Biodiversité 4 min

Invasion du scarabée japonais en Europe : prédire les zones favorables à son établissement pour élaborer des stratégies de surveillance

Le scarabée japonais, un insecte ravageur qui s'attaque à une grande diversité de plantes, poursuit son invasion lentement mais sûrement. Presqu’un siècle après sa détection aux États-Unis, il a traversé l’Atlantique pour s’implanter sur le continent européen. Des chercheurs INRAE ont publié le 17 novembre 2023 dans la revue Entomologia Generalis un article sur la favorabilité environnementale de l’Europe pour cette espèce invasive, dans la perspective d’œuvrer à l’élaboration de stratégies de surveillance efficaces.

Publié le 04 décembre 2023

illustration Invasion du scarabée japonais en Europe : prédire les zones favorables à son établissement pour élaborer des stratégies de surveillance
© INRAE, Davide Martinetti

Historique de l’invasion

Originaire du Japon, le scarabée japonais (Popillia japonica) est un coléoptère particulièrement polyphage qui a été détecté en 1916 aux États-Unis où il a été accidentellement introduit et dont il occupe aujourd’hui la plupart des états de l’Est, puis dans les années 1970 aux Açores (Portugal) où il colonise désormais 8 des 9 îles de l’archipel. Le coléoptère figure sur la liste des organismes de quarantaine prioritaires de l'Union européenne (UE) depuis sa détection en Italie en 2014 et sa propagation progressive au cours de la dernière décennie. 

Une collecte de données de distribution du scarabée et des environnements associés 

L’étude publiée repose sur l’ajustement d’un modèle de distribution d’espèces qui intègre des facteurs environnementaux, pertinents pour la biologie du coléoptère, et des données de présence du scarabée japonais provenant d'aires de répartition natives et envahies depuis longtemps (Japon, Amérique du Nord, Açores). Plus d’une centaine de prédicteurs environnementaux (climat, caractéristiques et occupations des sols, indicateurs anthropiques, etc.) sont pris en compte. Environ 48 000 observations géoréférencées du scarabée japonais ont été considérées. Ces données sont issues en grande majorité (77 %) de plateformes de sciences citoyennes, et de protocoles de suivis standardisés. Toutes les données utilisées sont disponibles en accès libre sur le site Recherche Data Gouv.

Un modèle de prédiction performant et bien calibré

Les mesures de performance du modèle de distribution de P. japonica indiquent un modèle bien calibré, avec des prédictions consistantes et robustes, notamment vis-à-vis de l’état de l’invasion observé aux États-Unis. La situation aux États-Unis, où des plans de surveillance officiels ont été mis en place suite à son introduction, est particulièrement pertinente pour évaluer la qualité de prédiction du modèle car ils présentent une grande variabilité des densités de populations de scarabées japonais et l’état de l’invasion y est très bien renseigné. Fort de ces résultats, l’approche de modélisation proposée a permis de projeter la distribution de favorabilité environnementale pour le scarabée japonais sur le continent européen.

Cartes d'invasion du scarabée japonais

Cartes de favorabilité environnementale (suitability) pour l’Amérique du Nord et l’Europe continentale. La favorabilité, décrite selon 6 classes, est d’autant plus élevée que la couleur est foncée.

Une situation contrastée en Europe continentale

Environ 63 % du continent européen présente un environnement peu favorable à l’établissement du scarabée japonais, et les classes les plus favorables observées aux États-Unis n’y sont pas représentées. Cependant, l’Europe centrale présente un continuum de zones de qualité environnementale favorable, avec des territoires particulièrement propices s'étendant des contreforts des Alpes jusqu'au nord des Balkans et sur les rives orientales de la mer Noire. D’autres zones de qualité environnementale favorable sont distribuées, entre autres, en France, Allemagne, Autriche, Suisse, Belgique et Pays-Bas. Globalement, les projections mettent en évidence la présence de territoires favorables à P. japonica, dont la plupart ne sont actuellement pas infestés (seul 1 % infesté). Cela confirme que l'invasion du scarabée japonais pourrait s'étendre au-delà de sa distribution actuelle (Italie, Suisse) avec un impact environnemental, social et économique potentiellement élevé, ce qui renforce le besoin d'une stratégie de surveillance bien informée. 

