’eau, qui mesurent chaque mois les concentrations d’environ 70 substances jugées préoccupantes, sur 4 000 sites répartis sur tout le territoire, dans le cadre de la Directive-cadre sur l’eau (Directive 2000/60/EU et directive 2013/39/EU).
Antibiotiques et eaux usées
Notre forte consommation d’antibiotiques a favorisé l’apparition de bactéries résistantes, qui sont susceptibles de se retrouver dans nos fèces, puis dans les eaux usées, avec un risque de dissémination des gènes de résistance. Ce phénomène menace à terme l’efficacité des antibiotiques dans la lutte contre les infections bactériennes.
Du fait de la présence de ces gènes de résistance, y a-t-il un risque à réutiliser les eaux usées traitées pour l’irrigation de fruits et de légumes ? Des travaux d’INRAE ont mesuré la quantité de ces gènes bactériens dans des légumes irrigués avec de l’eau de REUT, qui doit être de classe A, c’est-à-dire contenir moins de 10 bactéries Escherichia coli par 100 ml. Il semble, selon les premiers résultats, que cette valeur seuil soit suffisante pour éviter d’augmenter le taux de gènes de résistance à des antibiotiques dans des légumes crus (carottes) irrigués avec de l’eau de REUT. « Pour l’instant, nous n’observons pas non plus d’augmentation pérenne de la quantité de certains gènes dans les sols irrigués avec des REUT. Nous avons mis en évidence aussi un phénomène intéressant : la plante exercerait un effet barrière vis-à-vis de ces gènes puisque l’on n’observe pas d’augmentation de la quantité de ces gènes dans les racines des plantes », détaille la chercheuse Dominique Patureau.
Limiter les micropolluants
Les micropolluants se caractérisent par leur grand nombre et leur diversité : pesticides, PFAS 1, filtres UV, détergents, plastifiants, micro- et nano-plastiques, médicaments. Il est impossible de tous les analyser : environ 300 000 molécules sont répertoriées dans le règlement REACH et 20 000 sont susceptibles de se retrouver dans les eaux usées 2. Excepté pour l’eau potable, leur présence n’est pas encore réglementée, mais devrait être mieux prise en compte à l’avenir. Une étude INRAE montre que les concentrations de certains polluants (résidus de médicament) mesurés dans des légumes irrigués à l’eau de REUT restent majoritairement inférieures aux seuils de sécurité toxicologique. « Cependant, on ne voit que la partie émergée de l’iceberg, car on ne mesure qu’un petit nombre de substances présentes. De plus, elles sont toujours considérées isolément alors que nous sommes exposés à des mélanges, avec de potentiels effets cocktail », souligne Dominique Patureau.
La meilleure solution reste donc la prévention : limiter le recours à ces molécules et choisir les moins impactantes. Dans ce but, les chercheurs d’INRAE ont créé la base TYPOL (TYpology of POLlutants) qui classe les molécules en fonction de leurs caractéristiques intrinsèques (masse molaire, nombre d’atomes de carbone…) et de paramètres caractérisant leurs devenirs et impacts potentiels sur le milieu et la santé. Cette base répertorie actuellement 800 molécules et permet, à mode d’action égal, de choisir les molécules les moins nocives. « Nous organisons des formations à cet outil pour l’ANSES ou l’INERIS », complète la chercheuse.
1 Per- et poly-fluoroalkylées. La présence de liaisons C-F (carbone-fluor) dans ces micropolluants les rend très difficiles à dégrader.
2 Source : Agence européenne des produits chimiques, 2018.

LE SAVIEZ-VOUS ?
Il est déconseillé de boire l’eau des cours d’eau. Même les petits cours d’eau en amont des bassins-versants peuvent être pollués, par exemple s’ils se trouvent sur d’anciens sites miniers ou reçoivent des eaux de lessivage en provenance de champs traités ou des eaux de rejet de STEU.
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Pascale Mollier
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Rédactrice