Changement climatique et risques 3 min
Invasion biologique : du citoyen au plan de gestion
Aleurocanthus spiniferus, un aleurode venu d'Asie tropicale particulièrement redoutable pour les agrumes, a été rapidement détecté et identifié en France en 2023 grâce à une chaîne d'intervention impliquant citoyens et scientifiques.
Publié le 30 novembre 2023
Citoyens et scientifiques, ensemble pour lutter contre les invasions biologiques
Les espèces exotiques envahissantes représentent une menace majeure pour la biodiversité mondiale et ont un fort impact économique sur la productivité agricole. Face à ces invasions, il est essentiel de réagir très rapidement. Plus une espèce est détectée tôt, meilleures sont les chances de la contrôler et éventuellement de l'éradiquer. La surveillance et la détection précoce des espèces exotiques envahissantes sont ainsi devenues des éléments de première importance pour les autorités en charge de la sécurité biologique.
L’épidémiosurveillance se concentre sur des organismes connus pour représenter un danger substantiel pour l’agriculture et la santé des forêts. Quel peut être le rôle des citoyens dans ce travail de surveillance et d’alerte ? Depuis plusieurs années la science citoyenne contribue de manière significative au suivi de l’expansion de différents insectes nuisibles exotiques tels que la processionnaire du chêne ou la punaise diabolique. Mais ce n’est pas tout !
Dans un article publié récemment dans la revue Insects, un collectif de chercheurs détaille comment l’Aleurode de quarantaine Aleurocanthus spiniferus a été signalé pour la première fois en France grâce à une photographie déposée par une naturaliste amatrice sur le site de sciences participatives « INPN espèces » du Muséum national d'Histoire naturelle. L’article décrit les étapes menant de l’observation initiale sur le terrain à la confirmation officielle de l’identification puis aux mesures réglementaires prises pour sa gestion.
Un aleurode polyphage qui menace les agrumes
A. spiniferus est un aleurode particulièrement nuisible aux agrumes. De par sa petite taille, il est difficile de détecter A. spiniferus et ses colonies peuvent être facilement confondues avec des cochenilles.
A. spiniferus est particulièrement polyphage puisque plus de 100 plantes hôtes de 37 familles ont été recensées dont des agrumes mais également la vigne. L'espèce est présente sur la liste de quarantaine de l'Union européenne. Originaire d'Asie tropicale, cet insecte a envahi différentes parties du monde situées dans le Pacifique, en Afrique centrale, orientale et australe, dans l'océan Indien et plus récemment en Europe où il a été signalé pour la première fois en Italie en 2008. Jusqu’en 2023, A. spiniferus n’était pas détecté en France.
Du jardin au ministère
Tout commence par l'observation par une habitante du Gard, Émilie Mendes, d'un insecte inconnu dans son jardin. Elle prend plusieurs photos et identifie le spécimen comme une espèce appartenant au genre Aleurocanthus. Elle poste alors ses photos le 17 avril 2023 sur le site web de l'inventaire national du patrimoine naturel (INPN) qui héberge des jeux de données validés par des réseaux d'experts, accessibles à tous. Les signalements sont ensuite évalués par des scientifiques experts chargés de valider les observations.
L’un des experts en charge des Hémiptères, Jean-Claude Streito, chercheur INRAE au Centre de Biologie pour la Gestion des Populations (CBGP), observe les photographies et constate que l'identification du genre du spécimen proposée est a priori correcte. Sachant que ce genre contient plusieurs espèces de ravageurs réglementés, il contacte le 6 mai les responsables du site de l'INPN afin d’obtenir des informations complémentaires et en particulier vérifier l'exactitude de la date et de la localisation géographique de l’observation.
Le 23 mai, Émilie Mendes fournit des photographies supplémentaires et confirme le lieu et la date de l'observation. La direction générale de l’alimentation du ministère de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire est alors informée le 26 mai par Jean-Pierre Rossi, chercheur INRAE au CBGP, de la présence probable d’A. spiniferus en France. Le 7 juin, le ministère dépêche des inspecteurs phytosanitaires sur place, qui confirment le foyer et prélèvent des échantillons les 15 et 16 juin. Ce matériel est envoyé au Laboratoire de la Santé des Végétaux de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) qui est chargée d'identifier les organismes de quarantaine en France. Le 20 juin, les résultats obtenus en laboratoire confirment qu'il s'agit bien d'Aleurocanthus spiniferus.
Suite à cette détection, le ministère lance les procédures réglementaires afin de contrôler l’espèce :
- Investigation des sources possibles d'introduction
- Evaluation de la répartition réelle de l'organisme
- Désinfection des plantes destinées à la circulation pour empêcher une propagation de l'organisme nuisible
- Quantification des dommages non signalés aux cultures et autres espèces végétales du territoire
- Sensibilisation des acteurs et des citoyens
Cet exemple illustre l’importance de la contribution des citoyens à la détection précoce des organismes exotiques envahissants. Si la validation par les scientifiques experts est ensuite indispensable, c’est avant tout la réactivité des différents acteurs concernés qui garantit une réponse rapide et une gestion efficace de la situation.
RÉFÉRENCE
Streito, J.-C.; Mendes, E.; Sanquer, E.; Strugarek, M.; Ouvrard, D.; Robin-Havret, V.; Poncet, L.; Lannou, C.; Rossi, J.-P. Incursion Preparedness, Citizen Science and Early Detection of Invasive Insects: The Case of Aleurocanthus spiniferus (Hemiptera, Aleyrodidae) in France. Insects 2023, 14, 916. https://doi.org/10.3390/insects14120916