Implications pour le contrôle de l’invasion en cours

Dans les zones actuellement infestées, les efforts doivent se concentrer sur la surveillance du front de colonisation et la mise en place de mesures de lutte appropriées pour limiter la dissémination des populations du scarabée japonais. La mise en évidence de zones favorables à P. japonica à de plus grandes distances suggère que des protocoles adaptés doivent être appliqués aux centres de transport, tels que les gares, les aéroports et les entrepôts de camions, tandis que le public doit être sensibilisé au risque de déplacement involontaire du coléoptère. En dehors des zones infestées, une détection précoce et une réponse rapide sont essentielles pour contrôler la propagation du coléoptère. Des campagnes de communication à travers l'Europe, en particulier dans les zones les plus favorables à plus haut risque, seraient utiles pour informer les citoyens et les parties prenantes sur l'identification et le signalement des insectes nuisibles. En termes de recherche, les chercheurs de l’Institut de génétique environnement et protection des plantes (IGEPP) et de l’unité Biostatistique et processus spatiaux (BioSP) d’INRAE s’attèlent désormais à évaluer le risque de transport involontaire (aérien, ferroviaire et routier) de l’insecte depuis la zone infestée vers le reste de l'Europe continentale.

RÉFÉRENCES

  • Borner L., Martinetti D., Poggi S. (2023). A new chapter of the Japanese beetle invasion saga: predicting suitability from long-invaded areas to inform surveillance strategies in Europe. Entomologia Generalis, 43, 951–960. https://doi.org/10.1127/entomologia/2023/2073
  • Borner L., Martinetti D., Poggi S. (2022). « Data for “A new chapter of the Japanese beetle invasion saga: predicting suitability from long-infested areas to inform surveillance strategies in Europe” ». Recherche Data Gouv, V1, https://doi.org/10.57745/GM2YVL


This project has received funding from the European Union’s Horizon 2020 research and innovation programme under grant agreement N° 861852.

Sylvain PoggiRédacteur

Contacts

Leyli Borner ChercheuseInstitut de Génétique Environnement et Protection des Plantes (IGEPP)

Sylvain Poggi ChercheurInstitut de Génétique Environnement et Protection des Plantes (IGEPP)

Davide Martinetti ChercheurBiostatistique et Processus Spatiaux (BioSP)

Les centres

Le département

En savoir plus

Biodiversité

IPM-Popillia, un projet européen pour contrôler le scarabée japonais

Le projet européen IPM-Popillia, officiellement lancé le 1er septembre 2020, a pour objectif de contrôler l’invasion du scarabée japonais, Popillia japonica, actuellement localisée en Italie du Nord, tout en respectant l’environnement. Insecte de quarantaine désigné comme candidat hautement prioritaire dans la nouvelle législation phytosanitaire de l'Union Européenne, le scarabée japonais représente une véritable menace pour la santé des végétaux en Europe. Deux unités de recherche INRAE sont impliquées dans ce projet en collaboration avec l’ensemble des équipes du consortium.

22 juin 2022

Changement climatique et risques

Invasions biologiques : identifier les menaces potentielles avant qu’il ne soit trop tard

Les invasions biologiques représentent une menace majeure pour la biodiversité et l'agriculture. Il est essentiel aujourd’hui de les anticiper pour mieux y faire face. Deux entomologistes INRAE du Centre de biologie pour la gestion des populations à Montpellier ont publié récemment dans la revue Science of the Total Environment leurs travaux concernant les zones climatiquement favorables à la mouche pisseuse ou cicadelle pisseuse en Europe. Cet insecte peut acquérir et transmettre Xylella fastidiosa, une bactérie redoutable pour de nombreux végétaux notamment la vigne et l’olivier. Les auteurs analysent également l’effet du changement climatique sur l’évolution des zones favorables à l’insecte.

29 novembre 2022