Alimentation, santé globale 4 min
Les organoïdes : des organes miniatures aujourd’hui incontournables pour la biologie et la médecine
Aujourd’hui, on sait cultiver in vitro des organes miniatures que l'on appelle « organoïdes ». Ces outils biologiques tendent à devenir incontournables et sont à la base d’avancées majeures en biologie et médecine. Plusieurs équipes de l’Inra s’approprient ces méthodologies et ont constitué un collectif pour échanger et progresser plus efficacement.
Publié le 31 octobre 2018

Entre l’animal entier (modèle in vivo) et les cellules en culture (modèle in vitro), les biologistes développent actuellement un modèle intermédiaire : l’organoïde, qualifié de « modèle ex vivo ». Les organoïdes sont des structures cellulaires en trois dimensions qui ont des architectures et des fonctionnalités similaires aux organes dont ils dérivent. Ils sont obtenus à partir de cellules souches grâce à un processus d’auto-organisation, favorisé par un milieu de culture contenant les facteurs de croissance et de différenciation adéquats1. Développées dans les années 2010, ces méthodologies permettent actuellement d’obtenir des organoïdes de plusieurs organes : intestin, rétine, glandes mammaires, foie, rein, poumon et même cerveau.
L’intestin, un « bon client » pour l’obtention d’organoïdes
Adapté avec permission de JM Wells and JR Spence, 2014. Developement 141, page 752, https://dx.doi.org/10.1242/dev.097386
« La qualité des cellules souches de départ est déterminante, explique Bertrand Pain2. Ça marche d’autant mieux quand il s’agit d’organes dynamiques qui se renouvellent rapidement. C’est particulièrement le cas pour l’intestin qui se régénère entièrement tous les 4-5 jours et qui contient de nombreuses cellules souches ». En partant de ces cellules souches, on obtient des sortes de sphéroïdes comportant les cinq types cellulaires de l’intestin3, organisées de manière polarisée, comme dans l’intestin.
A Tours, Sonia Lacroix-Lamandé et Agnès Wiedemann 4 utilisent des organoïdes d’intestin pour étudier les interactions entre des agents pathogènes5et les différents types cellulaires de l’épithelium intestinal. L’un de ces pathogènes, un parasite, a la particularité d’entrer dans la cellule épithéliale seulement par le pôle apical (la lumière de l’intestin). Il est donc particulièrement important que la polarité de l’organoïde reproduise celle de l’intestin. « Je mets le parasite en contact avec la lumière de l’organoïde soit en l’injectant à l’intérieur des sphéroïdes, soit en étalant la structure 3D en une structure 2D polarisée » détaille Sonia Lacroix-Lamandé.
A Jouy-en-Josas, Claire Cherbuy6utilise des organoïdes d’intestin pour mieux comprendre les actions du microbiote sur certains paramètres garants du bon fonctionnement intestinal : sécrétion de mucus, sécrétion de peptides antimicrobiens, renforcement de la barrière intestinale.
Dans les deux cas, les chercheuses ne disposaient jusqu’ici que de modèles in vitro imparfaits, les lignées cellulaires intestinales disponibles jusqu’ici étant trop éloignés de l’organe sain.
Les organoïdes : un énorme potentiel en biologie et en médecine
Les organoïdes permettent de mimer ce qui se passe dans l’organe entier et leurs applications sont nombreuses : par exemple, étudier les interactions avec des pathogènes, décrypter des processus physiologiques, ou encore analyser les mécanismes impliqués dans le développement. Leur enjeu en médecine est considérable : source de cellules et tissus pour les greffes et la thérapie cellulaire, modèle d’organes cancéreux pour tester des traitements, modélisation de l’autisme dans des organoïdes de cerveaux reproduisant la pathologie. « Avec ces modèles, on peut jouer sur la surexpression ou l’inhibition de gènes beaucoup plus facilement qu’ in vivo » explique Caroline Denesvre4. On peut par exemple mimer un intestin atteint de fibrose cystique en inactivant un gène connu et utiliser ce modèle de maladie pour tester des médicaments.
Réduire les expériences sur l’animal
Les organoïdes représentent une branche de la biologie cellulaire en plein essor. Il existe encore des difficultés méthodologiques pour les obtenir et pour tester leur « conformité » avec l’organe étudié. Néanmoins, leurs modalités de culture ne cessent de se perfectionner avec des composants et des milieux de culture de plus en plus performants. Les interactions avec les biophysiciens doivent se renforcer pour mettre au point des matrices qui guident les cellules et les aident à reproduire la forme de l’organe, comme par exemple les villosités intestinales. « Les organoïdes obtenus sont encore imparfaits, mais ils ont un potentiel énorme. Ils permettent aussi de réduire le recours aux animaux, et, bien qu’ils ne puissent pas les remplacer pour reproduire le fonctionnement de l’organisme entier, ils permettent de faire des essais préalables et de diminuer le nombre d’expériences in vivo » conclut Bertrand Pain.
1 Les cellules souches peuvent être obtenues à partir d’un embryon ou par reprogrammation génétique de cellules adultes de l’organe ciblé.
2 USC CSC (Cellule souche et cerveau), centre Inra Auvergne-Rhône-Alpes.
3 Entérocytes, cellules entéro-endocrines, cellules à mucus, cellule de Paneth (productrices de facteurs anti-microbiens), cellules Tuft (ayant un rôle dans l’immunité).
4 UMR ISP (Infectiologie et santé publique), centre Inra Val-de-Loire.
5 Cryptosporidium parvum et Salmonella typhimurium.
6 UMR MICALIS (Microbiologie de l'alimentation au service de la santé), centre Inra Ile-de-France-Jouy-en-Josas.
La dynamique du collectif
Les organoïdes sont des structures qui peuvent se conserver par cryogénie, de même que les cellules souches qui servent de point de départ. Constituer des biobanques présente l’avantage d’avoir un matériel homogène pour la reproductibilité des expériences, de limiter le temps de préparation des organoïdes, de réduire les prélèvements de cellules souches sur les animaux. Les biobanques peuvent être partagées au sein d’une communauté structurée autour de ces méthodologies pour mutualiser les savoir-faire et le matériel produit.
C’est pourquoi les chercheurs de l’Inra se sont groupés en un collectif coordonné par Elisabetta Giuffra et Bertrand Pain. Ce collectif interagit notamment avec des chercheurs de l’Université de Wageningen (WUR). « L’objectif est de développer ces méthodologies sur les animaux de rente (porc, bovin, poulet, etc.). Nous cherchons en parallèle à obtenir des lignées de cellules souches de bonne qualité chez ces espèces » explique Elisabetta Giuffra, qui collabore entre autres avec le laboratoire de Jerry Wells au WUR.
Plusieurs équipes de l'Inra sont impliquées dans le collectif : BDR, GABI, MICALIS (Jouy-en-Josas), CSC, IVPC (Lyon), GENPHYSE (Toulouse), ISP (Tours), PANTHER (Nantes), PEGASE (Rennes).