Dossier revue

Société et territoires

Que deviennent nos eaux usées ?

L’eau que l’on utilise pour nos douches, vaisselles, lessives, toilettes, passe du statut d’eau potable à celui d’eaux usées. Ces eaux usées sont ensuite récupérées et traitées, puis rejetées dans le milieu naturel. Ce chemin de l’eau, soustrait à notre regard et peu connu, pose de nombreuses questions : qualité de l’eau, pollution, recyclage…Explications.

Publié le 02 septembre 2025

En France, pour nos besoins quotidiens (boisson, vaisselle, lessive, ménage, douche, WC), nous consommons en moyenne 60 à 100 litres d’eau potable par personne et par jour (sans compter les fuites sur le réseau d’eau potable) 1. D’où provient cette eau ? Est-ce une ressource illimitée comme nous pouvons le croire lorsque nos robinets coulent à volonté ? Et que deviennent nos eaux usées ? Le trajet de l’eau apparaît comme un cycle fermé : le volume d’eau sur Terre est limité et constant, sans apports ni pertes d’eau à l’extérieur de la planète. L’eau ne fait que se déplacer entre l’air, le sol et les océans, sous différentes formes. Chacun de nos prélèvements et de nos rejets, dans les nappes souterraines ou les eaux de surface, a des conséquences sur les autres compartiments du cycle de l’eau.

1. Les statistiques comptabilisent la quantité d’eau potable produite sur le territoire (qu’elle soit consommée au sein du foyer ou pour d’autres usages), divisée par le nombre d’habitants. Elles prennent donc en compte les fuites sur les réseaux, les consommations des industriels reliés aux réseaux d’eau potable, celles dans les services publics, etc. Ce qui donne en 2020 une moyenne 100 à 150 litres/personne/jour.

Quel circuit de l’eau pour quels usages ?

Notre eau potable doit provenir du milieu naturel, c’est la réglementation. En pratique, elle est puisée majoritairement dans les nappes souterraines (60 %) et dans les eaux de surface comme les lacs et les cours d’eau (40 %). Après différents traitements pour la rendre potable, l’eau est stockée (réservoir en hauteur ou château d’eau) pour être distribuée par gravité jusqu’à nos robinets. L’eau potable est acheminée par un réseau de canalisations vers les différents points de consommation : bâtiments, jardins publics, fontaines, etc. 
Après usage, domestique ou industriel, les eaux usées sont récupérées par le réseau des égouts et acheminées vers des stations de traitement des eaux usées (STEU) où elles sont traitées avant d’être rejetées dans les cours d’eau. À l’endroit du rejet, certains polluants qui n’ont pas été dégradés par les traitements peuvent subsister. Ils sont dilués dans les cours d’eau, puis en partie éliminés par le sol sur leur trajet vers les nappes souterraines ou la mer.
Dans certains cas, l’eau qui alimente les industries et les espaces verts comme les golfs peut être puisée directement dans les cours d’eau, voire dans les nappes, évitant ainsi de consommer de l’eau potabilisée pour des usages qui ne le nécessitent pas. L’eau d’irrigation des cultures provient majoritairement des cours d’eau, mais aussi des nappes souterraines. En France, la moitié des volumes prélevés dans les eaux superficielles sert à refroidir les centrales (thermiques, nucléaires).

Le coût de l’eau potable

Sur notre facture d’eau, outre les taxes, environ la moitié de la somme que nous payons correspond à notre consommation d’eau potable, l’autre moitié aux coûts de collecte et d’assainissement. « En réalité, fait remarquer Jean-Philippe Steyer, chercheur au Laboratoire des biotechnologies de l’environnement (LBE) et chef adjoint du département Transform d’INRAE, l’entretien des égouts représente la partie majoritaire de ces coûts d’assainissement. Notre réseau d’égouts est vieillissant, ajoute le chercheur, et son taux de remise en état (0,4 % par an) est insuffisant. De ce fait, le réseau est perméable : 20 % du volume d’eau usée est perdu en route avant d’arriver à la STEU ! » Dans certaines villes, surtout anciennes, il y a un réseau unique pour collecter les eaux usées et les eaux pluviales. Aujourd’hui, ce modèle n’est plus autorisé par la loi. Il pose en effet plusieurs problèmes : il oblige à surdimensionner la capacité des STEU pour traiter ces grands volumes dans lesquels les eaux usées sont diluées. De plus, en cas de fortes pluies, lorsque la capacité du réseau de collecte est dépassée, les eaux surabondantes sont directement reversées dans les cours d’eau par un système de trop-plein que l’on appelle les déversoirs d’orage. Les eaux rejetées dans le milieu sont alors un mélange d’eau pluviale et d’eaux usées non traitées, source de pollution pour le milieu naturel. Le renouvellement nécessaire des réseaux d’égouts permet de les repenser et de séparer les circuits d’eaux pluviales et d’eaux usées. Il pourrait être intéressant d’aller plus loin dans ce concept de réseau séparatif et de trier les différents types d’eaux usées pour mieux les traiter, voire les valoriser : eaux grises (ménage), eaux jaunes (urine), eaux noires (fèces). 


 

Les différents types d'eau

Eau bleue : Eau des lacs, rivières et nappes phréatiques

Eau jaune : Urines

Eau grise : Eaux usées ménagères (douche, vaisselle, WC, etc.)

Eau noire : Fèces

Eau verte : Eau de pluie absorbée par les plantes, stockée dans le sol ou évaporée

Dépolluer à la source

Sur les 37 800 captages d’eau potable en France, 4 600 ont été fermés sur la période 1980-2024 et 1 100 sont jugés préoccupants pour leur qualité. Réduire la pollution de ces zones est indispensable pour garantir une meilleure qualité de l’eau. Une solution ? Y implanter des cultures de miscanthus, une plante pérenne qui permet non seulement de capter l’azote du sol, mais surtout de le recycler, ce qui limite la pollution de l’eau par les nitrates.

Autres atouts, cette plante ne nécessite que très peu de traitements herbicides et aucun fongicide, ce qui facilite sa culture par les agriculteurs qui peuvent valoriser cette biomasse en litière horticole ou en biocombustible. « Dans nos recherches, on s’est aperçu qu’il y avait des variations entre les génotypes de miscanthus et que certains avaient une capacité plus élevée à absorber et à recycler l’azote. Nous étudions actuellement plus de 80 génotypes pour sélectionner des variétés adaptées à ce contexte particulier », explique Maryse Brancourt-Hulmel, chercheuse à l’unité BioEcoAgro d’INRAE.

Deux méthodes d'épuration des eaux usées

Épuration avec une série de traitements

Véritable usine à dépolluer, elle combine l’effet de filtres mécaniques avec l’action dépolluante de bactéries, appelées boues activées.
1 Prétraitements et traitements primaires L’eau passe dans des grilles et des tamis pour filtrer les plus gros déchets : graviers, sable, huiles. Les particules sont retirées par décantation.
2 Traitement secondaire Ce traitement biologique de l’eau dégrade la matière organique grâce à des bactéries. Les boues (bactéries en excès) sont ensuite traitées et utilisées pour l’épandage en agriculture
ou la méthanisation.
3 4 Traitements tertiaires et quaternaires Ces traitements (filtres membranaires, UV, ozonation, charbon actif, etc.) éliminent les micropolluants et les microorganismes (antibiotiques, hormones, médicaments, microplastiques, etc.), affinant ainsi l’épuration de l’eau. De plus en plus utilisés, ces traitements seront bientôt obligatoires pour les STEU de grande taille, pour répondre aux enjeux environnementaux

Épuration à base de filtres plantés de roseaux

Dans des bassins creusés, un sol artificiel est créé à base de galets 1 , graviers 2 et sables 3 , et des roseaux y sont plantés. Les eaux usées, après avoir subi un prétraitement (voir étape 1 de la station d’épuration avec série de traitements) passent par ce filtre et sont épurées par les bactéries qui s’y développent naturellement. Ce procédé est beaucoup moins énergivore que celui utilisant une série de traitements, mais nécessite plus d’espace. Une meilleure oxygénation des bactéries (grâce à un système de bullage au fond du bassin) permet d’intensifier le dispositif et de gagner de la place. En France, 25 % des STEU sont à base de filtres plantés de roseaux (plus de 6 500).